Mes chers compatriotes,
Nous voici rendus à une étape importante de notre itinéraire : le cinquante-neuvième anniversaire de notre accession à la souveraineté nationale et internationale.
En cet instant solennel, nul ne devrait mésestimer la signification profonde de la date du 22 septembre 1960 ni la symbolique majeure attachée à ce jour où le Soudan indépendant devint la République du Mali.
Ce jour n’aurait pas été n’eussent été la lucidité, l’abnégation, la détermination de nombreux compatriotes, hommes et femmes, de tous âges, de toutes conditions sociales, de toutes régions, prêts à perdre leurs vies pour donner vie à la Nation malienne, mus qu’ils étaient tous par la conscience aigüe de leur mission historique.
Il sied alors qu’en ce jour où nous célébrons notre indépendance nous commencions par rendre hommage à ces valeureux acteurs de notre histoire contemporaine, à ces héroïques pionniers de notre indépendance, avec à leur tête le Président Modibo Kéita et tous ses compagnons.
Les mains nues, armés de la seule foi des bâtisseurs, ils ont fondé la République et fait du Mali un pays respecté sur l’échiquier africain et dans le monde. Notre dette à leur égard restera incommensurable.
Par-delà le devoir de mémoire, notre fidélité à leurs idéaux de justice et de progrès nous commande de faire de la date du 22 septembre un moment d’introspection, j’allais dire d’audit, et d’un audit sans complaisance, des résultats atteints dans notre trajectoire collective en tant que nation héritière de leur fierté sourcilleuse et de leur attachement au progrès pour tous les Maliens.
Loin donc de n’être qu’un devoir mémoriel auquel devrait se livrer la République, la célébration du 22 Septembre doit nous fournir l’occasion de nous re-ouvrir à nous- mêmes, de nous ressourcer, de nous rassembler, et, par la même occasion de recoudre notre tissu social.
Le 22 Septembre doit être le jour privilégié pour célébrer l’union des cœurs à laquelle nous invitent toutes les traditions spirituelles présentes dans notre pays ; un rendez- vous de choix pour magnifier la solidarité, la fraternité, l’empathie, l’élan vers l’Autre, le dépassement de soi par le culte de l’effort.
Autant de qualités qui sont partie intégrante de notre identité et que nous avons l’impérieuse mission de préserver, de mettre à l’abri en ces temps où, hélas, elles sont sévèrement mises à mal par un monde dont le moins qu’on puisse dire est qu’il est ambigu, paradoxal car capable de cruauté tout autant que de générosité, comme s’il se fut agi de deux faces d’une même médaille.
Aujourd’hui plus que jamais le 22 Septembre doit être synonyme de réaffirmation de notre engagement à réactualiser le serment des pionniers de notre indépendance, et à consolider tous les maillons de la chaîne de solidarité que nous, Maliennes et Maliens, ne devons jamais cesser de former. Du Kaarta à l’Adrar des Ifoghas, du mont Manding au Tegargar, des hauteurs du Tambaoura aux Falaises de Bandiagara, du Khasso au Songhoy, du pays des Balanzans à celui du Bourgou, du Wagadu au Kenedougou, le message doit être le même : nous avons en partage le 22 Septembre.
Maliennes, Maliens, mes chers compatriotes,
Parce que précisément nous partageons un legs historique, nous avons en commun une obligation qui consiste à faire en sorte que, par son engagement pour la paix, par sa démocratie, par sa résilience face aux aléas de toutes sortes, le Mali soit de celles-là des nations qui forcent le respect.
Une nation laborieuse, ambitieuse et résolue à se construire dans la durée, sans jamais se laisser divertir par des forces centripètes, ni se laisser détourner de sa trajectoire par des querelles idéologiques anachroniques.
