La présidentielle du 29 juillet 2018 est une étape cruciale dans l’histoire de la nation malienne. Ce scrutin doit permettre au pays de voir, enfin, le bout du tunnel ou de rester dans l’impasse. Les bulletins de vote auront donc toute leur importance citoyenne et patriotique pour que nous acceptions de voter pour le plus offrant aux dépens du plus crédible et du plus réaliste. D’où la nécessité d’instaurer de vrais débats républicains passant au crible les projets de société. Si alternance il doit y avoir, elle ne doit pas rester uniquement formelle. Et si réélection il y a, le vote du peuple ne doit pas être un blanc-seing pour ne pas changer de méthode de gouvernance du pays en faisant face aux vraies préoccupations du peuple malien.
«Un navire sans capitaine balloté de part et d’autre sans destination. Un pays qui vit de la corruption avec à la présidence un homme invisible entouré de gens qui sont uniquement là pour la galerie… Aucun d’entre eux ne tient la barre de ce navire qui dérive sans fin dans les tourmentes du banditisme d’Etat» ! Le diagnostic est de Sonia Duchesse, une amie activiste française éprise d’amour pour le Mali et «son brave peuple».
Il ne serait pas honnête de contester ce diagnostic qui donne froid dans le dos mais qui est aussi d’une pertinence inouïe. C’est dire que si nous, les Maliens, ne prenons garde, le navire va finir par chavirer. Notre volonté de stabiliser le navire au milieu de cette tempête doit se manifester dans le choix du futur président de la République du Mali.
En effet, les Maliens auront une nouvelle fois le destin du pays entre leurs mains le 29 juillet 2018 à l’occasion du scrutin présidentiel. Alternance ? Réélection d’IBK ? Peu importe ! L’essentiel est que chacun ait voté en âme et conscience et que le vainqueur ait la vision des attentes et des défis à relever pour les combler. Et il n’y a que les vrais débats autour de l’Etat de la nation (surtout en langues nationales) pour mieux aider les électeurs à faire un choix judicieux en connaissance. Aujourd’hui que tous les prétendants sérieux ont affiché leur volonté de briguer la magistrature suprême, le folklore (Boua k’a bla, Boua t’a bla) doit laisser la place à de vrais débats républicains axés sur les programmes et non sur les attaques personnelles.
L’opinion a besoin d’être éclairée par des débats de qualité sur, par exemple, le bilan du président sortant et candidat à sa succession depuis le 28 mai 2018. A ce propos, un élu du Rassemblement pour le Mali (RPM, parti présidentiel) a récemment publié ses «49 raisons de voter pour IBK et aussi de me battre pour sa réélection» (cf. Encadré). Il y évoque, entre autres, l’adoption de la loi d’orientation et de programmation militaire portant sur un montant de 1 230 milliards de F Cfa entièrement financés par le budget national sur une période de 5 ans ; 500 milliards de F Cfa du budget national dédiés aux investissements productifs, l’augmentation de 20 % des salaires et la baisse de l’impôt sur le traitement des salaires de 8 % en fin juillet 2016 ; l’augmentation des allocations familiales de 1500 F Cfa à 3500 F Cfa par enfant et à 4000 F Cfa en cas de handicap ; la valorisation de la valeur du point indiciaire de 330,75 F Cfa à 375 F Cfa en 2016 et à 400 F Cfa en 2017 ; la hausse du SMIG de 28 460 F Cfa à 40 000 F Cfa en 2016 et à 42 800 F Cfa en 2017, soit une augmentation de plus de 40 % ; la création de 199 344 emplois formels aujourd’hui sur les 200 000 promis dont plus de 4 000 jeunes dans la fonction publique…
Sans oublier les investissements pour le désenclavement interne et externe avec la construction d’autoroutes, de ponts et d’échangeurs, ainsi que l’électrification de certaines agglomérations.
Des investissements scellant la partition du pays ?
