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Opinion : Le Mali, la crise en Afrique de l’Ouest et les mandats présidentiels (suite et fin) : Quelle lecture ?

En Guinée, le ‘NON’ au référendum de 1958 proposé par le Général de Gaulle fait que ce pays n’a pas la même histoire en matière institutionnelle que les autres anciennes colonies françaises.

 

D’ailleurs, jusqu’en avril dernier, la constitution en vigueur dans le pays provenait d’un organe de transition (le Conseil national de transition) et avait été promulguée par un Président de la République par intérim en mai 2010. Cette constitution n’avait pas été soumise à l’approbation du peuple par voie référendaire. Elle a été récemment remplacée par une nouvelle constitution, soumise à un référendum populaire boycotté par l’opposition au motif qu’elle permettait au Président en exercice de briguer un autre mandat. Ce rejet a été accompagné de manifestations marquées par de graves violences avec pertes en vies humaines et destructions matérielles. Toutefois, aujourd’hui, le principal leader de l’opposition dans ce pays et son parti ont décidé de prendre part à l’élection présidentielle d’octobre prochain. Nous noterons que la Guinée est le château d’eau de la sous-région avec des richesses inestimables dans son sous-sol.

En Mauritanie, entre le Président nouvellement élu et son prédécesseur, le torchon brûle ce qui aggrave une situation déjà très tendue du fait de vieilles contradictions qui travaillent la société mauritanienne depuis bien longtemps. Dans ce pays voisin, du pétrole et du gaz ont été découverts en sus du fer déjà exploité et des côtes extrêmement poissonneuses.

Le Liberia et la Sierra Leone sont en convalescence après avoir connu chacun une décennie de guerres civiles avec des souffrances indicibles. Le tableau ci-dessus fait de notre sous-région l’une des zones de tempête les plus agitées au monde. Les patriotes africains de cette zone auraient terriblement tort de ne pas renouveler leur pensée politique pour se mettre à la hauteur des exigences du moment. Qui peut penser que cette situation va en rester là, avec des états affaissés, des populations exsangues, une jeunesse nombreuse et sans emploi, et des richesses pompées sans arrêt ? Non !

Le couvercle de la marmite finira par sauter si de très sérieuses réformes ne sont pas apportées dans le sens d’une meilleure prise en compte des intérêts des populations. L’on aura remarqué par ailleurs que les officines traitent différemment la question des mandats présidentiels en Afrique selon le type de rapports existant entre les puissances dominantes et les régimes locaux. Par exemple, sur les cas ci-dessous, elles ne donnent pas de la voix et évitent soigneusement d’attirer l’attention sur ces expériences même si les raisons peuvent être différentes d’un pays à l’autre :

  • Au Cameroun, le Président est aux affaires depuis 1982 soit bientôt 40 ans.
  • Au Tchad, le Chef de l’Etat est en place depuis 1990 soit trente ans.
  • Au Togo, le Président a entamé son quatrième mandat en début 2020.
  • Au Rwanda Kagamé, qui est aux affaires depuis 20 ans, a finalement fait supprimer la limitation des mandats.
  • En Libye, sous Khadafi (1969- 2011), il n’y avait pas d’élections au suffrage universel pour élire le Chef de l’Etat. On le voit, c’est toujours le rapport de forces qui détermine la conduite des officines et non le rapport à la démocratie et au respect des intérêts des peuples concernés. Il fut un temps où Khadafi plantait sa tente en plein Paris, mais lorsqu’il leur est apparu que des plages d’entente n’étaient plus possibles avec lui, ils trouvèrent le moyen de l’abattre créant ainsi une crise sécuritaire inextricable dans ce pays et dans tout le Sahel.

L’on se souvient qu’au Zimbabwe, pendant des décennies, le Président Robert Mugabe, grand combattant de la libération du peuple Zimbabwéen, avait préféré différer la question de la rétrocession des terres détenues par les blancs aux africains comme le stipulaient les accords de Lancaster House. Pendant toute cette période, les officines et les gouvernements occidentaux ne se sont jamais intéressés aux élections dans ce pays. Mais il a fallu que Mugabe soulevât enfin la problématique de la rétrocession des terres aux Africains pour qu’ils se mettent subitement à s’intéresser à la démocratie et aux élections au Zimbabwe et à découvrir que celles-ci n’étaient, selon eux, ni honnêtes ni transparentes. Les exemples pourraient être multipliés.

