L’affaire Amadou Aya Sanogo, commencée en mars 2012, est partie pour être une page emblématique de l’histoire désormais très controversée de notre révolution démocratique.
La liberté provisoire, accordée ce mardi 28 janvier 2020, à celui qui a incarné le crime de lèse-démocratie, commis ce 12 mars 2012, en s’appropriant, toute honte bue, les prérogatives et les bénéfices d’un pouvoir illégitime, pourrait (devrait) être le début d’une sulfureuse affaire, que les politiciens aimeraient bien enterrer.
Cet homme, sorti du néant pour être propulsé au devant de la scène politique malienne, profitant de l’évanescence et des légèretés du pouvoir en place, est détenteur de secrets dont la révélation pourrait mettre dans l’embarras beaucoup de (pseudo) personnalités politiques et religieuses du pays.
Un procès en bonne et due forme aurait sans doute été l’occasion de déballages très préjudiciables à l’image d’hommes publics qui se pavanent sous le couvert d’une respectabilité usurpée. Beaucoup ont, selon des sources dignes de foi, récupéré une part appréciable du formidable butin constitué par ce pilleur de haut vol des deniers publics. D’autres ont quémandé sa protection et son soutien.
Comme tous les détenteurs de pouvoirs au Mali, Sanogo a pu se constituer, grâce à une distribution judicieuse de prébendes, une large et solide cour de laudateurs et d’obligés, voyant en lui l’homme providentiel, capable de mettre fin à leur longue misère ou de contribuer à la réalisation de leurs rêves de richesse.
De nombreux soldats et officiers de notre armée lui seraient aussi redevables d’éminents services rendus dans le cadre du métier ou dans des domaines plus prosaïques. Complices naturels (frères d’arme) ou d’affaires, ces fidèles de Sanogo constitueraient une menace sérieuse au sein d’une armée handicapée par l’absence de référence hiérarchique et éreintée par la guerre d’usure que lui livrent quotidiennement des hordes meurtrières de terroristes.
Ces Diadoques des temps modernes sont davantage motivés par des considérations personnelles que par le souci de rétablir l’aura de leur corporation, qui a longtemps valu à notre pays la déférence de la sous région. Les Généraux d’Alexandre le Grand, eux, avaient des visions de grandeur et d’expansion des territoires convoités après la disparition de leur Commandant.
L’argument juridique invoqué d’une détention prolongée au-delà de ce que la loi permet pour justifier l’élargissement provisoire de l’accusé Sanogo est tout simplement spécieux.
Il cache mal les disfonctionnements (délibérés ?) de notre appareil judiciaire et ne prend pas en compte le besoin de justice des parents des victimes.
En s’empressant de proposer, au contraire, à ces derniers des compensations financières (quelques millions), matérielles et professionnelles, le pouvoir trahit surtout son soulagement d’avoir pu faire tourner en queue de poisson une affaire qui aurait pu le placer dans une posture gênante.
Il peaufine aussi son exercice favori, qui consiste à exploiter le désarroi des pauvres à des fins politiciennes.
L’avocat de la Défense, Me Tiessolo Konaré l’a lui-même souligné « une liberté provisoire reste toujours une liberté, d’autant plus que dans l’arsenal juridique du Mali on ne parle plus de liberté provisoire ».
Cela veut dire que ce procès n’aura pas la suite judiciaire que l’on en attend. Les ayants droit des victimes, en acceptant les millions, les maisons et les propositions d’embauche de l’Etat, renoncent de fait à tous leurs droits et seront, selon toute vraisemblance, invités à se retenir de toute autre revendication.
Trente à quarante millions de francs CFA peuvent certainement autoriser des rêves fous, surtout pour des familles que les préceptes de l’Islam avaient déjà préparées à s’en remettre à la justice divine. Mais, à l’instar du pactole reversé aux préretraités des années ’80, les paquets de billets de banque pourraient rapidement fondre entre les mains des parents de Bérets rouges à l’épreuve des réalités très mouvantes de la vie quotidienne.
L’image d’un Sanogo exultant à sa sortie de la prison a frappé tous les Maliens. L’homme a toutes les raisons de jubiler. Libéré sans jugement, l’ex-chef de la junte putschiste pourra aussi jouir des milliards subtilisés au Trésor public, qui ne lui ont pas été réclamés.
Un autre aspect du deal passé entre lui et l’Etat, dont le pays, ahuri, découvrira, sans doute, au fil du temps des clauses révoltantes.
Prisonnier encombrant, Amadou Aya Sanogo pourrait se révéler un citoyen encore plus dérangeant. On le voit mal se cantonner à une vie d’ermite, même dans un champ ou un verger transformé en Eden par son insondable fortune.
Sa situation de nouveau riche pourrait alimenter les rancœurs de ses contempteurs, qui sont nombreux au sein de la société civile et de l’Armée, susceptibles de chercher à lui faire un sort.
Cette éventualité pose le problème de sa sécurité et la question de savoir si l’Etat, qui est son complice le plus important dans cette affaire, serait amené à assurer sa protection. D’autant que les conditions de sa liberté provisoire n’ont pas été, que l’on sache, clairement définies.
Le suspect Amadou Aya Sanogo va-t-il retourner à l’armée, qui plus est, avec les galons de Général obtenus au terme d’un arrangement politico militaire ?
Le futur d’Aya Sanogo pourrait apporter aux Maliens beaucoup de raisons de se tourmenter, en raison de ses prolongements militaires possibles et de prendre davantage leurs distances vis-à-vis de la gouvernance du régime.
La conjuration des mauvais auspices qui s’annoncent devra encore mobiliser l’essentiel des énergies, sous la houlette de la frange de la Société civile et de l’opposition politique qui ont su résister aux sirènes de la compromission.
Mamadou Kouyaté koumate3@ gmail. com