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Pierre Duquesne, ambassadeur chargé des questions économiques de reconstruction et de développement au ministère français des Affaires étrangères : «Les problèmes du Mali ne sont pas réglés»

Pierre Duquesne a été au cœur de l’organisation de la Conférence internationale des donateurs pour le développement du Mali, qui s’est tenue à Bruxelles le 15 mai 2013.

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Il semble important de rappeler qu’en amont de cette Conférence de Bruxelles, 5 rencontres préparatoires avaient été organisées avec des acteurs non gouvernementaux : deux à Bamako (une avec les entreprises et l’autre avec les ONG), deux en France (une à Lyon avec les collectivités locales, l’autre à Montreuil avec la diaspora), et une à Bruxelles avec les Femmes du Sahel. Les conclusions de la Conférence de Bruxelles sont d’une extrême clarté : Les crises politique et sécuritaire de 2012 au Mali n’étaient ni conjoncturelles, ni uniquement liées à des facteurs extérieurs, elles n’étaient pas un simple accident de parcours dans un parcours sans faute. La Conférence a donc validé une approche non séquentielle afin de traiter les causes structurelles en avançant sur tous les fronts à la fois, la sécurité, la tenue des élections, la culture, l’éducation, la santé, les infrastructures et la lutte contre la corruption. Les promesses de dons qui avaient été faites lors des conférences internationales précédemment organisées pour des causes semblables n’ayant souvent pas abouti, la création d’une commission internationale de suivi, impliquant des acteurs non gouvernementaux, a été décidée. Cette commission doit se réunir 3 fois par an afin que les bailleurs et le Mali présentent à chaque fois l’avancement de ce qu’ils s’étaient chacun engagés à faire. Elle s’est réunie le 7 novembre 2013 à Bamako, le 5 février 2014 à Bruxelles, et le 15 mai dernier à Bamako.

Pouvez-vous nous dire le nombre de bailleurs ayant fait promesse de dons qui ont concrétisé l’aide, et nous parler de l’impact d’une telle mobilisation internationale ? 

Sur les 3,285 milliards d’euros promis par 55 bailleurs, il est estimé que 70% ont été engagés, et un peu moins de 45% versés, sachant que, mises à part les aides de l’Union européenne et de la France, l’ensemble n’a repris qu’en septembre 2013, et celles du Canada et du Japon que très récemment. Tous les bailleurs agissent dans le processus d’alignement des actions sur les priorités du Mali, dans le cadre du Pred (Plan pour la relance durable du Mali). Dans ce genre d’action, tout le monde s’engage, les bailleurs s’engagent, et le pays récipiendaire s’engage. Il faut que les deux côtés commencent en même temps. Après les élections présidentielles, le gouvernement malien a repris à son compte l’ensemble des engagements validés à Bruxelles par le gouvernement de transition. La mobilisation pour la relance du Mali est sans précédent et prouve la confiance accordée au Mali.

L’aide bilatérale de la France au Mali s’élève au total à 280 millions d’euros sur la période 2013-2014, faisant de la France le premier bailleur bilatéral.

Sachant qu’une partie de l’aide de la France est constituée d’un % de prêts, pouvez-vous nous parler des conditionnalités dont elle est assortie ?

Il faut, en effet, faire la distinction entre l’aide budgétaire qui provient de l’ensemble des bailleurs, et l’aide bilatérale qui est un accord d’Etat à Etat. Cette aide, qu’elle soit budgétaire ou bilatérale, provient évidemment de l’argent des contribuables des pays donateurs, car aucun argent ne pousse nulle part, ni dans les rues de l’Union européenne, ni à Paris, ni dans aucun autre pays. Parlons d’abord de l’aide budgétaire. Les sommes allouées vont dans le budget de l’Etat récipiendaire sans affectation particulière. L’Etat décide ensuite comment les employer. Il est donc utile et nécessaire d’exiger que cet argent soit bien géré. Le gouvernement malien semble avoir commencé la répartition de l’aide budgétaire par secteur, privilégiant d’abord l’aide humanitaire et l’organisation des élections. Sur les 1,5 milliards d’euros qui ont déjà été versés, environ 25% de l’aide budgétaire provient de l’UE dans le cadre du budget spécifique pour l’Afrique sub-saharienne du FED (Fonds européen de développement), auquel la France participe à hauteur de 20 %. Tous les bailleurs alignent toujours leur aide budgétaire sur les conditionnalités des institutions financières internationales (FMI, BM, et les banques régionales telles que la BAD, Banque Africaine de Développement), ce qui évite que chacun n’arrive avec ses propres conditions. Le remboursement des prêts est échelonné sur 20, 25 ou 30 ans. Tout se résume ensuite à l’intégrité dans la gestion des services publics.

