Après Sévaré, je retourne à Bamako. Deux papiers descriptifs, moins qu’un grand reportage dans Mali Demain. La stratégie était voulue : ne pas trop attirer les regards sur une prochaine sortie plus en profondeur, Gao. En silence, selon les techniques les plus rodées du grand reportage, je prends attache avec les maîtres de Gao (Mujao). Je m’annonce à Omar Ould Hamaha et Abdoul Hakim par téléphone. Ils sont respectivement, l’un chef militaire et porte parole dudit mouvement, et l’autre, chef de « la sécurité de Gao ». Ould Hamaha lisait tout de moi avant même la série de Mali Demain. Il est natif du Nord. Je m’en ouvre à Bokari Dicko et je regagne le terrain. Cette fois-ci à Douentza où Ganda Izo venait de déloger les pillards du MNLA.
En fait, j’étais en route pour plus loin…
Depuis Douentza, je fais un direct sur les antennes de la télévision sous régionale Africable. En silence je demande à Dicko un journaliste de sa rédaction, de préférence discret et audacieux. Son choix porte sur Benjamin Sangala, natif de la région – il est du pays Dogon. Je tenais à ce que dans ce travail périlleux à l’époque – Gao et Tombouctou étaient par terre, sous la botte du Mujao et Ansar Dine – le relais soit possible en cas d’accident. Dicko calle Sangala dans un autobus sur l’axe Bamako-Gao le 6 juillet. J’attendais le jeune reporter à l’autogare de Douentza, encadré par les combattants de Ganda Izo. Relais téléphonique entre Sangala et moi, à partir de Douentza où arrivait déjà le bus de Sangala. J’embarque à bord d’un deuxième autocar, laissant Sangala dans le bus de tête. Ma famille est informée à Gao. Deux heures séparent nos deux véhicules pour des raisons de précaution. En milieu d’après-midi, Sangala par téléphone m’annonce son arrivée à l’autogare de Gao. Mon neveu, Kada reçoit le jeune reporter et le conduit à la maison familiale au quartier Saneye où j’ai grandi.
Rencontre avec les maîtres des lieux
17 heures, le même 6 juillet je pose pied à Gao, à la même autogare. Mes neveux étaient là, heureux de me voir et inquiets de la situation. Route pour la maison et je donne des consignes strictes: que personne ne sache que je suis là – je suis célèbre à Gao – avant ma rencontre avec les maîtres des lieux.
Dialogue avec les djihadistes
20 heures j’appelle Omar Ould Hamaha : « Mujahid, c’est Maïga..je suis à Gao depuis 3 heures de temps… » Omar: « … Assalam Aleykoum, bienvenue à Gao; où es-tu ? » Réponse « en face d’une de tes bases à Saneye, dans ma famille… ». je lui fournis donc la géographie exacte de ma maison, et il me propose de venir me chercher le lendemain matin à 8 heures « puisqu’il fait déjà nuit » (sic). Le 7 juillet à 8heures plomb, voilà le Pick up de Omar, bourré de combattants, le drapeau noir du Mujao flottant, exactement devant la porte de la maison. J’étais déjà près en face. J’avais déjà demandé à Benjamin d’être avec tous mes neveux comme un simple curieux, car, jamais à Gao, Ould Hamaha ne s’est arrêté avec ses éléments devant une porte pour la paix…S’engage donc un dialogue entre le djihadiste et le journaliste.
Mes neveux étaient stupéfaits
Omar sort de son volant – c’est lui qui conduisait – AK 47 à crosse rabattable en main ; contourne sa voiture en sens inattendu et me salue : « c’est le journaliste Maïga ? » « Oui ! » et j’enchaîne : « je suis venu voir ma terre Gao abandonnée… » « Non, Gao est sécurisée, Allah Akbar ; tu es là jusqu’à quand ? ». « Encore trois jours ». « Bon je viens te chercher à 16 heures pour qu’on parle, puisque tu es venu parler avec moi et les moudjahidines de Gao et de tout le Nord ». « Ok, je t’attends à 16 heures ». J’avoue que mes neveux étaient stupéfaits. Benjamin aussi, mais chatouillé de la joie de commencer un pas dans le grand reportage dont peut rêver tout jeune dans ce métier.