Venons-en au Sénégal où le métabolisme politique a été profondément chamboulé avec l’élimination à la dernière présidentielle de février 2019 de nombreux candidats sérieux et où les trois prochaines années risquent d’être marquées par une controverse paradoxale sur un troisième mandat de l’actuel Président de la République.

D’ailleurs nous n’excluons pas l’hypothèse qu’une telle controverse soit alimentée et entretenue par des spécialistes de la manipulation avec pour objectif d’ancrer d’ores et déjà dans les consciences la faisabilité d’une telle hypothèse. Ce faux débat prendra un temps précieux qui aurait pu être utilisé à meilleure fin dans un pays où pétrole et gaz sont découverts (en haute mer) en sus de l’or, du zircon, etc. et où la pauvreté était au coude-à-coude avec le taux de croissance avant de prendre, hélas, la tête de la course dans un contexte de pandémie qui garrotte littéralement l’économie.

En dépit de la bonne volonté jamais démentie de l’essentiel de l’opposition depuis le début du dialogue, des signes apparaissent de plus en plus montrant le peu d’enthousiasme de certains cercles du pouvoir à faire les concessions nécessaires à des consensus sur les modalités de dévolution démocratique et pacifique du pouvoir et d’une vie démocratique apaisée.

Le Sénégal est le seul pays dans la sous-région, avec le Cap-Vert, à n’avoir jamais connu l’intrusion de militaires dans ses affaires politiques. Nous devrions en être fiers et nous mettre à la hauteur des exigences de la situation de crise que traverse la sous-région. Nombre de facteurs qui ont créé ou accéléré la crise politique et sécuritaire dans d’autres pays en Afrique de l’Ouest, sont présents au Sénégal. Il est donc impérieux que des dynamiques réformatrices profondes s’enclenchent pour garantir la paix et la stabilité par la sauvegarde et le respect des droits des uns et des autres. C’est aussi cela qui pourrait permettre par la suite à notre pays de jouer un rôle essentiel dans les efforts pour un retour durable de la paix et de la stabilité dans la sous-région.

L’intérêt du peuple sénégalais n’est nulle part ailleurs. Il faut que la jeunesse africaine comprenne ces enjeux qui enjambent les frontières de nos Etats respectifs. Elle doit aller aux causes de la crise africaine, par-delà les explications qui leur sont proposées par les officines. Elle comprendra alors que toutes ces constitutions et leurs variantes dont on nous a dotés depuis 60 ans doivent être à présent remplacées.

Nos pays ont besoin de concertations où les différentes composantes du peuple se retrouvent autour de leurs récits respectifs, dans le respect et la considération réciproques et un sens élevé des responsabilités pour féconder de véritables constitutions à leur service. Ces constitutions seront conformes à leur histoire, à leurs identités, à leurs intérêts actuels et à ceux des générations futures. Cette voie est la seule pour que l’Afrique puisse se faire entendre dans le concert des nations.

Pour l’heure, l’Afrique qui existe et dont parlent les autres est une Afrique objet et non une Afrique sujet. Une Afrique à terre que l’on dépèce et que l’on se partage et non une Afrique qui assume son destin. Un journaliste français très au fait des rapports entre l’Occident et l’Afrique, Nicolas Baret, a pu dire avec beaucoup de lucidité que le monde était à un tournant crucial de son Histoire, que c’était l’avenir des nations qui se jouait et qu’il se jouait en Afrique. Le Sénat français n’a pas été moins disant qui indiquait clairement il y a quelques années que : « l’Afrique est l’avenir de la France ».

Le Président Jacques Chirac rappelait de son côté, je le cite : « Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demi ». Quant au Président François Mitterrand, il faisait remarquer en 1988 que « chaque franc investi au Sud rapporte 8 francs au Nord ». De fait il est depuis toujours établi que l’Afrique est le champ clos d’âpres rivalités entre grandes puissances du monde. Chacune d’entre elles y a ses ambitions, ses objectifs et ses projets. Nos récriminations, nos indignations et nos lamentations n’y feront rien.

