« Janjo » pour Aoua la restauratrice et Saïba l’orpailleuse. Ces battantes, au parcoursdifférent, ont déployé la même volonté de fer pour réussir dans la vie
L’une est restauratrice, mariée et mère de deux enfants ; l’autre est orpailleuse et veuve. Elle lave les alluvions aurifères pour avoir de quoi nourrir ses 6 enfants. Leur point commun est leur détermination à vivre à la sueur de leur front. Aoua Sy et Saïba Sissoko sont des «amazones» qui ont suivi des parcours différents. Dans la mythologie grecque, les amazones sont une communauté de femmes guerrières que la tradition situe sur les rives de la Mer noire. Certains historiens les placent précisément sur les bords du Pont-Euxin, dans le nord de l’Asie mineure actuelle. D’autres situent leur territoire dans l’extrême ouest de la Libye. Nos deux «amazones» contemporaines ne sont pas des filles d’Ares, ni des descendantes de Zeus et de Era. Elles sont des battantes. Elles font preuve d’un courage olympien et refusent de porter la robe de la fatalité qui cloue la femme au foyer.
La peul Aoua Sy est d’une respectable lignée. Elle est issue d’une famille aisée, bien connue dans le Tambaoura. La fortune a souri à tous les membres de la famille Sy. Ils se sont distingués dans le monde des affaires à Kéniéba. Ils sont dans l’hôtellerie, la restauration, le commerce, l’immobilier.
La restauratrice Saïba Sissoko est née griotte. Sa mère a vécu en se conformant à la tradition. Elle assiste les nobles. Elle compose et chante leurs louanges lors des cérémonies. Les récompenses et les dons lui assurent les moyens de vivre décemment. Loin d’être oisive, elle a perpétué la tradition telle qu’elle lui a été léguée par ses parents. La société africaine est bien organisée. à priori tout oppose Aoua Sy et Saiba Sissoko. L’une est plantureuse et la peau claire . L’autre est noire et mince. La première est en couple. L’autre est veuve.
L’orpaillage traditionnel est, pour le commun des mortels, une activité exclusivement réservée aux hommes. La réalité sur le terrain est différente. Pour s’en convaincre, je vous invite à faire un tour dans la Région de Kayes. Vous ferez la connaissance de l’audacieuse et maigrichonne Saïba Sissoko, aux cheveux courts exposés aux quatre vents. Le confort tiré du statut de griotte, voler d’un mariage à un autre comme un papillon dans la prairie, ou attendre le prix de condiments d’un mari avare encourage l’épouse à la paresse. Ces facilités n’ont jamais effleuré l’esprit de Saiba, à plus forte raison d’en faire son mode de vie. Depuis la tendre jeunesse, elle a décidé de descendre dans l’arène pour tirer son épingle du jeu. Aujourd’hui, du haut de ses 46 ans, cette dame s’impose dans le paysage aurifère de sa contrée. « Au temps du Général Moussa Traoré, nous alternions les activités d’orpaillage avec les travaux champêtres. De nos jours, les champs sont désertés », raconte Saïba en me recevant devant son immeuble.
LE FLAIR DES AFFAIRES. Le cordon bleu de Kénièba, Aoua Sy, a le flair des affaires dans le sang. Dans sa famille, le business vient avant tout. Même l’école. C’est au niveau de la 5ème année fondamentale que la jeune fille désertera le cours primaire. Elle était convaincue de perdre son temps. Un appel lointain pour aller ramasser l’argent la poussera à abandonner ses études.
La tentation fut si forte qu’elle n’eut pas la patience de décrocher le Certificat d’études primaires. L’avenir lui donnera t-elle raison ? Cela se saura. Dans la foulée, ses parents accorderont sa main à un jeune prétendant. Elle avait à peine 15 ans. Son mari verra d’un mauvais œil, l’activité commerciale et les nombreux voyages de sa femme dans les pays limitrophes. Mais la chance souriait à son épouse au cours de ses déplacements. La restauratrice avait bénéficié d’un coup de piston désintéressé et généreux de la famille Sy. Au contraire, la griotte Saïba a dû avaler des couleuvres. Elle est très pauvre. Et elle a perdu très tôt son père. Elle a vécu une enfance difficile dans une maison d’où elle finira par être chassée comme une malpropre. Aujourd’hui, elle est adulte, et elle n’a pas mille solutions. Il faut se battre. D’accord pour le principe, mais avec quels moyens ? L’enfance perturbée devient la source d’énergie de la griotte. Elle prend la décision de chercher de l’aide. Il ya une dizaine d’années, une association a fait confiance à Saïba Sissoko, en lui accordant un prêt remboursable de 10 millions de Fcfa. Elle a décidé de partir au Sénégal, à Karakina, pour développer ses activités d’orpaillage. Manque de chance, les Sénégalais ont chassé sans ménagement les orpailleurs traditionnels du site qu’ils exploitaient. « à mon retour, j’ai décidé de voler de mes propres ailes chez moi. Je suis griotte, mais je refuse de vivre au crochet des nobles. Je me suis engagée dans l’aventure de l’or en achetant une parcelle de 5 ha à Dabia. Et la vie de Saïba changea. La parcelle acquise se révélera un don du ciel. Les pépites d’or tapissaient son sous-sol. La ruée des chercheurs d’or fera sa fortune.
