On ne sait rien d’elle, mais le Pentagone s’emploie à faire croire que sa mystérieuse prisonnière détient des informations si précieuses sur l’Etat islamique qu’elles sont à même de peser sur les batailles en cours, en Irak et en Syrie.

Celle que l’on désigne simplement du nom d’Oum Sayyaf (la Mère de Sayyaf), a été capturée le 16 mai par un commando Delta des forces spéciales de l’armée américaine lors d’un raid mené dans le nord de la Syrie. L’opération visait plusieurs cadres de l’organisation jihadiste, dont son mari Abou Sayyaf. Ces responsables ayant été tués, les soldats américains sont repartis avec des ordinateurs, ce qui a permis de saisir de 4 à 7 téraoctets de données, selon un responsable américain du renseignement cité par le New York Times, et des téléphones portables. Ils ont aussi capturé Oum Sayyaf, qui se trouvait sur place. Ils la détiennent depuis sur une base, semble-t-il en Irak.

UNE «CONSEILLÈRE MAJEURE» ?

C’est cette prisonnière que les services américains s’emploient à décrire comme une belle prise, voyant même en elle «une conseillère majeure» de l’organisation jihadiste. D’où des articles dans la presse américaine, en particulier un – cité par Libération – du journal en ligne The Daily Beast, sur cette pasionaria de la guerre sainte. Elle «a joué un rôle important dans les activités terroristes de l’EI», a indiqué le ministre de la Défense américain Ashton Carter, cité par ce journal. Elle est «la source de renseignements la plus précieuse» qui soit tombée entre les mains des Etats-Unis, écrit The Daily Beast.

Reste que les informations données par le Pentagone apparaissent cousues de fil blanc. D’abord, son mari, Abou Sayyaf, présenté par le renseignement américain comme le responsable financier de l’EI, chargé en particulier de superviser la contrebande de pétrole et de gaz, ne l’est sans doute pas. Personne n’a jamais entendu parler de lui et il ne figure dans aucun des organigrammes de l’EI. Dès lors, sa veuve perd beaucoup de son importance puisque c’est la notoriété de son époux qui lui donnerait son rang.

CHARGÉE D’ORGANISER LES RÉSEAUX DE VOLONTAIRES ?

Et il est aussi difficile de croire qu’elle ait été chargée d’organiser les réseaux de volontaires féminines au sein de l’Etat islamique et qu’elle chapeautait le réseau d’esclaves sexuelles, deux fonctions qui sont fondamentales au sein de l’organisation extrémiste, et ne sauraient donc être confiée à des femmes. Si les femmes jouent bien un rôle au sein de l’EI, c’est celui d’épouses dévouées et de mères chargées de préparer les enfants à une vie pieuse et de sacrifices.

Sur le terrain militaire, elles peuvent être kamikazes, messagères, espionnes, en particulier surveiller le comportement des autres femmes de jihadistes. Ou intégrer les «Brigades de répression du vice et de promotion de la vertu» qui remplissent des fonctions de police religieuse dans les villes conquises et sont souvent confiées à des Occidentales ne parlant pas l’arabe. Mais pas davantage.

UN BROUILLAGE DE PISTE ?

En fait, donner un rang de premier plan à une femme serait totalement anachronique pour une organisation qui justifie chacun de ses actes par des écrits, des actes, des paroles ou des anecdotes remontant à l’époque de Mahomet et des quatre premiers califes.

Pourquoi dès lors les services américains accordent-ils un tel poids à Oum Sayyaf au point qu’ils ont distillé des informations pour le moins incongrues ? Pour brouiller les pistes ? Pour valoriser les raids de la force Delta ? Les voies des services secrets sont décidément mystérieuses.

Jean-Pierre PERRIN
Source: Liberation