Suite au scandale né des tuyaux de cyanure percés de Djidjan, la société « Randgold Ressources », à laquelle appartient la « SOMILO », exploitante des tuyaux, avait organisé une visite des lieux à l’attention de certains journalistes et autorités de la région de Kayes. Dans un entretien accordé aux journalistes qui avaient fait le déplacement, le chef de village de Djidjan affirmait que les populations ne s’étaient jamais plaintes et que le cyanure n’avait jamais tué un poulet au village. Mécontent de l’attitude de leur chef de village, les villageois, à défaut de pouvoir le démettre de ses fonctions, ont tenu à lui apporter un démenti. Ils ont donc organisé, le samedi 1er novembre 2014, un grand meeting de protestation sur la place du village. Invité par les organisateurs, votre fidèle serviteur a pris part à ce meeting.
Nous avons pris le départ très tôt, le samedi, à bord d’un car de la compagnie « Africa Star »;nous arrivâmes vers 14 h à Djidjan. A l’entrée de la localité, nous fûmes cueilli par un nuage de poussière rousse soulevé par le va-et-vient des camions et des cars qui traversaient le village. Portant un foulard de protection, nous fûmes reçus, à la gare, par une foule de villageois fort heureux de notre voyage. Un crieur public fit le tour du village pour confirmer la tenue du meeting et la participation du journaliste de« Procès-Verbal ». A 17 h, femmes, hommes et jeunes prennent d’assaut la place du village.
Après les salutations d’usage et les remerciements à notre endroit pour avoir répondu à l’invitation du village, le meeting débute. Le premier à prendre la parole, au nom des personnes âgées du village, fut Kalifa Touré. Il souligne l’étonnement du village par rapport aux propos tenus par le chef du village dans la presse. Pourtant, rappelle Touré, ledit chef de village fut le premier à remettre à la direction de la « SOMILO » une lettre de protestation au sujet des tuyaux de cyanure qui traversent Djidjan. Touré rappelle aussi que lorsque l’actuel président, Ibrahim Boubacar Kéita, était venu en campagne, le chef de village, accompagné de tous les villageois, lui avait montré les tuyaux de cyanure: IBK avait alors promis de les faire retirer s’il était élu. « IBK est un homme de parole et nous pensons qu’il tiendra sa promesse de faire retirer les tuyaux », ajoute Touré.
Moussa Traoré, troisième intervenant, n’est pas allé avec le dos de la cuillère: il estime que le premier à trahir le village n’est autre que son chef. Selon lui, en plus de la lettre de protestation, le chef du village a transmis à la direction de la « SOMILO » la liste des infrastructures socio-économiques que le village souhaitait obtenir en tant que site d’exploitation minière. Aujourd’hui, rien n’a été réalisé. Moussa Traoré de s’indigner qu’un conseiller du chef de village ait eu le culot d’affirmer qu’il est possible de boire le cyanure sans danger ! En ce qui concerne les propos du chef de village de Loulo, selon lesquels le cyanure n’aurait jamais tué un poulet, Moussa Traoré y répond en révélant qu’il y a une semaine, un âne mourut après avoir brouté de l’herbe à proximité d’un tuyau percé (voir photo). Pour terminer, il rappelle que la « SOMILO » avait fixé un ultimatum à tous ceux qui se habitent à proximité des tuyaux de déguerpir: pourquoi cet ultimatum s’il n’y avait nul danger à côtoyer les tuyaux ?Niarga Kéita, qui a travaillé deux ans dans les laboratoires de la « SOMILO », prend ensuite la parole pour révéler que le cyanure qui coule dans les tuyaux a une forte teneur en éléments toxiques – en langage scientifique « 80 PPM ». Or, pour qu’un produit ne soit par dangereux, il doit avoir une teneur inférieure à 8 PPM. C’est pourquoi, selon Niarga Kéita, lorsque les tuyaux se percent, la « SOMILO » déploie des vigiles armés sur les lieux pour empêcher les enfants et les animaux d’y rôder. « Si ce n’était pas un produit dangereux, pourquoi toutes ces mises en scène? », se demande-t-il.
Nabintou Traoré, présidente des femmes, affirme que les femmes de Djidjan soufrent de maux de ventre causés par la pollution des cours d’eau.Elle confirme que le village manque d’eau potable. Il faut, selon elle, intenter un procès à la « SOMILO », d’autant que la rentrée judiciaire de cette année avait pour thème la protection de l’environnement. Lors de cette rentrée, souèligne Nabintou, le président du président de la République, Ibrahim Boubacar Keita, a déclaré que la protection de l’environnement souffrait de l’inapplication des textes nationaux et internationaux.
Après le meeting, boudé par le chef de village, nous avons pris le chemin du retour. Ayant passé la nuit à Kéniéba, nous avons regagné Bamako à bord d’un car de la SONEF. Les villageois nous ont remis des frais de route de 30. 000 FCFA que nous préférons largement au voyage en avion et aux perdiems de 250 000 FCFA dont la SOMILO a gratifiés ses journalistes de propagande.
Abdoulaye Guindo