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Niger: les raisons de la colère et des violences antichrétiennes

Appels sur l’actualité fait escale au Niger, où de violentes émeutes anti-Charlie Hebdo mi-janvier ont fait dix morts à Zinder et à Niamey. Dans la foulée, la manifestation de l’opposition contre le régime du président Mahamadou Issoufou a été interdite et 90 personnes ont été arrêtées au soir du 18 janvier.

salutation president nigerien mahamadou issoufou

Dix personnes ont été tuées mi-janvier au Niger lors d’émeutes contre la caricature du prophète. Pourquoi une telle violence ?
Il faut le dire et le redire : personne à Niamey n’avait imaginé que la capitale pourrait connaître une telle poussée de violence haineuse contre les populations chrétiennes, qui représentent une infime minorité et qui ne posent aucun problème au Niger. A Niamey, 45 églises ainsi que des bars, hôtels et autres commerces appartenant à des non-musulmans ont été détruits, tandis qu’à Zinder plus de 300 chrétiens ont dû trouver refuge dans des camps militaires… Mais les raisons sont à chercher dans un cocktail explosif, fait à la fois de malaise, de frustration, de crise sociale et de montée d’un islam radical.

Y a-t-il un risque de crise sociopolitique au Niger ?
Le climat est tendu depuis des mois et l’exaspération contre le président Mahamadou Issoufou est bien présente. Mais il y a eu aussi une maladresse de communication quand le président a décidé spontanément de répondre à l’appel du président Hollande de venir manifester le 11 janvier à Paris, d’ailleurs non pas pour soutenir les caricatures de Charlie, mais pour refuser la violence terroriste et défendre la liberté d’expression. En France, la liberté d’expression inclut aussi les caricatures et le délit de blasphème n’existe pas. Dans cette communion républicaine et mondiale, le président Issoufou s’est laissé aller à s’associer au mot d’ordre « Je suis Charlie »… Sauf qu’à Niamey, ça ne passe pas, mais alors pas du tout. Les Nigériens dans leur grande majorité sont choqués de cette adhésion à des valeurs « non musulmanes ». Deux jours après la sortie du dernier Charlie Hebdo, les réseaux sociaux étaient très durs envers le chef de l’Etat, à qui on reproche tout : sa participation à la manif de Paris mais aussi de ne pas suffisamment s’occuper de son peuple dans un contexte de grande pauvreté et de grand désarroi socioéconomique, mais aussi vis-à-vis des dizaines de soldats nigériens eux aussi victimes du terrorisme au Mali. Plusieurs dizaines des casques bleus nigériens de la Minusma ont péri au Mali ces derniers mois.

Mais pourquoi franchir le pas d’une violence antichrétienne ?
Le peuple est frustré que son président, devenu un partenaire majeur de la France, soit plus intéressé par la lutte antiterroriste que par la jeunesse nigérienne. Comme sous d’autres cieux, cette jeunesse cherche ailleurs que dans le travail ou les études des raisons d’espérer. Son recours, c’est la religion. Une religion plus stricte, avec des références salafistes en quête de pureté. Une partie est attirée par Izala, une branche wahhabite de l’islam qui vient du Nigeria : elle encense les valeurs musulmanes et remet en cause les valeurs de l’Occident. A Niamey, des prêcheurs n’hésitent pas à nourrir le sentiment de haine et de rejet de tout ce qui n’est pas musulman. Dans ce contexte, des jeunes paumés, des « badauds », ont manifesté. Et, poussés par « on ne sait pas encore qui », ils se sont mis à vandaliser les biens des chrétiens.

Des chrétiens associés à un monde occidental impie ?
Beaucoup le pensent. Mais il n’y a pas que des églises qui ont été incendiées. Il y a aussi des drapeaux français, des hôtels, des débits de boissons, le centre culturel franco-nigérien de Zinder… La France est donc aussi visée. Cette France « laïque et impérialiste » qui s’installe au Niger un peu trop visiblement aux yeux de beaucoup de Nigériens.

