Dans « On ne naît pas Noir, On le devient », l’auteur Jean-Louis Sagot-DUVAUROUX (JLSD) aborde les ‘conditions de la construction de soi telle qu’elle s’opère chez les jeunes nés dans des familles de l’émigration ouest africaines’ vivant en France
Quel regard les enfants français de parents africains portent-ils sur la France, sur le « bled », sur la culture de leurs parents, sur eux-mêmes ? Sont-ils aidés ou au contraire gênés par des termes comme intégration, origines, communauté, métissage culturel ?
Tout part un jour de la question posée par un jeune élève au lycée Prosper Camara où l’auteur, à l’époque, enseignait : “Pourquoi nous les Noirs, ne restons nous pas Blancs ? Il eût été si simple de nous garder à tous la peau claire et d’éviter ainsi cette sourde malédiction liée à une couleur presque partout synonyme de position subalterne”
Une question lourde, brutale, selon l’auteur qui tentera néanmoins d’y répondre tout au long des 232 pages, en faisant appel à l’exégèse biblique, l’histoire, l’anthropologie et la sociologie.
«On ne naît pas Noir, On le devient », ne vise pas à une culpabilisation stérile en tant que telle mais le livre nous apprend à surmonter la perception de murs invisibles rendant le dialogue difficile entre jeunes et parents et avec les autres c’est-à-dire les amis ou les concitoyens.
Pour reprendre l’expression de Jean Louis Sagot DUVAUROUX, “il est important de nettoyer nos esprits de tout ce qui contribue à racialiser le problème, même à travers des euphémismes de bonne volonté”
Dans le même registre il y a le livre de Gaston Kelman : Je suis Noir et je n’aime pas le manioc. On y trouve cette interrogation : Quel est le noir à qui l’on n’a jamais demandé d’où il vient ? Kelman répond : Qu’il lève le doigt.
Pour JLSD, dire de quelqu’un qu’il est Noir est « une affirmation chargée…. » et poser la question Qui est Blanc, n’apporte qu’une « réponse impériale, raciste… » (P 22)
Dans la construction de l’identité du jeune Noir, l’auteur évoque plusieurs éléments comme le déni de la langue, l’univers des signes, le poids de la culture (P32-36).A ce niveau JLSD fait une distinction entre « la culture spontanée, fruit d’un héritage reçu comme naturellement c’est-à-dire par force (langue, traditions, us et coutumes) et la culture réfléchie… »
L’auteur fait remarquer par ailleurs que le défaut de culture sur l’Afrique, le défaut d’Afrique dans le champ culturel français, n’est pas un manque pour uniquement Mamadou (le jeune en quête de son identité dans le livre). C’est un manque, une amputation culturelle, une inculture qui appauvrit chacun, Noir ou Blanc.
Pour corriger ce manque ou cette insuffisance de culture de part et d’autre, certains écrivains comme Léopold Sédar Senghor proposent un métissage culturel mais pour JLSD, cette expression lui parait trop approximative, d’où sa préférence pour mondialisation culturelle (P66)
Toutefois, l’auteur relève des facteurs limitants à la construction de l’identité. Citons pêle-mêle, les ‘ faux semblants’ (P77) qu’utilisent les jeunes pour se construire dans un environnement de malentendus ; le père ‘faiseur de lois’ (P111) ; les écarts de civilisation (P112).
Dans ces conditions, JLSD en conclut que Mamadou comme beaucoup de jeunes noirs se trouvent dans la périphérie des identités (P189)
A côté de ces facteurs limitants, l’auteur trouve, heureusement pour le bonheur du lecteur, des facteurs favorisant qui se résument en quatre éléments essentiels: la francité, la citoyenneté, l’image de soi, le regard de l’autre P 186)
On ne naît pas Noir, On le devient’ est un livre qui restera toujours d’actualité
tant que certains Noirs continuent de se renier au nom d’un complexe face au Blanc. Nous citons cet exemple d’un artiste étranger de renommée internationale qui a choisi de décaper sa peau noire et de redresser son « gros nez de nègre » en subissant la rigueur des bistouris qui l’ont rendu, pour son malheur, méconnaissable et affreux.
Nous avons aussi été, nous-mêmes, traités différemment parce que nous sommes Noirs. Rappel : à l’issue d’une formation académique dans un pays situé sur le continent mais hors d’Afrique noire, les Noirs de la promotion avaient choisi de boycotter la cérémonie de remise des diplômes lorsqu’ils découvrirent que les notes avaient été falsifiées pour mettre les autres races en tête de classement. Le Directeur des études, maitre d’œuvre de cette ignominie ne pouvait pas concevoir que des Noirs vinssent en tête face à des Européens et d’autres races blanches. Nous eûmes gain de cause et nous sommes fiers de dire, sans prétention, que nous avions fait honneur au Mali ce jour-là suivant le rang que nous avions occupé.
Nous en concluons, pour notre part, que nous devenons effectivement noirs dès lors que nous acceptons tous ces jugements négatifs sur la couleur de notre peau et par extension sur notre statut de “race inférieure” paresseuse, incapable de réflexion stratégique et qui ne contribue en rien au progrès de l’humanité, à part faire beaucoup d’enfants.
L’auteur Jean-Louis Sagot-DUVAUROUX est metteur en scène, dramaturge et auteur de plusieurs livres et un très bon connaisseur de la culture malienne.
Balla COULIBALY, journaliste littéraire.
Source: Le Républicain- Mali