Pour en revenir à l’aide bilatérale entre la France et le Mali, rappelons que l’aide à projets finance des projets précis. Si une aide est attribuée pour la construction d’une station d’assainissement par exemple, les conditionnalités sont liées au projet lui-même. On espère en effet un impact économique positif pour le pays, et donc, qu’à terme, cette station qui  va rapporter de l’argent aux opérateurs économiques permettra de rembourser le prêt d’origine.

Pouvez-vous nous parler du site internet dédié à la transparence française au Mali, créé par la France pour permettre à tout citoyen, au Mali, en France ou ailleurs, de contrôler la bonne utilisation de l’aide attribuée par la France à la réalisation de projets au Mali, et nous dire quel bilan la commission en a fait ?

Cette décision a été prise par respect pour les contribuables français puisqu’il s’agit de leur argent, et par respect pour les Maliens qui veulent savoir comment les choses se passent. Le site est devenu opérationnel le jour de l’investiture du président IBK. Quand des questions sont posées, on y répond. L’idée de ce moyen de surveillance citoyenne était une première, et la décision de la généraliser à tous les pays bénéficiant de l’aide de la France a été prise lors de la réunion du CICID (Comité interministériel de la coopération internationale et du développement) du 31 juillet 2013. Tous les bailleurs, dans un même souci de transparence, souhaitent aujourd’hui en faire autant afin de suivre la réalisation des projets qu’ils financent.

Vous disiez qu’il fallait que le gouvernement mette l’accent sur la lutte contre la corruption. Où en est-on ?

Dans la nuit du 15 au 16 mai 2014, l’Assemblé nationale du Mali a adopté le projet de loi de lutte contre l’enrichissement illicite, ce qui était attendu depuis la Conférence de Bruxelles. Cette loi ne va pas régler tous les problèmes de corruption au Mali, mais son adoption est un symbole important, et le renversement de la charge de la preuve pèse assez lourd, puisque c’est à la personne accusée de prouver qu’elle est innocente.

À Bruxelles, il avait été demandé que les rapports du BVG (Bureau du Vérificateur Général) soient mieux exploités. Depuis 6 mois, les rapports rédigés par le BVG qui signalent un problème de malversation dans tel ou tel domaine ou secteur sont maintenant systématiquement, et au fur et à mesure, envoyés au juge compétent, sans aucun filtrage gouvernemental. Reste maintenant à la justice malienne de juger et sanctionner les infractions. Le ministre de la Justice s’est lui-même engagé pour veiller à éradiquer toute corruption du système judiciaire, ce qui demeure un énorme chantier.

Est-ce que vous avez des mots pour conclure ?

Le soir de la conférence de Bruxelles, personne n’aurait osé imaginer qu’on en serait là où on en est aujourd’hui, un an après, presque jour pour jour. La commission de suivi qui s’est réunie le 15 mai dernier à Bamako, en présence d’Annick Girardin, Secrétaire d’Etat au Développement et à la Francophonie, auprès du ministre français des Affaires étrangères et du Développement international, n’a constaté que tout avance dans les divers domaines. Comme prévu, un représentant des collectivités locales, un du patronat et deux de la société civile ont participé à cette réunion. Ils se sont félicités d’être encore dans le processus de suivi. Cependant, sans aborder les derniers événements, il est évident que les problèmes du Mali ne sont pas réglés. Il est regrettable que le Mali revienne sur le devant de la scène par ce qui s’est passé à Kidal. Cela révèle l’erreur que certains commettaient en considérant que le dossier sécuritaire était clos. Le Mali est encore attendu sur un certain nombre de sujets. D’ici la prochaine réunion de la Commission de suivi qui se tiendra le 30 septembre 2014 à Paris, il faut que la décentralisation se mette en place, que la justice fasse son travail en ce qui concerne la lutte contre la corruption, que la pression fiscale soit élargie, en luttant contre l’évasion fiscale, en étudiant bien les données sur l’import-export, sur les sociétés et sur les contrats miniers, pour augmenter les recettes de l’Etat et permettre au Mali de se dégager petit à petit de la dépendance vis-à-vis de l’Internationale.

Propos recueillis par Françoise WASSERVOGEL (le 23 mai 2014)

SOURCE: Le Reporter
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