Une nation qui sait prendre la mesure de ses défis et s’emploie à les relever un à un, dans la conviction établie que nulle mer, nulle montagne, nul désert ne saurait résister à l’union et à l’unité d’un peuple, surtout quand ce peuple a le privilège, à l’instar du peuple malien, de bénéficier d’un héritage multidimensionnel et multiculturel de la dimension du nôtre.
C’est fort de cette conviction, aujourd’hui plus solidement ancrée que jamais, que nous avons formulé l’ambitieux et généreux dessein baptisé « Notre Grand Mali Avance », et l’avons fait décliner par le Gouvernement en plan d’actions dans ses diverses composantes, et depuis ma réélection voici un an, l’Etat malien veille à mettre en œuvre avec toute la rigueur requise.
Aujourd’hui plus que jamais, ma conviction est établie que, loin d’être un slogan, ou une simple vue de l’esprit condamnée à rester à l’état de vœu pieux, « Notre Grand Mali avance » est l‘expression d’une rencontre entre une irrépressible volonté des Maliens à prendre leur destin en mains et un engagement irréversible de notre part à faire en sorte que notre pays, le Mali, s’engage résolument sur la voie d’un développement soutenu et inclusif.
Parce que, aujourd’hui plus que jamais, je suis convaincu de la pertinence du projet sociétal sous-jacent à « Notre Grand Mali avance », je voudrais vous assurer que jamais je ne serai avare d’efforts pour qu’il devienne réalité.
Mes chers compatriotes,
Si « Notre Grand Mali avance » n’a d’autre ambition que de construire un Mali prospère, intègre, réconcilié avec lui-même et avec tous les peuples épris de justice, force est de reconnaitre que sa réalisation se heurte aujourd’hui à des obstacles de tous ordres et en rencontrera d’autres demain, qui seront autant de défis à relever.
Me viennent à l’esprit, bien évidemment, et en premier lieu, les obstacles sur lesquels bute la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation signé sous les auspices de la communauté internationale entre l’Etat et les mouvements armés au Nord de notre pays.
Malgré les développements récents, dont la sortie de la première vague du DDR accéléré, au début de ce mois, des difficultés demeurent, inhérentes pour certaines d’entre elles à la nature même d’un tel accord ; liées, pour d’autres, à l’incompréhension, et par moments à l’intransigeance, de certains signataires.
En ce jour anniversaire de notre indépendance, je tiens à réaffirmer l’attachement du Gouvernement malien à cet accord, quitte à en discuter certaines dispositions, l’essentiel étant d’en conserver l’esprit.
Garant de cet accord et réaffirmant l’adhésion du Gouvernement à sa mise en œuvre, je voudrais renouveler mon appel à nos frères des mouvements signataires et les inviter à tout mettre en œuvre pour un retour à une normalité constitutionnelle et administrative dont l’absence hypothèque lourdement tous les efforts de développement.
Mais autant est grande ma conscience des risques associés à ces difficultés, autant l’est ma confiance en l’aptitude des Maliens et des Maliennes à les surmonter.
Aussi voudrais-je, en direction de nos frères du Nord, lancer un appel fraternel et sincère à plus de raison, pour que nos efforts, les efforts de toutes les parties, ne tendent plus que vers la paix.
La paix nécessaire aux citoyens, tous les citoyens, à commencer par ceux du Nord qui l’appellent de tous leurs vœux !
La paix nécessaire également pour que l’Etat et la République puissent livrer la seule vraie guerre, digne d’intérêt pour le Mali, à savoir celle pour le développement.
Un développement qui passe par l’édification d’infrastructures routières de qualité, l’établissement de postes de santé dignes de ce nom, de fonctionnement d’écoles qui préparent celles et ceux qui y entrent à apprendre et à créer demain les emplois qui leur permettront de s’épanouir personnellement tout en apportant leur contribution à l’épanouissement de la société qui aura couvert les charges de leur éducation.