Seule la construction d’un rapport de forces en notre faveur changera positivement les choses. Il n’est pas possible que le continent soit le plus riche de la planète, notamment sa partie au sud du Sahara alors que ses populations continuent de croupir dans la pauvreté et la misère et à crever de faim. La construction de ce rapport de forces convoquera foncièrement notre intelligence et notre lucidité. Si l’on sait qu’il y a deux ans, le PIB de toute l’Afrique réunie était inférieur de 150 mille milliards de Fcfa au PIB de la seule France ; si l’on sait également que la France est à son tour partie prenante de l’Europe de 27 Etats, l’on comprendra alors pourquoi nous parlons de lucidité.

D’où proviennent l’essentiel de ces richesses ? Quelle est, par exemple, la part de l’Afrique dans ce PIB de la France ? Selon Nicolas Baret, sur le bénéfice de 12 milliards d’euros réalisé par TOTAL il y a quelques années, les 40% provenaient de l’Afrique soit plus de 34000 milliards de CFA à l’époque et plus de huit fois le budget du Sénégal aujourd’hui ! Comment, devant autant de défis internes et autant de partenaires » puissants, l’Afrique peut-elle peser dans la balance générale alors qu’elle-même est dans une posture de double dispersion ?

Dispersion entre les Etats qui ne parlent jamais le même langage parce que leurs dirigeants ne sont pas libres dans la plupart des cas, mais aussi dispersion à l’intérieur même des Etats entre des forces politiques, sociales et citoyennes qui, tout en revendiquant les mêmes préoccupations libératrices et émancipatrices pour le continent, pensent, chacune en ce qui la concerne, détenir, à elle toute seule, la clé de victoire ? Il est vrai qu’en dépit de leur immensité, nous pouvons relever les défis car si nous décidons d’être forts, non en théorie mais en pratique, nous le serons parce que nous sommes dans notre bon droit.

Le droit d’exiger ce qui nous revient: gérer souverainement nos ressources, inventer nos constitutions et nos lois sur la base des fondamentaux que partage l’Humanité et selon notre identité propre. Bref le droit d’inventer et de construire notre futur. Si l’avenir de l’Humanité se joue en Afrique, nous devons alors donner plus de poids aux actes qu’aux discours. Passer de l’interprétation de l’Afrique à sa transformation en sujet politique.

Pour cela, nous devons admettre avec humilité les erreurs et les échecs relatifs des forces politiques et citoyennes qui ont eu à se fixer cet objectif depuis toujours. Leurs luttes et leurs sacrifices ont produit des avancées notables mais l’objectif reste encore à être atteint. Nous devons accuser de moins en moins la pluie et le gazon pour justifier nos défaites sur le terrain et remettre plutôt en question les stratégies et les approches. Chacun doit y travailler en commençant par son propre pays « mbey ci sa wewu tànk » ‘balayer d’abord devant sa porte’ tout en faisant provision de matériaux nécessaires à la construction d’une Afrique pour soi.

De fait, ceux qui travaillent à empêcher la réalisation de nos rêves d’Afrique sont ultra-minoritaires dans nos pays respectifs. Ils ne se recrutent pas exclusivement dans le camp des pouvoirs en place. Ils sont dans les pouvoirs mais aussi dans les oppositions tout comme ceux qui veulent la libération et l’émancipation des peuples d’Afrique ne se retrouvent pas seulement dans les oppositions mais se distribuent de part et d’autre. Nous devons isoler les briseurs de nos rêves d’Afrique et cela est possible car même celui qui courbe l’échine ne préfère pas cette posture.

Le grand rassemblement à construire devra enjamber les barrières doctrinales et partisanes et tous les autres types de barrières pour n’avoir qu’un seul dénominateur commun : sortir l’Afrique de son état d’objet pour en faire une Afrique sujet et maître de son destin. Donc l’unité la plus large dans la plus grande diversité enrichissante est à construire. Il faut, à cet égard, repérer dans les mouvements populaires en cours un peu partout dans la sous-région, les véritables forces de progrès, celles qui se battent pour rompre la chaîne de domination. La victoire nous permettra d’établir, avec les autres, de nouveaux rapports fondés sur la reconnaissance, le respect mutuel et les avantages réciproques. Un tel projet est pertinent et urgent. Quoique largement ouvert, il devra être porté par une nouvelle Gauche africaine refondée. Il faut en finir avec l’éternelle figure où le peuple se bat pendant que d’autres intérêts se faufilent au pouvoir.

Dakar le 15 septembre 2020

Pour le Secrétariat permanent d’Ànd-Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme

Mamadou Diop DECROIX

Secrétaire Général

(AMAP)

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