L’un des sujets polémiques dans l’avant-projet de Constitution est bien la question de l’officialisation des langues nationales. La nouvelle loi fondamentale en gestation laisse entrevoir la possibilité d’ériger des langues nationales en langues officielles. Cette disposition alimente les débats alors que cet avant-projet reconnait la diversité linguistique dès son préambule.
De la limitation du nombre de membres du gouvernement à l’introduction de la question environnementale dans les Institutions en passant par la création du Haut conseil de la Nation et de la Cour des comptes, la réduction du nombre d’Institutions, la limitation du nombre de mandats du président de manière irrévocable ainsi que des changements dans le mode de désignation des membres de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême, l’avant-projet de Constitution prévoit un véritable changement dans la gouvernance étatique. À travers ces innovations majeures, cette nouvelle constitution, une fois adoptée, entend propulser le Mali au-devant de la scène régionale et internationale.
La langue et la culture
Au lieu de saluer les aspects innovants de cette nouvelle Constitution, en gestation, certains préfèrent s’enfermer dans du nihilisme intégral, en s’appuyant sur de petits détails et refusant ainsi de voir la vérité en face ou d’en croire. Dans la plupart des cas, il s’agit d’individus qui ne croyaient nullement à la possibilité d’élaboration de cet avant-projet dans le délai imparti par les autorités de la transition. À eux s’ajoutent ces dogmatiques qui pensent que toute initiative prise et réalisée sans leur implication totale est mauvaise. Mais qu’ils se décident vite à prendre le train en marche !
Depuis sa remise au chef de l’État et sa publication par la présidence, l’avant-projet de Constitution défraie la chronique nationale et internationale. Chacun y va de son bon vouloir, des experts aux pseudo-spécialistes. Parmi les nombreux commentaires, celui qui mérite une attention toute particulière demeure la question des langues.
En son article 31, cet avant-projet précise que les « langues parlées au Mali par une ou plusieurs communautés linguistiques font partie du patrimoine culturel » et qu’elles ont le statut de langues nationales et vocation à devenir langues officielles, à travers l’adoption d’une loi par l’État.
Cet article de l’avant-projet de constitution, qui fait une ouverture vers la possibilité d’adopter n’importe quelle langue nationale, reconnue, comme langue officielle, est mal interprété et vu comme contenant les germes d’un nouveau conflit au Mali, notamment identitaire et culturel.
13 langues nationales reconnues
En juillet 1982, les autorités maliennes, dans l’article 1 du décret n° 159 PG-RM, avaient déjà reconnu treize (13) langues comme nationales au Mali : le bamanankan (bambara), le bomu (bobo), le bozo, le døgøsø (dogon), le fulfulde (peul), le hasanya (maure), le mamara (miniyanka), le maninkakan (malinké), le soninké (sarakolé), le søõøy (sonrhaï), le syenara (sénoufo), le tàmàsàyt (tamasheq) et le xaasongaxanno (khassonké).
La promotion et l’utilisation des langues nationales ont toujours été au centre de la préoccupation des différents gouvernements qui se sont succédé à la tête de l’État malien. L’État étant une continuité, les autorités maliennes de la transition ont bien connaissance des textes antérieurs en la matière, qu’elles ne balayeront pas d’un revers de la main. Tout ce qu’elles peuvent faire si besoin en était, ce serait plutôt de les réviser afin qu’ils prennent en compte de nouvelles évolutions qui se seraient opérées.
« La promotion de toutes les langues nationales est une nécessité pour un développement endogène et une véritable décentralisation », lit-on dans le communiqué final du Conseil des ministres du 3 décembre 2014. La politique linguistique repose sur « des principes selon lesquels les langues nationales constituent le socle de l’identité culturelle nationale, le respect de la diversité linguistique, le droit pour tout citoyen de parler et d’être éduqué dans sa langue maternelle », précise la même source. Cette politique linguistique vise entre autres : à renforcer la participation active des populations au développement local ; à développer un environnement lettré en langues nationales permettant l’accès de la majorité des populations aux connaissances scientifiques technologiques et culturelles modernes susceptibles de contribuer à leur développement.
Toute Constitution, objet de contestations, de critiques et de controverses
Cette politique linguistique est-elle une émanation des autorités maliennes de la transition ? Seulement puisque les différents gouvernements ont échoué dans la promotion de ces langues et la mise en œuvre de cette politique, les autorités maliennes de la transition se sont engagées à le faire, surtout que la recommandation a été expressément formulée par les citoyens maliens lors des Assises nationales de la refondation. De ces recommandations, il ressort clairement la demande « d’éditer et publier le document de politique linguistique du Mali adopté par le Conseil des ministres du 03 décembre 2014 » et aussi l’adoption d’une loi portant « officialisation des langues nationales conformément à l’esprit du document de politique linguistique » et aussi de « renforcer l’utilisation des langues nationales dans tous les ordres d’enseignement ».
Les débats autour des langues nationales, surtout leur officialisation, évoquée dans l’avant-projet de Constitution, relèvent donc du non-sens. La transition devra-t-elle trahir la volonté populaire en faisant table rase de toutes les dispositions antérieures et présentes ? Ce qui serait du non-sens puisque ne relèverait que d’un véritable désordre.
Le Président de la commission de rédaction de la nouvelle Constitution (CRNC), Fousseyni Samaké, a toutefois bien prédit ces polémiques. C’est pourquoi il a prévenu le chef de l’État, lors de la remise de l’avant-projet, sur le fait que toute Constitution sera objet de contestations, de critiques et de controverses. Aussi a-t-il rappelé que la qualité et la durabilité d’une Constitution se révèlent dans la pratique. Cette nouvelle Constitution demeure malgré tout un marqueur important du processus de refondation de l’État malien.
Correspondance particulière