Les enjeux d’opportunité sur le continent sont évidents. Dividende démographique, vitalité de la jeunesse, urbanisation mais aussi formidable capacité d’innovation et de bouleversement des modèles de développement constituent autant d’atouts de premier ordre pour les investisseurs. De surcroît, en 2050 et à croissance équivalente, l’Afrique aura le même PIB que la Chine. Mais pourquoi donc le «risque africain» reste-t-il, dans nombre d’entreprises françaises et pas forcément les plus grandes, si surévalué, et par certains aspects, déformé …voire caricaturé ?
Lorsque l’on appréhende les grandes tendances africaines, les chiffres peuvent rapidement donner le tournis. Dans 30 ans, 2 africains sur 3 vivront en ville soit plus de 1,3 Milliards de femmes et d’hommes. A date, plus de 52 villes du continent ont dépassé le million d’habitants, ouvrant la voie à une révolution urbaine sans précédent où les modèles connus devront être bousculés et où des solutions alliant frugalité énergétique et efficacité environnementale devront être combinées. De ce fait, le potentiel est considérable pour qui saura regarder et comprendre les enjeux terriblement modernes du continent. Transport, aménagement urbain, énergie, eau, déchets, les besoins des villes africaines ont été évalués à plus de 35 milliards de dollars par an. Ce chiffre reste toutefois purement théorique tant le déploiement de telles ressources se heurte aux réalités de gouvernance, de continuité de politique publique, ou dépend plus simplement du manque d’acteurs de terrain suffisamment formés.
Hypertrophie de la vision du risque
Or, au sein des états-majors de nos entreprises, petites ou grandes , ce qui devrait représenter un champ d’expansion géographique prioritaire se réduit très souvent à la crainte, à la méconnaissance plus qu’au choix assumé de priorités de croissance, certes sur des horizons de moyen et long terme. En Afrique plus qu’ailleurs, les échecs sont abondamment cités et les mésaventures amplifiées. De même, la gestion trop approximative des différences culturelles fait loi dans les décisions d’investissement, cédant même parfois à une hypertrophie de la vision du risque. Si l’on y ajoute le fait que les retours sur investissements en Afrique sont certes élevés mais un petit peu plus longs dans un contexte où nombre d’entreprises françaises, à l’instar de leurs homologues américaines, sont devenues prisonnières d’une culture du rendement trimestriel, l’on comprend mieux le recul de l’hexagone dans de multiples secteurs du continent.
Pourtant, réussir l’internationalisation de son entreprise en Afrique, c’est possible. Et l’histoire récente de plusieurs sociétés -avec leurs blessures et leurs victoires- peut servir d’exemple pour ceux qui croient que le continent est aux portes de l’émergence. Pour cela, trois conditions doivent être réunies.
Trois conditions à réunir
Il est tout d’abord fondamental de répondre localement aux expressions locales des besoins : il n’est plus question «d’appliquer» des modèles mais de bâtir en pleine acceptation avec les acteurs locaux les services et l’infrastructure dont ils vont bénéficier.
Second élément crucial, le temps est désormais venu de décentraliser le pilotage et la responsabilité de la gestion au plus près, pour en garantir une appropriation, gage de pérennité et de création de valeur sur le long terme.
Enfin, il est devenu incontournable de se répartir les rôles de façon claire, partagée et connue. Au niveau des Partenariats Publics Privés (PPP) ou de la Délégation de services publics par exemple, le secteur public trace les voies du long terme -niveau des services, tarifs, formes de partenariat- et le secteur privé quant à lui assure la performance de sa mise en œuvre, avec le soutien des moyens financiers à sa disposition.
Mais tout cela ne raconte qu’une moitié de l’histoire qui doit désormais être construite entre les entreprises françaises et le Continent.
Alors qu’un peu partout dans la planète, les peuples sont vraisemblablement en train de remettre en cause la manière dont la démocratie fonctionne, réclamant d’être plus et mieux associés à la gestion de leurs destins par leurs dirigeants, la question du partage des richesses et de la création de valeur ajoutée locale est plus que jamais au cœur de la problématique à laquelle sont confrontées les entreprises en Afrique. Bien entendu, il ne s’agit pas là de faire de l’angélisme : une entreprise qui ne fait pas de profits ne peut ni investir …ni partager ! Toutefois, lorsqu’il s’agit de vendre des biens et services à usage unique ou limité, comment ignorer l’origine de cette création de richesse ? La dimension géographique, mais surtout humaine, est toujours le fruit d’une co-construction. Organiser une meilleure répartition de la richesse créée est ainsi devenue une obligation non seulement morale, mais tout simplement économique.