Mes chers compatriotes,
Comme chacun peut l’imaginer, je suis attentif aux impatiences qui s’expriment ça et là à travers le pays, à l’Ouest comme à l’Est, au Nord et au Sud. Je ne saurai être sourd et insensible aux angoisses de la jeunesse et des travailleurs du Mali, de toutes les populations laborieuses de notre cher pays.
Je voudrais redire solennellement ma totale disponibilité à tout mettre en œuvre pour élargir les bases du consensus inter-malien sans lequel nos efforts seront vains. Sans un pays rassemblé et uni, nous ne pourrons pas relever avec succès les grands défis auxquels nous sommes confrontés.
Au sujet des revendications relatives au développement local et régional, je demande au Gouvernement d’étudier les conditions d’organisation de conférences de développement dans chaque région du Mali.
Ces conférences régionales de développement seront des Table Rondes avec la participation active des forces vives de chaque région, des diasporas maliennes, des partenaires de la coopération bilatérale, multilatérale et décentralisée.
Une telle initiative confortera l’orientation politique prise depuis les États Généraux de la décentralisation, orientation qui place la région, dans le cadre de l’approfondissement de la décentralisation, au cœur de la nouvelle architecture institutionnelle du pays.
Maliennes, Maliens
Dans la même veine, je lance un appel à tous les acteurs de l’insécurité qui depuis quelques semaines secoue le Centre de notre pays. C’est le lieu, pour moi, de rendre hommage à ce jeune et dynamique patriote commissaire, qui vient de perdre la vie à Niono, dans l’exercice de ses fonctions, au service de la patrie et de la sauvegarde de la paix civile et de la protection de nos concitoyens. Gloire à lui.
Certes, la demande de bonnes routes est légitime tout comme l’est le souci d’une meilleure gouvernance de nos ressources afin que chaque centime aille au précieux chantier du développement national.
Pour autant, le recours à la violence comme moyen de revendication de droits, que l’Etat est le premier à reconnaitre, ne saurait prospérer sans mettre en péril le contrat social. Car, en effet, si la République confère des droits, elle impose également des devoirs dont le premier est la renonciation à la violence comme moyen d’expression.
Par conséquent, la violence qui tend à devenir un moyen de revendiquer, ne peut être tolérée.
Qu’il s’agisse des actes criminels dans le Nord, au Centre et partout ailleurs, ou des tragédies actuelles de Niono et Tombouctou, le seuil de l’intolérable est en train d’être franchi et si nous n’y prenons garde, ce sont les fondements même de notre société qui s’en trouveront ébranlés.
C’est pour conjurer un tel spectre que j’ai instruit le Premier ministre, chef du Gouvernement d’être à l’écoute des populations en effectuant des missions sur le terrain qui traduisent notre volonté décuplée d’être plus que jamais attentifs aux préoccupations des populations. C’est dans le même esprit, avec les mêmes visées, que j’ai nommé un Haut Représentant pour le Centre, en la personne de l’ancien Président Pr Dioncounda Traoré.
Mes chers compatriotes,
Maliennes, Maliens
S’agissant toujours des défis que doit relever le Mali, me viennent également à l’esprit les difficultés à assurer au dialogue national le caractère inclusif que mon gouvernement et moi- même souhaiterions avoir.
Pour que le Mali se ressaisisse, pour qu’il se regarde dans le miroir, pour qu’il s’ausculte, s’évalue, s’interroge et propose les solutions les plus consensuelles et les plus justes aux problèmes qu’il se pose, nous avons, comme vous le savez, apporté notre aval à l’idée d’un dialogue inclusif qui devrait, dans mon entendement, être un jalon capital dans notre cheminement démocratique et institutionnel.
Je suis certain qu’il le sera si les acteurs qui y prennent part en ont une approche positive, j’allais dire citoyenne, et le saisissent comme une opportunité d’accroitre, chacun en ce qui le concerne, sa contribution à l’édification d’un Mali où la force de la loi relèguera aux oubliettes de l’Histoire la loi de la force que d’aucuns veulent imposer.
