Alors que le Nigeria se prépare à commémorer le quatrième anniversaire de l’enlèvement des lycéennes de Chibok, le drame similaire de Dapchi est venu rappeler que Boko Haram est tout sauf « vaincu », contrairement à ce qu’affirme le gouvernement d’Abuja.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, Muhammadu Buhari a tenté de se démarquer de son prédécesseur en déployant un effort de guerre sans précédent dans la région du lac Tchad où les jihadistes mènent une insurrection sanglante. Mais s’il a réussi à les affaiblir, le groupe conserve la capacité de mener des opérations de grande envergure.
Les combattants de Boko Haram, dont le nom signifie « l’éducation occidentale est un pêché », ont mené des campagnes sanglantes contre les professeurs et les étudiants dans le nord-est du Nigeria, où ils veulent installer un califat.
« S’ils sont vraiment à genoux (…), c’est incompréhensible qu’ils aient pu enlever autant de filles » à Dapchi, affirme à l’AFP Jacob Zenn, chercheur à la Fondation Jamestown, basée à Washington.
« Le gouvernement Buhari est moins corrompu (que celui de Goodluck Jonathan) et prend les choses plus au sérieux, mais désormais Boko Haram (…) a une décennie d’expérience, 10 ans de combats et d’apprentissage », note-t-il.
Mi-février, les insurgés ont ainsi, une nouvelle fois, réussi à enlever plus de 100 jeunes filles sans rencontrer de résistance, dans une région pourtant lourdement militarisée.
Le scénario fut quasi le même qu’en avril 2014 à Chibok, lorsque les insurgés, arrivés à la faveur de l’obscurité par dizaines à bord de camions et de pick-up, avaient visé un pensionnat et emmené avec eux 276 élèves.
– Un milliard de dollars –
Cette tragédie avait ouvert les yeux du monde sur les terribles exactions commises par le groupe au Nigeria, déclenchant une vague d’émotion mondiale avec le mouvement « bring back our girls » relayée jusqu’à la Maison Blanche par Michelle Obama.
Preuve que la lutte contre Boko Haram est loin d’être finie, Abuja a annoncé son intention de puiser un milliard de dollars (plus de 810 millions d’euros) dans les réserves fédérales pour acheter des armes et moderniser les équipements militaires cette année.
Depuis des mois, l’armée nigériane a surtout concentré ses opérations contre la faction du leader historique, Abubakar Shekau, dans la forêt de Sambisa proche du Cameroun, laissant une certaine marge de manoeuvre à une branche dissidente, affiliée au groupe jihadiste Etat islamique.
C’est cette faction, dirigée par Abu Mossad Al Barnaoui, surtout active au lac Tchad et le long de la frontière avec le Niger, qui est à l’origine de l’enlèvement de Dapchi, selon plusieurs sources sécuritaires.
Ses hommes, contrairement à ceux de Shekau qui mènent des attentats-suicides dans les lieux publics, sont réputés commettre moins d’exactions de masse, notamment à l’encontre des musulmans. La quasi-totalité des élèves de Dapchi (105 sur 111) ont depuis été libérées par leurs ravisseurs, dans le cadre de négociations avec le gouvernement.
Selon Ini Dele-Adedeji, chercheur à l’Université de Londres, le retour des otages a donné lieu à une scène « intéressante »: « les membres de Boko Haram ont débarqué à Dapchi de manière quasi-triomphale en brandissant les filles tandis que les gens de la ville faisaient la queue pour leur serrer la main et les acclamer ».
« Cela montre à quel point la perception de Boko Haram dans certaines zones du nord du Nigeria peut être nuancée », selon le chercheur.
– Autres priorités –
L’enlèvement de Chibok n’a pas connu un dénouement aussi rapide. Cinquante-sept jeunes filles s’étaient échappées juste après le rapt et 107 ont été retrouvées, secourues ou échangées avec leurs ravisseurs, là aussi suite à des négociations.
Mais le sort d’une centaine d’entre elles reste un mystère. Début janvier, plusieurs apparaissaient dans une vidéo diffusée par le groupe, affirmant qu’elles ne voulaient plus quitter le « califat ».
Dans son discours de Pâques, le président Buhari, qui vient d’annoncer son intention de briguer un nouveau mandat à présidentielle prévue en février 2019, s’est dit « très optimiste », affirmant que toutes les filles encore en captivité seraient bientôt « rendues sans condition à leurs familles ».
Toutefois, quatre ans après, l’affaire Chibok ne suscite plus les même débats passionnés au Nigeria, géant de 180 millions d’habitants en proie à d’autres conflits armés comme dans le centre, où éleveurs et agriculteurs s’affrontent régulièrement pour l’accès à la terre.
Les Nigérians jugeront son bilan sur d’autres sujets, estime Amaka Anku, analyste au cabinet de conseil Eurasia group. « La sécurité sera au centre des discussions pour les élections mais je pense que l’accent sera davantage mis sur ce qui se passe dans le centre ».
La rédaction