Forte demande sociale, multiples fronts de contestations, manque d’approche idéale du gouvernement… le début du quinquennat du président est très difficile. Une situation qui risque de conduire à une crise profonde.
Le secteur de la justice est en grève depuis juillet dernier. Les magistrats exigent du gouvernement la satisfaction de deux revendications : la relecture de la grille salariale et la sécurité du personnel judiciaire. Alors que l’opinion publique attendait une meilleure approche du gouvernement, sur la demande des magistrats, il a préféré occulter la plateforme revendicative en prenant un décret portant réquisition des magistrats et exigeant le service minimum dans les tribunaux.
La décision est contestée par les syndicats de magistrats et même attaquée à la Cour suprême pour annulation. Les magistrats estiment que cet acte est une intimidation. Ils expliquent que la volonté du chef du gouvernement est de violer le principe de la séparation des pouvoirs en République du Mali. Aux dires des magistrats, les revendications sont légales et légitimes pour l’indépendance du pouvoir judicaire. Les magistrats sont toujours absents des tribunaux qui restent désespérément vides.
Au moment où l’opinion a un œil vigilant sur ce dossier, les syndicats des enseignants des collectivités ont déposé un préavis de grève. L’Association des écoles privées n’a toujours pas démarré l’année scolaire. Les orientations des admis au DEF tardent à se faire. L’éducation a-t-elle été reléguée au second dans notre pays ? Pourquoi ce silence autour de la question scolaire ? Plus d’un Malien souhaite des réponses à ses interrogations.
Ce n’est pas le seul front. Sur le plan politique, il y a deux coalitions qui partagent le même objectif. Il s’agit de ne pas reconnaître l’autorité du président de la République, Ibrahim Boubacar Keita. D’ailleurs, elles ont annoncé les couleurs le week-end dernier.
Le Front pour la sauvegarde de la démocratie et la Coalition des forces patriotiques ont échangé avec leurs membres sur la nouvelle démarche à entreprendre. La situation actuelle du pays, la situation des caisses de l’Etat, le découpage territorial sans concertation avec les populations concernées, ont été, entre autres, les questions abordées par les différents intervenants.
L’honorable Soumaïla Cissé a rendu un hommage aux victimes des terroristes. «Notre pays a encore connu, cette semaine et la semaine dernière, de nouvelles victimes d’actes terroristes, barbares et inhumains au Nord, au Centre et même tout près de nous au poste de contrôle de Koala, non loin de Kolokani. En tout premier lieu, nous nous inclinons avec tristesse, émotion et recueillement devant la mémoire de toutes ces victimes des violences et des actes terroristes qui continuent de frapper durement notre nation».
«Cette mobilisation est la preuve vivante de votre attachement indéfectible à la démocratie, à la liberté mais surtout la preuve de votre passion et de votre amour pour le Mali, notre Maliba. Pour ce Mali aucun sacrifice n’est et ne sera de trop. Aucune révolte ne sera de trop. L’injustice et l’impunité engendrent la colère. La colère d’un peuple est donc de droit quand son avenir est volé», martèle-t-il.
Et d’ajouter : «Les marches et les manifestations des Maliens de l’intérieur et de la diaspora de ces deux derniers mois contre les fraudes massives et dysfonctionnements de toutes sortes lors des dernières élections présidentielles attestent si besoin en était du rejet de ce régime par notre peuple.»
Soumaïla Cissé enfonce davantage le clou : «La dernière mission de bons offices dépêchée par le président Buhari, président de la conférence des Chefs d’Etat de la CEDEAO l’atteste. Le dernier rapport de l’Union européenne que je vous invite à consulter en ligne ne dit pas autre chose, même si par précautions diplomatiques, il n’utilise pas le mot fraude. Les manifestations de rejet du projet de découpage administratif du territoire sur l’ensemble du pays finissent par nous en convaincre. Le régime autocratique, clanique, anachronique et boulimique qui agonise lentement depuis deux mois, criminalise le pays et instrumentalise sa partition, ce régime est clairement en train d’échouer gravement dans son rôle, hérité de la fraude, de la corruption et de la prévarication, à sauver le Mali…».
