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Pourquoi le Mali est-il toujours protégé par la France, 57 ans après son indépendance ?

Le 22 septembre 2017, la République du Mali célèbre le 57ième anniversaire de son accession à la souveraineté. Mais s’il ne jouissait pas de la protection de la France, le Mali tel que nous le connaissons n’existerait peut-être plus. En 2012, c’est l’intervention de la France, par l’Opération Serval, qui a permis de stopper la rébellion des salafistes djihadistes qui voulaient prendre le contrôle du pays. En 2014, Serval a été l’Opération Barkhane, toujours de l’armée française, qui continue à chasser les djihadistes retranchés dans le nord.

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Mais comment le Mali en est-il arrivé là ? Comment peut-il retrouver le contrôle sur tout son territoire ? This Is Africa a posé ces question à Serge Daniel, l’un des grands spécialistes du Mali. Correspondant de l’AFP et de RFI dans ce pays depuis une dizaine d’années, ce journaliste et écrivain franco-béninois est l’auteur de plusieurs livres dont « Les mafias du Mali: trafics et terrorisme au Sahel », publié en  2014. Dans cette interview exclusive, cet observateur intransigeant est convaincu d’une chose : « Le Mali est très  loin de pouvoir remporter le conflit par la guerre. Je ne vois pas une partie remporter une guerre dans le nord du Mali. Je suis persuadé que c’est par un nouveau type de gouvernance qu’on peut s’en sortir ».

This Is Africa : Selon vous, comment peut-on apprécié le bilan des 57 ans d’indépendance du Mali?

Serge Daniel : Je ne suis pas du tout pessimiste. Ce qui arrive au Mali peut arriver à n’importe quel autre pays de la sous-région. Ce qui arrive au Mali, est arrivé ailleurs, l’important est d’être décidé à s’en sortir. Quand on parle de gouvernance aujourd’hui, il y a beaucoup de critiques, même au sein de ce qu’on appelle la majorité. Il y a beaucoup de critiques car on pensait que par un coup de baguette magique, le président Ibrahim Boubacar Keïta ( IBK) de 2013 serait le IBK de 1994, quand il était premier ministre, et savait taper le point sur la table, montrait l’autorité de l’Etat. Donc c’était une erreur car 2013, ce n’est pas 1994. Et lui aussi c’était pour lui un slogan de campagne, mais ensuite, il a affirmé ou a laissé clairement entendre que la situation a changé.

Mais Il a sous estimé le rapport de la réalité des forces sur le terrain. Ce qu’on doit lui reprocher, le carton jaune qu’on doit lui montrer, c’est qu’au fur et à mesure, avec ces difficultés rencontrés, il ne s’est pas exprimé là-dessus, et que dès le départ il pouvait dire, attention, on a sous estimé la situation, ce n’ai pas ce qu’on pensait. Le peuple a pensé qu’il pouvait régler les questions les problèmes avec une baguette magique.

L’histoire du Mali est un parcours jonché de petit drames, mais également de grand bonheur. Il faut qu’il y ait le Bing Bang et cela, si le Mali prend ses responsabilités et, de manière claire, décide d’avancer.

Je ne parlerai pas d’un bilan du tout négatif, car il y a quand même ce qu’on ne prend pas en compte dans l’indice de développement humain, c’est le bonheur de vivre  des gens. On a ce bonheur de vivre au Mali qu’on n’as pas ailleurs, on a ce bonheur de vivre quand on va dans les villages, dans les maisons, on a de l’espace. Mais il faut enfin pouvoir décoller et il y’a un minimum qui n’as pas été établi : l’administration. IBK, si j’étais devant un jury, le carton jaune que j’allais lui sortir c’est par exemple les réformes de l’Etat car moi j’étais persuadé qu’avec son autorité, on aurais pu réformer l’Etat malien car, par rapport à l’utilisation  des biens publics ,les véhicules de l’Etat qui circulent  les week-end, qui vont dans les champs, je pense que le minimum avec lui on aurait pu rétablir l’ordre, et ça sa n’as pas été le cas, il va falloir qu’il l’explique. Donc c’est une démocratie apaisée qu’il faut.

This Is Africa : Pourquoi les groupes jihadistes sont devenus aussi fort au Mali ?

Serge Daniel: Les groupes jihadiste sont devenus plus fort dans le Nord du Mali, parce qu’après l’intervention française de 2012, appelé Serval, qui a permis essentiellement d’empêcher leur progression vers le sud, il n’y a pas eu de dispositif sécuritaire valable et capable de prendre le relais de l’opération Serval. Ce qu’il fallait faire, était une intervention vigoureuse, une intervention féroce, contre les Islamistes et les trafiquants de drogues. La mission de paix de l’ONU qui est arrivée, avait pour mandat de faire une interposition entre les deux forces, c’est-à-dire les groupes armées jihadistes et  l’armée malienne.  Or, en réalité, il y avait trois forces sur le terrain: la principale force, les Islamistes, les jihadistes et les trafiquants, et puis un petit groupe d’indépendantistes soutenus par l’étranger. Donc on s’est trompé ou on n’a pas voulu plutôt voir la réalité des forces. Donc après l’intervention française Serval, ils se sont retiré dans un premier temps et il n’y avait quasiment plus de combat, mais sont revenus en force parce que l’espace étant vaste au nord du Mali, il n’y avait pas de contrôle, ils se sont reconstitués et ont commencé à poser des bombes, à faires des embuscades, donc à mener une guerre asymétrique, ce qui a facilité leurs implantations.

