C’est avec stupeur et affliction que nous avons lu dans le journal Le Républicain, dans sa livraison du jeudi 24 juin 2021, un article sous le titre « vers une république islamique au Mali » illustré par la photo de l’ancien ambassadeur de la France au Mali, Nicolas Normand.
Cet article nous a plongés dans un étonnement paralysant, mais aussi choqués par la virulence de cette sortie médiatique contre le Mali dont la motivation n’est rien d’autre que le choix de son interlocuteur en ce moment difficile: une exigence du DNI. Cette déclaration particulièrement fertile en expressions chocs visant à chauffer les esprits et à designer du doigt les pestiférés : la tendance religieuse musulmane de la rébellion. Cette déclaration, a été un véritable levain pour les détracteurs et les ennemis de notre pays. Parce qu’elle est conçue sur une véritable gymnastique intellectuelle faite de présomptions, de supputations, de probabilité et de contrevérités.
Devant de telles déclarations acerbes, aux desseins inavoués, des questionnements inquiétants s’imposent. Nous nous interrogeons sur la valeur et l’autorité que peut bien avoir en droit international cette ingérence inadmissible française dans les affaires intérieures malienne ? Au nom de quel impératif d’urgence s’imposait une telle allégation dont l’objectif recherché par son concepteur n’est rien d’autre que de faire mal à un pays qui a refusé le diktat français en acceptant de dialoguer avec d’autres maliens en armes.
Le crime de lèse-majesté des autorités maliennes fut lorsque notre pays a exposé à plusieurs reprises sa position sur les questions liées au dialogue avec d’autres maliens en armes qualifiés de djihadistes. Cette obligation était due à deux facteurs non moindres. D’abord c’est devant une situation d’exclusion, de frustration, et de rejet systématique par le choix de la tendance séparatiste au détriment de celle religieuse, que fut menée la tactique guerrière pour démontrer leur présence remarquable sur le terrain, à imposer à notre pays et à ses alliés une guerre asymétrique d’une rare violence. La population civile et militaire, et même nos partenaires ont payé et continuent de payer ce lourd tribu avec de déplacés internes et externes, de mutilés par des mines et engins explosifs, et de morts au quotidien.
Après, conscient de la gravité de cette situation qui perdure, le peuple malien, lors du Dialogue National Inclusif (DNI), a souverainement exigé des autorités un dialogue avec cette couche de Maliens en arme : (djihadistes), toute tendance confondue. En se prêtant à ce dialogue, qui est une recommandation du DNI, faut-il autant réduire l’actualité malienne à quelques manifestations les plus choquantes et les plus scandaleuses, comme s’emploient à le faire systématiquement les partisans d’un Mali divisé ? Non et non. Nous vous laissons Excellence, Monsieur l’ambassadeur, cette ingérence sensationnaliste et provocatrice d’un Mali dépeint à travers le prisme déformant de menace d’une probable République islamique. Si la démocratie symbolise aujourd’hui la volonté de la majorité, ce dialogue est une exigence souveraine du peuple malien. Vous agissez, Excellence Monsieur l’ambassadeur, comme s’il n’y a de Démocratie qu’à l’optique française. C’est ainsi que tout régime qui n’imite pas servilement votre modèle et vos orientations est considéré comme antidémocratique. Aujourd’hui, avec la situation d’un Mali en lambeau dont la France est comptable, curieusement ce même pays se donne une mission de protection et d’accompagnement, qui masque un dessein manifeste d’exploitation et qui se caractérise par la domination, l’acculturation, la stigmatisation et la partition.
Une telle déclaration s’insère dans la chaîne des grandes entreprises de croisade islamophobe déclenchée depuis un certain moment dans le monde et principalement en France contre l’Islam et les musulmans. Aussi, ce qui rendait cette sortie de son excellence pernicieuse, c’est qu’elle ne se limite pas seulement à des attaques frontales et directes contre les mouvements de tendance islamique, mais répandait le poison insidieux d’idées islamophobes fondamentalement opposés malgré certaines apparences à l’islam en tant que doctrine de vérité et voie du salut. A cela s’ajoute une stratégie sournoise de division de la Communauté musulmane du Mali à travers l’usage des dénominations-pièges entre autres : du plus modéré comparable à la république islamique de Mauritanie au plus extrémiste des modèles inspirés soit des Frères musulmans, comme dans la Turquie actuelle, soit de type wahhabite, comme en Arabie saoudite, et les confréries soufies qualifiées de déviantes.
