Méconnue du grand public, la fistule vésico-vaginale obstétricale constitue de nos jours un problème de santé publique au Mali. Selon certaines enquêtes, en consultation urologique, 3 femmes sur 5 présentent des pertes d’urine en rapport avec une FVV obstétricale qui occupe la 3e place de l’activité chirurgicale du service d’urologie. Quels sont les stratégies de prise en charge et les résultats du traitement chirurgical au Mali ?
Pour en savoir plus sur ce phénomène, nous avons rencontré pour vous le chef du Service d’Urologie du CHU du Point G, le Pr Aly DOURO TEMBELY, professeur titulaire d’urologie à la faculté de Médecine et d’Odontostomatologie (FMOS). Il nous présente l’oasis spécialisée dans l’accueil, l’hébergement et la prise charge des victimes. Situé au sein de l’hôpital du Point G, et rattaché au Service d’Urologie, le centre oasis a une capacité d’accueil de 50 personnes et dispose d’une grande salle multifonctionnelle, d’une salle de couture et d’alphabétisation, etc.
Comment est venue l’idée de la création de ce centre ?
L’appellation oasis a été faite après une mure réflexion. Sinon, ce centre appelé aujourd’hui oasis est un centre d’accueil et d’hébergement des femmes victimes de difficultés d’accouchement, qu’on appelle habituellement fistule vésico-vaginale ou fistule obstétricale. Ce centre a pour but de les accueillir, de les héberger et de faire une prise en charge.
La première prise en charge importante chez ces femmes, c’est celle chirurgicale. Qui consiste à ne plus constater chez celles-ci une fuite d’urine. Donc, les difficultés d’accouchement ont provoqué chez ces femmes une fuite d’urine de la vessie vers le vagin si bien que ces femmes sont abandonnées à cause de cette anomalie.
Elles sont abandonnées en premier temps par leurs maris, car comme nous le savons, les odeurs d’urines ne sont pas acceptées par son entourage, si bien qu’elle est d’abord abandonnée, en premier temps, par son mari, après vient son entourage.
Donc, dans ce centre, nous faisons en premier temps cette prise en charge chirurgicale, après viennent les prises en charge psychotique et socioéconomique.
Aujourd’hui, est-ce que vous pouvez nous rassurer que ces femmes arrivent à guérir complètement ?
Oui, là nous parlons de taux de guérison. Je ne peux pas vous rassurer que toute femme admise ici arrive à guérir complètement, d’après votre expression. Ça ne sera pas vrai, ça ne sera pas juste. Alors, j’aime assez souvent faire comprendre de la façon suivante. Puisqu’il s’agit d’un accident survenu lors de l’accouchement ; alors, je compare ça, par exemple, que Dieu nous en garde, à un accident de la voie publique. Vous avez un véhicule qui a des passagers, il y a eu un accident. Et ces passagers peuvent présenter des blessures diverses. Des blessures bénignes aux blessures graves. Donc, c’est ainsi que ces femmes viennent en fonction des anomalies, des dégâts qui ont été effectués à partir de leur filière vésico-génitale.
Pour répondre à la question, il y a des années où nous atteignons jusqu’à 98 % de réussite. Il y a des années où nous atteignons 90 à 95 %. Donc, en résumé, je peux vous dire que nous atteignons au moins 80 % de cas de guérison. Le reste des 20 %, peuvent ne pas avoir des fuites permanentes comme au début, mais de temps en temps, il peut y avoir des fuites, on n’appelle pas ça guérison complète. Donc, les 20 % ne sont pas guéris, mais il y a une amélioration par rapport à leur situation de départ. Donc, dans tous les cas, la prise en charge va amener, soit à la guérison, ou une atténuation des plaintes ou des signes au départ.
Quelle est la capacité d’accueil du centre ?
Le centre a une capacité d’accueil de 50 femmes. Mais, nous dépassons parfois ce quota. Ça dépend encore une fois, des moments, des saisons et des années. Mais, actuellement, de plus en plus, nous n’arrivons pas à dépasser les capacités du centre. Tout simplement, pas parce que les cas ont diminué forcement, mais parce que, au cours des années, je vous disais tantôt, c’est dans les années 97 que l’idée a commencé et à faire la prise en charge.
