Une histoire qui unit. Des sujets qui fâchent. Un dialogue très « cash ». Les fantômes de Versailles ont dû se ranimer à l’odeur de la joute politique, en assistant hier à la première rencontre entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron, sous les ors du Palais.
Le président français a parlé d’échanges « extrêmement francs et directs ». En langage diplomatique, entendez… très rudes. La conférence de presse en a d’ailleurs donné un aperçu. Non pas tant de la part du chef du Kremlin, réputé pour sa rudesse, mais de son hôte. Sollicité sur les interférences russes durant la campagne, le président français n’a pas hésité à qualifier certains médias russes présents en France, financés par le Kremlin, « d’agents d’influence » et de « propagande ».
Les prédécesseurs d’Emmanuel Macron n’avaient de cesse, mais sur la défensive, de dire qu’il fallait parler à Poutine. L’impression dominante, après la rencontre d’hier, c’est que cet échange a bien eu lieu. Sur le fond et sans fard. À un moment crucial où l’axe atlantique est remis en question.
Sujet numéro un, la Syrie. Ou, plus exactement, la lutte contre le terrorisme. Depuis l’intervention russe en septembre 2015 en soutien au régime d’Assad, la formule était piégée. Tout le monde comprenait que la lutte contre Daech était, certes, un objectif de Moscou, mais surtout un prétexte. Pour sauver un allié. Sauver sa présence au Moyen-Orient. Revenir dans le jeu là où les Américains se retiraient.
Voir hier Poutine et Macron affirmer, ensemble, que la lutte contre le terrorisme est un axe prioritaire commun est donc une façon de sortir de ce piège. De tourner la page. François Hollande avait tenté cette carte, au lendemain des attentats du Bataclan. Elle était restée lettre morte. Emmanuel Macron reprend l’écheveau.
Ligne rouge
Il mise sur le renforcement d’un partenariat franco-russe encore à préciser. Cela passe par des échanges d’informations, une plus grande coopération. C’est à l’usage que l’on jugera. Et un levier politique, pour permettre à la France, ou à l’Europe, de reprendre pied dans les négociations.
Le nom d’Assad n’a pas été prononcé hier par Emmanuel Macron, qui a préféré parler de l’État syrien. En revanche, pour la première fois, le président français a parlé d’une « ligne rouge » à propos de l’usage d’armes chimiques en Syrie, « par qui que ce soit ». Une ligne qui, si elle était franchie, déclencherait une riposte immédiate de la France. L’engagement est lourd. Grave. Encore à déchiffrer.
Le deuxième sujet principal, l’Ukraine, a permis de débattre, apparemment dans le détail, des sujets litigieux, mais surtout d’annoncer la tenue prochaine d’une rencontre à quatre. En format dit « Normandie ». Avec Berlin, donc. Et les sanctions ? Poutine a lancé un appel pour leur retrait. Macron, peu favorable aux sanctions, ne s’est pas prononcé.
Fastueuse par le cadre, respectueuse de la sensibilité russe mais rude sur le fond, la rencontre d’hier aura permis de sortir la relation bilatérale d’une voie sans issue. La naissance d’un forum franco-russe de la société civile, à l’image de celui existant entre Berlin et Moscou, indique un projet plus vaste. Il s’agissait surtout, hier, d’un état des lieux. Il faut attendre pour parler de nouvelle dynamique.
Poutine est néanmoins averti que le couple franco-allemand est non seulement plus soudé que jamais, mais que Paris n’a aucune intention de jouer les seconds rôles. On n’irait pas à Versailles sinon.