Visite au quartier château
16 heures, Omar et ses éléments sont là et m’embarquent pour leur « résidence ». J’étais assis en place passager à côté de lui dans une cabine climatisée. La résidence est une maison luxueuse au quartier Château. « Tu vois Maïga, pour sécuriser sa maison, le propriétaire m’a demandé de m’y installer pour ne pas que les vandales du MNLA la saccagent comme ils ont fait par centaines ici à Gao… Faddal ». Un grand tapis est ôté du toit du Pick up en toute vitesse et déployé au sol, et nous nous y asseyâmes.
Omar et le djihad
Omar me parle largement du djihad, de sa vie, des combats dans le Nord du Mali et le sud Algérien, du Mali qui doit selon lui, se résoudre à la charia, de la vie quotidienne à Gao où il n’est plus question de taxes et d’administration d’état. Précis, intelligent, affable, mais d’un autre âge côté approche et programme. En effet, l’on y sent un homme dangereux. Il me dépose chez mes neveux après la prière de 18 heures (qu’il a conduite lui-même), en me montrant avec fierté le système GPS de sa voiture depuis cette cabine climatisée… et me laisse en main un AK47 pour ma sécurité dit-il, le temps du parcours et de mon séjour. Je venais depuis chez lui de finir un direct sur les antennes d’Africable.
Traversée de Gao dans tous les sens
Rendez vous pour le lendemain à 9 heures. Avec la même précision, il vient avec ses éléments me chercher pour la visite des positions du Mujao, faisant ceinture sur Gao puis me fait traverser Gao dans tous les sens. J’ai déjà fait embarquer entre les combattants le jeune reporter Benjamin Sangala doté lui aussi d’un AK47. C’est son baptême de feu en reportage de guerre là où je reste un vétéran pour avoir fait Huambo en Angola, Taïkarène etc. Le tour de la ceinture s’achève par la visite des lieux où les unités djihadistes avaient décimé le MNLA et l’avaient dispersé pour toujours (voir photos).
Haine pour le MNLA acteur principal des saccages
En outre, il nous fait dans Gao, le tour des édifices (banques, écoles, bâtiments administratifs, centres de soins etc.) entièrement détruits par le MNLA (voir photos). Sa haine pour le mouvement séparatiste est plus que viscérale. Elle est manifeste, et il en joue pour acquérir la sympathie des populations locales grandes victimes des barbares du MNLA sans idéologie. Autre jeu : aux populations affamées, lui et son organisation fournissaient le minimum alimentaire et sanitaire…
Je demande alors à Benjamin de prendre en main le reportage écrit pour Mali Demain. Un jour de repos et nous retournons à Bamako selon le schéma initial dans le transport (en autocars séparés).
Mali Demain fait un cataclysme journalistique
A Bamako, la une de Mali Demain a fait effet, mieux un cataclysme journalistique car ce fut la première fois que dans la presse malienne et internationale l’on voit en photo de couverture des djihadistes Mudjao perchés sur leur Pick up, parmi eux des journalistes sur le terrain. Le Nord était entièrement occupé jusqu’au centre du Mali à Kona, les djihadistes ayant laissé une parenthèse, Douentza que Mudjao avait autorisé à Ganda Izo comme cadeau pour y avoir réussi à chasser les destructeurs du MNLA.
Furieuse folie idéologique
A la suite de cet Odyssée, ici raccourci, Omar Ould Hamaha, après avoir reçu le reportage spécial in Mali Demain où il voit ses photographies lui et ses combattants, m’appelle, heureux : « félicitations Maïga tu es un grand journaliste, les jeunes (ses combattants) sont heureux et s’arrachent les journaux… ». Il me rappelle une heure après pour m’annoncer les cinq points de sa « Proclamation » que j’ai fait publier in extenso dans Mali Demain. C’est une furieuse folie idéologique qu’il fallait prendre au sérieux. Mais le Mali d’alors, dépourvu de services de renseignements sérieux et d’une digne direction militaire nous en a plutôt voulu au lieu d’en faire un outil de travail.
Des menaces se faisaient sentir sur moi à Bamako
Des menaces se faisaient sentir sur moi à Bamako. Avant de prendre l’avion pour Paris dans un direct sur le plateau d’Africable au journal de 20 heures (très regardé en Afrique de l’Ouest), j’évoque la débâcle de l’armée malienne telle qu’à Gao tout le monde raconte ! Ma famille inquiète à Bamako a hâte que je rentre à Paris (parce que « tu as dit ce qu’il ne fallait pas dire d’une armée vaincue, ici à Bamako des pourparlers à haut niveau se préparent pour t’abattre… » me prévient un membre de ma famille, haut placé dans l’administration d’état de Bamako.
Source: Mali Demain