Et lui de dépeindre ‘ce pouvoir’ : «La seule vision de ce pouvoir, tantôt honteusement monarchique, surtout à l’étranger, tantôt terriblement oppressif et répressif à l’intérieur, sa seule vision est devenue très court-termiste. Des centaines d’écoles sont fermées, des milliers d’écoliers sont privés d’études. 175 000 élèves admis au DEF ne sont toujours pas orientés au grand désespoir de leurs parents. Des centaines de centres de santé sont fermés : des milliers de Maliens sont privés de soins primaires. Le panier de la ménagère se vide dangereusement. Le prix du carburant continue de prendre l’ascenseur de manière incompréhensible. Nul miracle en vue, car rien ne va, rien ne va plus dans notre pays. La panique inonde Koulouba et noie désormais tout le pays.»
Se prononçant sur le nouveau découpage administratif, Me Mountaga Tall dira que les villages, communes, arrondissements, cercles et régions constituent l’architecture administrative du Mali chapeauté par l’Etat central.
«La régionalisation et la décentralisation sont certes des nécessités. Mais débuter le débat sur le découpage territorial par le niveau régional, c’est vouloir édifier un bâtiment de six étages en commençant par le 5ème sans soubassement ni rez-de-chaussée. Fragile, l’ouvrage s’écroulera. Impossible sauf avec des conséquences incalculables pour le Mali et notre cohésion sociale. Chacun le sait. Et pour tout compliquer des délais, extrêmement courts, ne permettant ni organisation rationnelle ni débats de fond, sont imposés. Mais pourquoi le gouvernement détruit notre tissu social déjà éprouvé ? Pourquoi une telle course contre la montre ?» s’interroge-t-il.
Pour ainsi dire, il est du même avis que le président de l’Urd, qui pense que le projet de découpage administratif est une bombe à fragmentation qui risque d’exploser si rien n’est fait.
En somme, le Front pour la sauvegarde de la démocratie au Mali appelle à la désobéissance civile. Pour ce faire, Me Mohamed Aly Bathily recommande de cibler les domiciles des députés en les empêchant de franchir les portes de l’Assemblée nationale, voire même les leurs à partir du 31 décembre 2018. Ensuite, les domiciles des ministres en activité afin de les empêcher également d’aller à leur bureau. Le CDR, à travers son porte-parole, Ras Bath, a promis de mettre en application les recommandations de l’ancien ministre Mohamed Aly Bathily.
Même si la Coalition des forces patriotiques n’a pas encore appelé à la désobéissance civile, elle partage l’avis que de ne pas attendre que tout s’écroule avant de se mobiliser. Aliou Badara Dembélé, président du Mouvement politique «badeyaton», ne mâche pas ses mots.
«Le peuple doit réclamer sa victoire. Il ne faut pas attendre que tout s’écroule avant de se mobiliser. Nous sommes dans l’impasse totale. IBK n’est pas légitime pour gérer le pays. Si nous cautionnons cette manœuvre, il ne sera pas surprenant de voir IBK proroger son mandat en 2023», dit-il.
L’honorable Oumar Mariko rappelle que les forces vives ont été déjà concertées, les organisations syndicales, pour appeler les Maliens à la défense de la patrie. «La tentative de révision électorale est une haute trahison. La seule solution pour les Maliens est une transition politique. Mais en attendant, nous allons former une délégation pour dire à IBK de quitter Koulouba. Il n’a pas honoré ses engagements de garantir la constitution», a-t-il déclaré.
Au regard de la forte demande sociale et politique, le début du quinquennat du président est plus que difficile. Une situation qui risque de conduire à une crise profonde.
Zan Diarra
Le Soleil Hebdo