Le traité de défense est arrivé, entouré de toutes les préventions. Pourtant il contient la réponse incontournable au péril terroriste
Le président Houphouët-Boigny qui avait forgé en 1958 la formule « France-Afrique » (laquelle a ensuite muté en « Françafrique ») ne se doutait certainement pas que sa création aurait une vie aussi longue et surtout une mauvaise réputation aussi tenace. En effet, le concept qui a entretemps acquis une connotation particulièrement négative, sert encore aujourd’hui de grille de lecture dans un monde qui a considérablement évolué depuis le moment où il a été mis en usage. Depuis le moment où la France régentait effectivement son fameux « pré carré » africain et célébrait avec les membres de ce dernier la grande messe des sommets uniquement destinés à vérifier la solidité de l’attelage. Depuis le moment où le tout-puissant secrétaire général de l’Elysée, Jacques Foccart, endossait le rôle du missus dominicus (l’envoyé du maître) chargé de porter les oukases, de distribuer les faveurs et de fixer le montant des dîmes. Depuis le moment où il n’était pas inimaginable de voir les troupes françaises intervenir pour faciliter l’installation d’un homme lige (en 1964 au Gabon) ou pour faciliter la mise à l’écart d’une personnalité jugée gênante (en 1979 en Centrafrique).
Antoine Glaser, ancien directeur de la très renseignée « Lettre du continent », a dans un récent ouvrage (« L’AfricaFrance ») démontré qu’au fil des années le système avait fini par produire des effets inverses de ses manifestations originelles. En effet, par un ironique renversement de l’Histoire, les gouvernants africains ont à leur tour pesé sur les décisions politiques françaises. Au-delà du rappel ou du refus d’accréditation d’ambassadeurs jugés pas assez « conformes », Glaser évoquait les cas de relève anticipée sous François Mitterrand et sous Nicolas Sarkozy de ministres chargés de la Coopération qui avaient eu la prétention d’instaurer une gouvernance plus « morale », quitte à bousculer des partenaires de longue date. De tels signaux montraient que la Françafrique, telle qu’elle existait et était perçue il y a encore une dizaine d’années, n’a plus et ne peut plus avoir cours.
Cela en raison de plusieurs facteurs. Dont le plus important, à notre avis, combine deux phénomène très différents, l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle classe politique moins inhibée par l’attachement à l’ex métropole et la prise de distance accentuée des dirigeants anciens avec un partenaire qui a gardé son indispensabilité, mais pas son incontournabilité. La deuxième raison est, bien entendu, l’irruption en force de nouveaux intervenants, notamment chinois, qui bouleversent les offres de coopération et offrent une alternative de financement souvent moins contraignante aux Etats africains. La France s’est donc adaptée à ces nouvelles réalités, même s’il en coûte souvent à ses élites politiques et du monde des affaires d’accepter la réduction de leur influence. L’évolution a tout naturellement concerné le domaine militaire. Fini le temps des grandes bases militaires à l’étranger à l’entretien dispendieux et à l’utilité discutable. Evacuées aussi les clauses secrètes accolées aux traités de coopération militaire qui permettaient en cas de difficulté de secourir un « ami » qui avait auparavant consenti des facilités extraordinaires d’installation.
UNE TEMPÊTE ÉMOTIONNELLE. Autre évolution majeure, une intervention militaire se prépare et s’exécute désormais sous mandat de l’ONU. Ce préalable n’éteint pas toutes les polémiques ainsi que l’a démontré l’interprétation extensive du feu vert des Nations unies faite en Lybie par les alliés de la coalition anti-Khaddafi. Mais il codifie les limites de l’usage de la force et met un terme à des pratiques qui paraissaient ressusciter les plus discutables expéditions coloniales. Ce préambule assez long était, à notre avis, nécessaire pour dire qu’en raison des nouvelles données internationales, la conclusion d’un traité de coopération de défense entre la France et le Mali n’aurait pas dû soulever une telle tempête émotionnelle et susciter autant d’incompréhension et d’inquiétudes. En fait, les complications sont venues d’une proposition de date et de l’attachement à un site.
La date est celle du 20 janvier 2014 qui avait été annoncée par le ministre français de la Défense lors d’une interview comme celle retenue pour la signature de traité de coopération. La levée de boucliers fut immédiate et quasi unanime, les Maliens ayant la sensation qu’était remise en cause la signification symbolique d’un jour qui consacrait (dans l’imaginaire collectif) le départ du sol malien des dernières troupes françaises. Les plus virulents avaient même accusé les autorités françaises de vouloir se donner une revanche sur l’histoire et d’entamer à la faveur de l’opération Serval une recolonisation qui ne disait pas son nom. Dans le droit fil de ces accusations, a surgi et prospéré le soupçon d’accaparement du site de Tessalit par l’armée française sous prétexte de poursuivre la lutte contre les terroristes. Là, encore la valeur symbolique a pesé de tout son poids, la non attribution de Tessalit à un partenaire étranger attestant depuis les premières années de l’Indépendance de notre volonté de préserver notre souveraineté et notre neutralité.