Y a-t-il un risque de crise politique ?
Il y a une vraie perte de confiance entre le pouvoir nigérien et le peuple. Elle se nourrit de la crise politique qui a débuté dans l’été 2013 avec la rupture cinglante entre le président Issoufou et son ancien partenaire de la victoire de 2012, Hama Amadou, devenu depuis le principal adversaire. Hama, président de l’Assemblée nationale, a tour à tour été impliqué dans l’affaire de trafic de bébés. Il a dû fuir le pays par peur pour sa vie, dit-il. Il a été destitué de sa fonction au perchoir puis inculpé : le procès de l’affaire de trafic de bébé s’est ouvert début janvier. AU Niger, le président Issoufou est vu comme trop faible, qui n’a pas tenu ses promesses et qui, au lieu de trouver des solutions, cherche des bouc-émissaires. On lui reproche à lui et à son ministre de l’Intérieur de mettre à mal les libertés individuelles au nom de la sécurité d’Etat, de bafouer la liberté d’expression et la liberté de la presse…

La manifestation de l’opposition avait-elle été autorisée par le pouvoir ?
Oui, dès le 12 janvier. Elle était organisée par l’Alliance pour la réconciliation, la démocratie et la république (ARDR), composée du MNSD de Seini Oumarou, de la CDS de Mahamane Ousmane et de Lumana de Hama Amadou. L’ARDR avait prévu une manifestation suivie d’un meeting, et dénonçait « les tares du pouvoir » dans L’Appel du 18 janvier. Elle accuse le pouvoir d’avoir tout fait pour mettre l’opposition en morceaux à l’aide d’achat des consciences et d’argent, beaucoup d’argent, pour débaucher ses militants. Finalement, elle reproche au président Issoufou d’être très en-deçà de ses promesses électorales et de sous-estimer les vrais problèmes. Des reproches somme toute assez classiques, qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux du PNDS de l’opposant Issoufou avant 2012, à l’époque contre le pouvoir MNSD de Mamadou Tandja : accaparement des moyens de l’Etat au service de la propagande, achat des médias, mauvaise utilisation des revenus des ressources minières et notamment pétrolières. Outre ces critiques sur la mauvaise gouvernance, une autre porte sur le manque d’impartialité de la Cour constitutionnelle… L’opposition dénonce l’allégeance de cette cour au pouvoir et l’estime disqualifiée dans un « livre blanc ». Mais si elle comptait absolument mobiliser le peuple nigérien derrière ses très nombreuses critiques, il reste que cette manifestation, programmée bien avant, est arrivée après un vrai drame qui a fait dix morts dans des violences antichrétiennes… Le pouvoir avait demandé à l’opposition de reporter d’une semaine sa manifestation, mais elle n’a rien voulu savoir. D’où son interdiction, avec les conséquences que l’on sait : intervention des forces de l’ordre, gaz lacrymogènes et 93 arrestations dans les rangs des opposants…

Y a-t-il eu tentative de récupération des émeutes anti Charlie Hebdo ?
L’opposition a tout de suite indiqué qu’il n’y avait aucun lien entre la manifestation du 18 janvier et les émeutes anti-Charlie des jours qui ont précédé. A Niamey, toutefois, beaucoup de « citoyens lambda » ont regretté que l’opposition, tout à son objectif de maintenir coûte que coûte sa manifestation, ait oublié un peu vite le drame qui s’était joué la veille et l’avant-veille à Niamey et Zinder. D’autant qu’on l’a peu entendue manifester sa compassion auprès des familles des victimes et de la communauté chrétienne.

Les responsables des violences antichrétiennes seront-ils inquiétés ?
Une enquête est ouverte pour tenter de comprendre qui est derrière ces actes haineux qui n’ont rien de spontanés. Les jeunes gens qui sont allés brûler les églises, les débits de boissons, les hôtels ou les drapeaux français avaient des bidons d’essence à leur disposition. Selon le ministre de l’Intérieur, l’information a circulé via SMS et téléphones portables. Dans les rues de Niamey, les jeunes badauds n’étaient pas des ultra-islamistes. Ils se sont très tôt précipités sur les débits de boissons et plastronnaient devant les caméras à moitié ivres, bières à la main… Des arrestations ont eu lieu à Zinder et Niamey : au total, quelque 400 personnes qui devront répondre de leurs actes devant la justice. Un juge d’instruction a été saisi.

Source: rfi.fr

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