Pourquoi la France a forcé et a obligé le Mali à dialoguer et à signer un accord avec une tendance de la rébellion (la tendance indépendantiste : Accord d’Alger) et exclure la tendance religieuse. Nous croyons que dans la lutte contre le terrorisme, il y’a un principe. A situation égal, traitement égal. Y’a-t-il de bon et de mauvais terroriste ? La diplomatie à géométrie variable, quand tu nous tiens !
Excellence, Monsieur l’ambassadeur, si votre déclaration est un chantage aux nouvelles autorités afin qu’elles coupent le pont du dialogue avec d’autres Maliens en armes, sachez que c’est déjà une cuisante défaite, une capitulation diplomatique. Car, nous vous apprenons que pour faire du chantage au Mali, il faut les moyens qui sont : la pertinence de la déclaration, la véracité des faits, et les témoignages et preuves poignants. Aucun de ces éléments ne se trouve dans votre sinistre déclaration. Alors quel est son but ?
Les commentaires de son excellence, Monsieur l’ambassadeur Normand sont dominés par une haine viscérale accompagnée des flèches incendiaires contre les mouvements de tendance islamiques et certains pays musulmans jugés radicaux. Certaines expressions de cette déclaration nous ont particulièrement fait tressaillir et révoltés. A cet effet, nous citerons seulement ce passage entres autres. « La vague de réislamisation, encouragée depuis des décennies par la diplomatie religieuse des États du Golfe arabo-persique, qui finance les écoles coraniques, l’enseignement de la langue arabe, les universités islamiques, des ONG islamiques, des bourses d’études etc. Sous cette impulsion, la réforme salafiste ou wahhabite a gagné du terrain, ses prédicateurs défendant la thèse d’une dérive religieuse locale du fait de la mauvaise connaissance de l’arabe ou encore de l’interprétation par les confréries soufies qualifiée de déviante», suivi d’autres contrevérités.
De quoi, et pourquoi le financement des écoles coraniques, de l’enseignement de la langue arabe, des universités islamiques, des ONG islamiques, des bourses d’études offert aux Maliens à travers la coopération islamique peut-il agacer un diplomate français? Que l’ex- ambassadeur français comprenne que dans le cadre de la coopération avec les pays arabo-persiques et musulmans, notre pays a beaucoup bénéficié dans le cadre du développement et de la sécurité. L’Arabie Saoudite, que vous disqualifiez monsieur, l’ambassadeur comme vectrice du radicalisme wahhabite, a fait beaucoup de réalisations de développement mais surtout sur le plan sécuritaire par des gestes financiers pour l’apaisement du climat malien. C’est ainsi que le Royaume d’Arabie saoudite très actif dans le financement de la paix au Mali à travers les G5 a fait un premier décaissement de cent (100) millions d’Euro. Il a aussi financé des grands chantiers de développement comme les deux grands barrages (Sélingué et Manantali), les routes, les ponts, et l’aménagement des milliers d’hectares de superficies agricoles entre autres. Ces financements des infrastructures routières, hydrauliques, agricoles, militaires, et d’autres n’ont pas pour finalité d’amplifier l’insécurité, mais pour le développement du Mali.
À force de pousser les feux sur la coopération malienne avec les pays musulmans du golfe, l’ancien ambassadeur français au Mali, Nicolas Normand a, par cette déclaration, franchi la ligne qui sépare la lucidité de la passion. Son appel contre ce qu’il appelle la vague de réislamisation, soutenu par la diplomatie religieuse des États du Golfe arabo-persique, les bailleurs des écoles coraniques, de l’enseignement de la langue arabe, des universités islamiques, des ONG islamiques, des bourses d’études, témoigne de son courage, mais pas forcément de sa lucidité. D’ailleurs, le terme réislamiser le Mali est une insulte contre l’Islam millénaire malien.
Condamnant ce genre de propos portant atteinte à la souveraineté et à l’intégrité de mon pays, je réitère mon attachement à mon devoir de défense de son honneur, de sa dignité et de sa souveraineté en apportant un démenti formel et clair à ces allégations mensongères.
Chers compatriotes, le moment est enfin venu afin que les Maliens brisent la chaîne de la soumission et de la résignation. Nous sommes un peuple de la résistance, un peuple debout. Il est grand temps de mettre fin à la tergiversation, au tâtonnement et à l’ingérence dans nos affaires intérieures par quel pays ou par qui que ce soit. Il faut nécessairement que le peuple malien prenne son destin en main.
Priant pour une transition réussie, et des élections apaisées, je formule le vœu d’un Mali harmonieux ou le vivre ensemble doit demeurer autant un patrimoine commun qu’un effort collectif.
Mohamed KIMBIRI
Président Collectif des Associations Musulmanes du Mali
Source: Le Républicain- Mali