This Is Africa: Qu’est-ce qui pousse les jeunes maliens à adhérer à ces groupes ?

Serge Daniel : Le problème des jeunes au Mali, il y a d’abord,  l’endoctrinement et ce qu’on appelle l’auto-radicalisation, c’est-à-dire que lorsqu’ils vont sur internet ils peuvent se radicaliser, lorsqu’ils subissent un lavage de cerveau, ce que moi j’appelle le surchauffage de cerveau.

Mais le véritable problème des jeunes au Mali c’est le problème d’emploi et l’absence de perspective. Il y a 21 ans, la première fois je suis allé à Tombouctou, j’avais échangé avec les jeunes j’ai compris qu’ils ne veulent pas quitter Tombouctou, ou faire comme les autres qui viennent à Bamako pour vadrouiller. C’étaient donc des guides touristiques, mais maintenant il n’y a plus de tourisme, le tourisme est mort là-bas. Donc pour survivre sur cette terre, certains parmi eux avaient des véhicules qu’ils louaient, mais lorsque vous avez un véhicule et que vous voyez quelqu’un qui vous propose 100 milles FCFA par mois pourvu que vous veniez juste prier avec lui, donc ils sont tentés. Dans les localités par exemple, pourquoi on a difficilement le concours des populations pour lutter contre le terrorisme ? Car ce qu’on demande aux populations, c’est :« si vous voyez des terroristes par ici, faites nous savoir » ; et ils répondent : « pourquoi  prévenir ? On n’a pas à prévenir puisque ce sont ces terroristes qui nous donnent à manger, à boire, quand on est malade c’est eux qui nous soignent, qui nous amène des médicaments ». La lutte contre le terrorisme ce n’est pas seulement amener les armes et les hélicoptères, il faut la force ça c’est sûr, mais de l’autre coté il faut vraiment penser au développement.

This Is Africa: Qu’est ce qui devrait être fait pour que le Mali retrouve la paix et puisse contrôler l’intégralité de son territoire sans l’aide des forces étrangères?

Serge Daniel : Moi je suis persuadé que c’est par un nouveau type de gouvernance, car dans l’histoire de l’humanité, on n’a jamais assisté à une réunification d’un pays par le dialogue. Il y eût deux cas de figure dans l’histoire. Dans le cas du Vietnam, on a pu réunifier un pays par la force. Le deuxième cas de figure c’est par l’effondrement du mur de Berlin, mais dans le cas du Mali, on est très loin de l’effondrement, et on est très loin de pouvoir remporter le conflit par la guerre, je ne vois pas une partie remporter une guerre dans le nord du Mali.

Ce que le gouvernement fait actuellement à Kidal est très important, c’est-à-dire le retour à petit pas de la vie. La doxa de l’Etat a changé, parce qu’on s’est rendu compte que pour le cas de Kidal, on n’était en train de mettre les charrues avant les bœufs. Donc il faut un nouveau type de gouvernance, où il faut d’avantage impliqué les populations locales. Dans la partie septentrionale du Mali, il faut pouvoir respecter le droit des minorités, c’est-à-dire que le principe de one man one vote [un homme une voix ] ne peut pas être appliqué dans le Nord du Mali, parce que si vous appliquez ce principe, vous aurez des communautés qui serons marginalisées. Par exemple, des communautés qui gouvernent à Kidal, le chef traditionnel des Touaregs dans la tribu des Iforas, il est de Kidal, mais pour être élu député à l’assemblé nationale, il a été obligé d’aller se présenter dans une autre circonscription électorale, parce qu’à Kidal cette tribu n’est pas majoritaire, et que s’il se présentait à Kidal, il courait le risque de ne pas être élu. Or dans le dispositif pour le retour de la paix au Mali, c’est quelqu’un qui est incontournable. C’est pour dire qu’il faut repenser la gouvernance dans cette localité du Nord du Mali.

L’autre chose par exemple qui frappe, c’est que la seule chose qui quitte le sud pour Kidal c’est le charbon, tout le reste vient de l’Algérie, des pates alimentaires au carburan etc. Il faut que ce pays montre aussi que la partie Nord fait effectivement partie du Mali. Quand c’est un pays frontalier qui nourrit votre population, elle est tournée vers ce pays. À Kidal, pour savoir ce qui se passe au Mali, les gens allument la télévision algérienne, à Tombouctou certains sont branchés sur la télévision mauritanienne.

La crise a commencé véritablement en 2012, mais pour moi ça a commencé en 2011, car les enfants qui avaient 13 ans à l’époque, ont aujourd’hui 20 ans. Cela change énormément les choses. Ces enfants n’ont connu que Kidal, à qui on a savamment inculqué le slogan «  Azawad yes, Mali no ». Ces enfants-là, si vous voulez les ramener dans la République, c’est par la gouvernance , on ne peut pas géré Kidal comme on gère Kays, ce sont des spécificités dont il faut tenir compte.

Lucrèce Aminata Kante

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