Les contestataires devraient cependant avoir désarmé depuis le 16 juillet dernier s’ils se sont donné le temps de prendre connaissance du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République du Mali. Conclu pour une période de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction, le traité balise les domaines de coopération militaire entre les deux pays et organise les modalités de séjour et d’action des forces françaises appelées à être basées sur le sol malien. Deux points essentiels sont à relever dans document. Le premier, qui figure parmi les « considérant », rattache l’objet du traité aux efforts déployés par l’Afrique elle-même pour assurer la paix et la sécurité sur ses terres. En attendant que soit opérationnelle l’architecture africaine dans ce domaine, le traité ouvre pour ses signataires la possibilité « d’associer les contingents nationaux d’autres Etats africains à certains activités (…) en concertation avec les organisations concernées ».
De même l’Union européenne et ses Etats membres « peuvent être invités (…) à s’associer aux activités prévues » par le traité. Le second point précise l’objet principal du traité. Il indique que les signataires s’engagent dans « une coopération en matière de défense afin de concourir à une paix et une sécurité durables sur leur territoire, notamment par la sécurisation des espaces frontaliers et la lutte contre le terrorisme, ainsi que dans leur environnement régional respectif ». L’initiative franco-malienne prend donc en charge deux réalités d’une acuité indiscutable et qui n’étaient pas encore d’actualité lors de la conclusion de l’Accord de coopération militaire technique signé à Bamako le 6 mai 1985. Ce précédent accord avait d’ailleurs pour but le renforcement de la capacité de défense de notre pays principalement par l’organisation et l’instruction de ses Forces armées.
À HAUTEUR DE NÉCESSITÉ. La première des nouvelles réalités est la menace terroriste, et par conséquent, l’instabilité dans les zones frontalières suscitée par cette menace alliée à d’autres phénomènes négatifs. La deuxième est l’incontournable nécessité d’une réplique solidaire et concertée à ces périls. Une réplique qui passe certes en Afrique par la mise sur pied de la très attendue force en attente sur laquelle l’Union africaine planche depuis un an et demi. Mais en attendant que ce grand projet n’aboutisse, le traité franco-malien n’écarte pas un schéma intermédiaire et pragmatique qui consisterait à recourir au concours des contingents fournis par une région donnée. L’invitation de participation faite à l’Union européenne, contenue dans le texte, relève du souhait de Paris de voir d’autres partenaires s’impliquer davantage dans un combat qui participe de la préservation de la sécurité collective du Vieux continent. La France, du fait de son expérience du terrain et de ses relations privilégiées avec un certain nombre de pays africains, s’est portée en première ligne, l’UE intervenant essentiellement dans la formation, l’équipement et la logistique. Mais les événements survenus au cours des derniers mois montrent bien que le danger terroriste, loin de se réduire, se complexifie, se ramifie et tend à prendre des formes de plus en plus radicales. Or, il n’est pas certain que toute l’UE ait pris la pleine mesure de cette évolution et perçoive l’urgence d’un investissement à hauteur de nécessité.
En dehors de l’énoncé de ces principes forts, le traité aborde les questions assez classiques liées à un séjour de longue durée des troupes françaises au Mali. Il est toutefois intéressant de relever que le document affine les formes de coopération militaire entre nos deux pays en mettant au tout premier rang de celles-ci « les échanges de vues et d’information relatifs aux vulnérabilités, risques et menaces à la sécurité nationale et internationale ». Autrement dit, les renseignements, matière primordiale dans la situation actuelle.
Avec les événements de Kidal, nos compatriotes se sont résignés à la nécessité du traité de défense plus qu’ils ne l’ont vraiment admise. Ils ont lâché un acquiescement du bout des lèvres sans se défaire de toutes leurs préventions et de toutes leurs suspicions. C’est cette humeur qu’il importe de changer en faisant comprendre que ce qui est conclu ne compromet en rien notre souveraineté. Mais permet de mieux nous organiser dans un combat que nous devons admettre comme long, complexe et inédit. Un combat dans lequel l’Afrique a le devoir de jouer un rôle de plus en plus décisif. Pour se porter à la hauteur d’un partenaire aujourd’hui plus aguerri.
G. DRABO
source : essor