L’élu met aussi l’accent sur la baisse du prix des engrais de 12 500 à 11 000 F Cfa le sac ; la cession de 1000 tracteurs subventionnés à hauteur de 50 % aux producteurs ; la mobilisation de 179,38 milliards de F Cfa pour le financement de la Centrale hydroélectrique de Kénié de 42 MW et d’un productible de 188 GWh pour un montant de 96,6 milliards de F Cfa ; les 232 milliards de F Cfa pour l’alimentation en eau potable de la ville de Bamako pour permettre l’accès à l’eau potable de plus 1 200 000 habitants. Des chiffres qui peuvent facilement donner le tournis au citoyen lambda et remplir de fierté les partisans du président IBK, candidat déclaré à sa propre succession depuis le 28 mai 2018.
Ce sont là des raisons valables pour justifier le soutien et la fidélité à un leader politique. Sauf qu’en les analysant, rappelle un acteur de la société civile malienne, «l’on se rend bien compte que ces réalisations du président IBK portent en elles-mêmes les germes de la rébellion au Nord du Mali». En effet, l’essentiel des actes posés pour tenir ses promesses de campagne a été effectué entre Kayes, Koulikoro, Ségou et Sikasso, donc dans des régions à forte portée électorale surtout que beaucoup de réalisations ont été entreprises entre 2016 et 2017.
«Les réalisations prévues pour les régions dites du Nord sont toutes empochées par des personnes susceptibles de menacer le pouvoir. L’érection des régions de Taoudéni et de Ménaka est beaucoup moins prioritaire que les constructions de routes dans ces zones où des investissements créateurs d’emplois et de richesses sont possibles», souligne Ayouba Dicko. Et de déplorer : «Aucun avenir n’est envisagé pour les jeunes des régions dites du Nord, excepté le DDR, donnant ainsi l’impression que tous les Nordistes sont des rebelles. Cette lecture est fausse et pernicieuse. Même la route de Gao-Sévaré n’a pu être réalisée encore moins sécurisée. Les passagers sont dépouillés de leurs biens s’ils ne sont pas humiliés. Les femmes sont violées à moins que les passagers les défendent pendant que toutes les forces nationales et étrangères sont concentrées dans ces régions».
Et un autre activiste, Boubacar Koumaré, rappelle que ne vont pas se retrouver dans ces chiffres, donc du bilan d’IBK, le paysan qui se plaint, l’ouvrier qui souffre, le fonctionnaire qui peine à joindre les fins de mois, le jeune diplômé qui ne sait plus à quel saint se vouer, la ménagère qui se débat, le soldat qui, chaque jour, enterre son camarade… Tout comme les populations abandonnées aux mains des jihadistes, le parent du village qui fait 35 à 40 km juste pour aller faire une piqûre par manque de centre de santé, l’étudiant victime d’années académiques interminables… «Hélas la liste n’est pas exhaustive», conclut-il.
Cet autre bloggeur souligne sur les réseaux sociaux qu’IBK avait promis en 2013 la libération de Kidal qui, 5 ans après, reste toujours entre les mains de la CMA. Et d’ajouter : «Il nous avait promis la libération totale du Nord. Malheureusement, aujourd’hui, pour que nos officiels partent au Nord, il faudra demander l’autorisation de la Minusma et de Barkhane.»
Et, ajoute-t-il, «en 2013, lors de la campagne présidentielle, il n’avait rien promis sur la sécurité du centre parce qu’il n’y avait rien dans cette zone. Mais, depuis 2014, un groupe de bandits (Forces de libération du Macina d’Amadou Koufa) occupe une partie de cette zone où la population est abandonnée à son sort. A cela s’ajoutent les conflits communautaires face auxquels l’Etat a malheureusement montré son impuissance».
Jugeant ce premier quinquennat d’IBK «catastrophique», il souligne aussi que les promesses liées à l’éducation n’ont pas été tenues puisque «l’école malienne est au plus bas niveau dans la sous-région». Et, poursuit le bloggeur, «pour qu’un régime se vante d’avoir créé des emplois, il faudra qu’il y ait des emplois créés dans le secteur privé soutenu par l’Etat».
Toutefois, la publication du député a eu le mérite de hisser le niveau du débat politique actuel en l’éloignant des caniveaux nauséabonds des attaques personnelles. Contrairement à beaucoup de soutiens du président sortant, il a eu le mérite d’avancer des arguments valables pour justifier son choix au lieu de perdre son énergie dans le folklore et les attaques personnelles ! C’est de ce genre de débats d’arguments qu’il faut se prévaloir pour mieux éclairer les Maliens !
Hamady Tamba
Source: Le Matin