
« Depuis ce matin ils n’ont rien mangé ni bu. C’est inhumain le traitement qu’on leur réserve ! »
A quelques pas de lui, une femme enceinte, très menue, accroupie, qui semble exténuée, attire particulièrement l’attention de Christine, une des soutiens, réclamant qu’on lui octroie une chaise, le temps qu’elle monte dans un des bus, d’autant qu’il fait extrêmement chaud. De son côté, ce Soudanais très grand de taille, qui observe l’opération, tenant un sac en plastique avec toutes ses affaires, interpelle les forces de l’ordre sur le fait que son épouse est parmi les réfugiés qui monteront dans un des bus, demandant à la rejoindre pour ne pas perdre sa trace. Impassible, l’agent en face de lui fait mine de ne pas comprendre. C’est finalement l’intervention d’une bénévole qui lui permet d’obtenir gain de cause.Bien que l’évacuation se déroule dans le calme, la situation n’en reste pas moins tendue. De nombreux passants souhaitent traverser l’avenue mais en sont empêchés par les CRS qui les obligent à faire des détours. « Mais monsieur je travaille juste au bar d’en face, je ne vais pas faire le tour pour rien ! Je suis déjà très en retard ! », rouspète ce jeune homme en skateboard. « Vous ne pouvez pas passer par ici tant que l’opération n’est pas terminée », lui rétorque les agents, qui ne daignent pas dissimuler leur agacement : « Franchement j’en peux plus ! Je meurs de chaleur là, ça dégouline à l’intérieur », clame cet agent. « Au fait, les bus les emmènent où ? », demande cet autre policier à un de ses co-équipiers, qui n’a pas su répondre à sa question.
« Il va peut-être falloir qu’on envisage de rentrer car on ne peut plus continuer à dormir dans la rue »
La tension est aussi vive du côté des autres réfugiés, au nombre d’une centaine, qui ont échappé à la police ce matin, tenus à l’écart par une dizaine de CRS qui les encerclent eux aussi. D’autant que certains d’entre eux souhaitent rejoindre leurs camarades qui monteront dans les bus, espérant être logés, même si rien n’est moins sûr « car il s’agit d’une véritable loterie et tout le monde ne sera pas logé », expliquent leurs soutiens. Une incertitude qui n’empêche pas ce jeune Soudanais de tenter de convaincre les CRS en face de lui de le laisser rejoindre ses compatriotes pour monter lui aussi dans un des bus : « Ce matin je dormais à l’Avenue mais je suis parti avant que votre opération ne débute. Laissez moi monter dans le bus monsieur, croyez moi je vous dis la vérité, j’étais à l’Avenue comme les autres », explique-t-il. Mais rien à faire. Les agents sont catégoriques : « Il n’y a plus de place pour les hébergements ! ». Deux autres Soudanais demandent aux forces de l’ordre s’ils peuvent récupérer leurs affaires qu’ils avaient laissé sur l’Avenue avant de s’en aller juste avant le début de l’évacuation. La réponse des agents est là aussi négative, surtout que l’on peut déjà apercevoir les éboueurs qui se préparent à ramasser et jeter aux ordures tout ce qu’ils trouvent sur l’Avenue : matelas, cartons, couvertures…
« Mon Dieu, qu’est ce qu’on va devenir dans ce pays ? »
« Mon Dieu, qu’est ce qu’on va devenir dans ce pays ? Comment on va faire pour s’en sortir ? », s’interroge le regard hagard, Amadou, jeune guinéen, arrivé en France il y a huit mois, dormant dans la rue. Lui aussi est venu assister à l’évacuation avec d’autres de ses compatriotes, tout aussi démunis. « On ne mérite franchement pas d’être traité ainsi La France n’a pas le droit de nous faire ça ! », renchérit-il, avant d’ajouter d’un ton désespéré : « Si ça continue il faudrait peut-être envisager de rentrer car ça ne peut plus continuer à dormir dans la rue ». « Moi je vais retourner à Créteil, où je dors sous les ponts car visiblement la situation des réfugiés à Paris est encore pire », affirme pour sa part Tully. « Je n’aime pas du tout la police et je ne la supporte pas », rumine également Issam, Soudanais de 18 ans, qui explique avoir dû fuir la guerre dans son pays pour se réfugier.A quelques pas, Agathe, soutien également très active, qui se démène comme elle peut pour prendre soin des plus fragiles, notamment des femmes et des plus jeunes, attendant leur tour pour monter dans un bus, ne cache pas sa colère face au manque d’organisation et à l’absence de politique d’accueil des réfugiés sur Paris. « Franchement c’est désolant ! Nous sommes fatigués de faire le travail du Samu social ! C’est eux qui devraient être à notre place pour leur prêter assistance. Ca commence à bien faire ! », s’insurge-t-elle.