Ce dialogue sera des plus fructueux si celles et ceux qui y participent ont le souci de construire un Mali où il fera bon vivre parce les Maliens auront su, précisément à travers ce dialogue conciliant, trouver les voies et moyens les plus idoines pour affermir notre vécu institutionnel, renforcer les piliers de notre système démocratique, et revitaliser notre système social.
C’est dire, mes chers compatriotes, que ce dialogue recèle, à mes yeux, un potentiel insoupçonné et que, à l’instar de millions de Maliens résidant sur notre territoire ou hors de nos frontières, j’en attends beaucoup.
J’en attends une lecture saine, parce que sereine, de la complexité de nos réalités.
J’en attends des messages susceptibles de renforcer notre cohésion et de stimuler notre désir d’aller ensemble à la conquête de l’avenir.
J’en attends, enfin, de nouvelles idées pour revigorer et muscler notre projet d’émergence. D’un mot, j’attends du dialogue, dont les Termes de référence viennent d’être approuvés, qu’il soit une instance de contribution à la recherche des voies et moyens d’une mobilisation accrue des Maliens autour d’un projet sociétal qui nous permettra d’affirmer davantage notre enracinement dans les valeurs de nos terres et territoires mais aussi notre ouverture aux apports d’autres aires civilisationnelles africaines ou non.
Est-ce pas trop attendre d’un dialogue dont la durée ne peut être que limitée ? Je ne suis pas de ceux qui, y compris parmi mes amis politiques, sont de cet avis. Parce que je connais les qualités de cœur et d’esprit de nombre d’acteurs et parties prenantes de ce dialogue, je sais que le pari de voir la raison triompher sur les passions, et un consensus dynamique émerger au terme du dialogue, n’a rien de déraisonnable. Surtout si, comme je le souhaite, les débats restent tout entiers placés sous le sceau de la responsabilité et, pour cette raison, empreints de courtoisie et de sérénité.
Responsabilité, courtoisie, sérénité : Il n’est aucune de ces qualités, aucune de ces attitudes qui soit au-dessus de nos capacités, dès lors que nous ferons notre l’idée qu’en dernière instance, nous Maliens, nous appartenons les uns aux autres.
Nous sommes qui l’étoffe, qui l’aiguille, qui la bouche, qui la langue. Nous sommes ce vieux peuple qui a appris la patience et qui sait compter avec le temps. Mais le temps est venu d’être plus exigeant avec nous-mêmes d’accélérer le rythme des réformes indispensables pour préparer l’avenir que nous voulons et, ce faisant, éviter de subir celui auquel nous condamnerait la tyrannie des urgences.
Mes chers compatriotes,
C’est sur cette note de lucidité mais aussi de confiance que je m’arrêterai. Mais avant de le faire, je ne puis manquer d’exprimer, en ce jour de célébration de notre indépendance, une pensée pieuse pour les victimes de notre douloureuse crise actuelle, à savoir les victimes civiles nombreuses et innocentes, mais aussi les soldats Maliens et leurs frères d’armes, j’allais dire frères d’âmes, tombés sur le champ d’honneur pour que force reste à notre belle nation. Je m’incline, au nom de la République reconnaissante devant leur mémoire.
A toutes ces victimes je dis que le Mali ne ménagera aucun effort pour extirper de son sol les germes de la division, et de l’intolérance et y faire régner la culture, mieux, le culte de la paix.
Et c’est sur cet engagement que je terminerai avant de vous souhaiter, vous mes compatriotes résidant sur le territoire malien ou hors de nos frontières, vous hôtes qui vivez parmi nous, et qui partagez nos joies et nos peines, une bonne fête d’indépendance.
A toutes et à tous je veux réaffirmer ma conviction inébranlable que le Mali redeviendra la terre d’espoir et de joie qui lui valut sa renommée il y a plusieurs siècles.
Vive le Mali !
Vive la République !
Qu’Allah bénisse le Mali !
Ibrahim Boubacar KEÏTA