La patronne du restaurant qui fait dos à l’hôtel Falema a pris le temps d’installer son empire. Elle multiplie les activités. La commerçante rachète le restaurant de l’hôtel de son grand frère. La nouvelle femme d’affaires Aoua y injectera un fonds conséquent. Elle donnera ainsi au restaurant « Faleme » ses lettres de noblesse. Depuis 2006, elle s’est installée en ces lieux stratégiques pour vendre de la nourriture à une clientèle de voyageurs affairistes, de miniers, d’orpailleurs …
GORGÉE D’OR. «Je suis native de cette ville. J’ai abandonné l’école quand j’étais en 5ème année à l’école fondamentale. Ma famille vit du commerce. J’ai pris en main ce restaurant en collaboration avec mon grand frère promoteur d’école. Avant d’ouvrir le restaurant, elle vendait des produits de beauté et des tissus. Dans sa vie antérieure, elle a parcouru le Sénégal, la Gambie, le Togo, le Burkina Faso à la recherche de bons plans. J’ai rencontré mon mari lorsque j’avais 15 ans. Depuis, nous sommes en couple. J’ai deux enfants dont une fille de 20 ans. Mon mari me soutient dans mes activités», témoigne la reconnaissante Aoua Sy.
«Un jour, j’ai entrepris de creuser un puits dans ma parcelle. J’ai découvert que la terre extraite du trou est gorgée d’or ». Après un long procès, la battante a consolidé sa propriété en obtenant un titre foncier en acquittant les frais s’élevant à 35 millions de fcfa. « Je paye toutes les taxes en qualité d’exploitante minière », a -t -elle affirmé. Elle travaille avec des partenaires financiers (marchands d’or). Ce groupe de professionnels a pu dégager des bénéfices. Et les chiffres d’affaires s’élèvent à plusieurs dizaines de millions de Fcfa. Sur sa parcelle de 05 ha, la désormais patronne d’un site d’orpaillage dispose de 13 équipes de 6 personnes. Le plus important est de faire en sorte que tous les travailleurs trouvent leur compte. Les propos suivants prouvent que Saïba a la tête sur les épaules et qu’elle n’est pas vorace :« Je suis femme. Je ne peux pas résider sur place en la compagnie des orpailleurs. J’ai trouvé un consensus avec les exploitants. Chaque mois, chaque équipe me verse 10 grammes d’or. Je ne cherche pas à connaître leur gain. En 2016, une équipe a découvert une pépite de 7 kilogrammes d’or. Le gramme coûtait 10.000 Fcfa », raconte avec fierté l’exploitante. Elle précise qu’elle n’a reçu que 30 grammes sur les 7 kg d’or. La petite fortune de Saïba profite aux autres. Elle a réalisé trois forages au bénéfice des villages environnants. Par ailleurs, elle a prouvé son sens des affaires en plaçant une partie de ses revenus dans l’immobilier.
La restauratrice Aoua et Saïba l’orpailleuse sont fières de leurs parcours. à force de croire en leur bonne étoile, la réussite leur a tendu les bras. La patronne est satisfaite du rendement de son équipe de 13 personnes dont une dizaine de femmes. Elle les félicite en ces termes : « Les affaires prospèrent », reconnaît la joviale Aoua, qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Les travailleurs des mines et les clients de l’hôtel sont les principaux clients. Le cordon bleu leur propose du poulet, du poisson, du riz, de la viande, du couscous, des fritures, etc. La force de l’établissement de Aoua, à la différence des autres restaurants, est la variété du menu. Le client trouve presque tout chez elle.
ENCORE PLUS LOIN. Pour l’instant, le souhait de Saïba Sissoko est d’achever son immeuble dont la construction a démarré depuis deux ans. « En ce moment, les affaires ne marchent pas comme je le souhaite. Tout ce que je gagne est distribué aux agents municipaux, gendarmes et agents des Eaux et Forêts », se plaint-elle dénonçant la cupidité de certains fonctionnaires publics. L’état a le dos large. La minière espère, dans les prochains jours, rencontrer un partenaire crédible qui dispose de ressources suffisantes pour exploiter l’or de sa parcelle. Des tonnes d’or sont encore cachées dans ses entrailles. Il faudrait les extraire pour assurer un avenir sans accroc à sa progéniture. « Je suis leur père et leur mère», insiste-t-elle avec un sens aiguë de la responsabilité.
Aoua Sy peut économiser, après toutes les dépenses 400.000 à 600.000 Fcfa. Parallèlement à ses activités de restauration, elle continue à voyager. «Récemment, j’étais à Dakar pour acheter des habits et des chaussures pour femmes. Je les ai exposés dans ma boutique en face du Lycée public de Kénièba», renseigne-t-elle. La plus grande fierté de Aoua Sy est d’avoir pu payer intégralement les études de ses enfants à Dakar et à Accra. Tous les deux sont revenus au bercail avec de bons diplômes. «Ma fille travaille dans une mine et le garçon gère l’hôtel de son oncle», dit-elle fièrement.
Sur le plan des affaires, elle veut aller encore plus loin. Pourquoi ne pas tenter de décrocher la lune ? «Dimanche prochain (3 février), je dois inaugurer mon deuxième restaurant non loin de la gare routière. à Bamako, j’ai acheté une parcelle qui sera bientôt bâtie. Le rez –de- chaussée sera un grand restaurant. L’étage sera un logement. La battante Aoua Sy est convaincue que travailler est la seule recette pour être autonome et aider le mari dans la prise en charge des besoins de la famille. Ces deux «amazones» du Tambaoura perpétuent la renommée outre-mer de l’empereur Kankan Moussa qui fait parler de lui tout au long des âges. N’a-t-il pas donné une leçon de générosité à la terre entière lors de son pèlerinage à la Mecque ? L’or qu’il distribua sur son trajet était le fruit du travail de son peuple. Le travail, dit la sagesse populaire, libère l’homme, en ce sens qu’il est véritablement la sentinelle de la vertu.
Envoyé Spécial
Ahmadou CISSÉ
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