Donc, dans les années 97, pratiquement, tout le Mali, je peux dire, n’avait qu’un centre de référence et de prise en charge chirurgicale au Point G. En ce moment, toutes les femmes venaient à Bamako. Pendant ce temps, nous avons eu l’idée de faire des formations. Et tous les médecins que nous avons formés, nous les avons déployés dans les régions à l’intérieur du Mali. Donc, il n’y a pas une région au Mali où nous n’avons pas formé un chirurgien pour faire face à cette anomalie.
Quelles sont les difficultés de prise en charge ?
Je viens de le dire, elles sont d’abord chirurgicales. Il faut payer les médicaments. Et aucune femme ne vienne ici dans ce centre en ayant le souci du comment je vais trouver les médicaments pour me faire opérer.
Nous avons réussi à avoir des partenaires de bonne volonté qui comprennent la souffrance de ces femmes en charge. Donc, il y a toujours une tierce payante par rapport à son hospitalisation et par rapport à l’achat de ces médicaments. Il suffit que la femme nous arrive qu’on procède à sa prise en charge.
Pour ce que ces femmes viennent ici, il y a des partenaires qui font des campagnes, qui font des activités en amont au niveau des villages, avec la sensibilisation et l’information. Ces partenaires arrivent à convaincre ces femmes dans les coins les plus reculés du pays et les rassurent que la prise en charge va être totale. Et, c’est ainsi que ces partenaires nous apportent à ce centre ce lot de femmes. Et depuis, ces femmes sont prises en charge.
Quelle est la contribution de l’État au fonctionnement de ce centre ?
L’État assure le fonctionnement de ce centre d’une façon indirecte. Je suis moi-même fonctionnaire de l’État, ainsi que mes assistants. Le local aussi, c’est l’État. Donc, c’est l’offre que l’État donne. Mais, ce n’est pas l’État qui assure la prise en charge des frais médicaux. Si c’était le cas, ça serait une bonne chose ; mais dans le cas contraire, cela ne veut pas dire que l’État ne fait rien.
Quelles sont les difficultés avec les pensionnaires ?
Chaque fois qu’il y a des gens qui sont ensemble, il y a souvent quelques difficultés dues au fait que chacun n’a pas le même comportement. De temps en temps, il y a des mésententes entre elles que nous gérons.
Mais au-delà de ça, la difficulté particulière que nous avons est relative au fait qu’il y a souvent un lot de femmes guéries qui se plaisent dans ce centre et qui ne veulent pas retourner dans leurs localités d’origine. Peut-être qu’elles ont certainement raison, mais nous les faisons comprendre qu’il y ait des départs pour laisser la place à celles qui arrivent.
La prise en charge n’est pas que chirurgicale, elle aussi nutritionnelle. Il faut que nous trouvions des partenaires qui puissent nous offrir des vivres pour ses femmes.
Comment vous expliquez la réticence, voir le refus, de ces femmes pensionnaires de retourner chez elles ? Est-ce que cela ne s’explique pas, selon vous, par le fait qu’elles ont peur des regards de la communauté, qu’elles manquent d’accompagnement ou dans les cas de viols de croiser les agresseurs ?
C’est possible ce que vous venez de dire, avoir peur ou manque d’accompagnement, etc. Moi, j’estime que d’où qu’on vienne, on ne doit pas avoir peur d’y retourner. Nous faisons, de toute façon, des séances de psychologie, des causeries. Vous avez même remarqué ce matin que nous avons notre salle d’animation. C’est comme si peut-être au village, elles ne vont pas manquer de soutien, mais elles vont manquer d’électricité en permanence, de la télévision, bref, elles vont manquer de ces habitudes de la ville.
Avez-vous un appel à lancer ?
L’appel à lancer, c’est dire encore une fois que nous avons besoin des gens comme vous en communication. Il faut informer, sensibiliser. Mon souhait, c’est de ne pas continuer à avoir un centre d’accueil de ces fistules. Pour dire que tout ça, c’est évitable si on fait la consultation prénatale. Une fois qu’une femme est en état de grossesse, son suivi, son assistance doit être complet. Comme on le dit, ‘’prévenir vaut mieux que guérir’’. Donc, il faut mettre l’accent sur la prévention. Il faut aussi faire en sorte que l’accouchement ne soit pas précoce. Cependant, les quelques rares cas qui arrivent, nous devons être capables d’y faire face.
Propos recueillis par Abdoulaye OUATTARA
Source : INFO-MATIN