« Doit-on parler avec les jihadistes tout en luttant contre le terrorisme ? Avec qui négocier ? Sur quelle base faut- il négocier ? » La problématique était au cœur du dernier numéro de l’émission « Le Débat africain » de la radio RFI enregistrée à Bamako la semaine dernière. Pour cette émission ouverte au grand public dans l’amphi de la Faculté des sciences économique et de gestion (FSEG), Alain FOKA, avait pour invité Me Baber GANO, ministre de l’Intégration africaine ; l’ancien PM, Moussa MARA ; l’Imam Mahmoud DICKO, ancien président du Haut conseil islamique malien.
Pour accompagner ces éminentes personnalités, on avait fait appel aussi à Mariam DIALLO, étudiante à la FSEG ; Abdel Kader MAIGA, président de la Coalition contre la partition du Mali, IGDAH Mali Té Tila et Dr Niagalé BAGAYOKO, présidente de l’African Security Sector Network (ASSN).
Si le principe d’une négociation avec les chefs djihadistes, à l’image de Iyad Ag GHALI et Amadou KOUFFA, tel que décidé par le Dialogue national inclusif (DNI), semble accepté par tous, les acteurs se sont montrés divisés sur un certain nombre que question et principes.
Si pour le ministre GANO, ceux qui ne sont pas des Maliens ne sont pas dans la sphère des négociations ; pour l’imam DICKO, on doit négocier avec tous ceux qui sont sur le terrain d’une manière ou d’une autre.
Autre question qui a laissé paraitre une divergence de vue entre acteurs, c’est les bases sur lesquelles il faut dialoguer avec les djihadistes. Alors que la jeune étudiante, Mariam DIALLO, affirme qu’il est hors que d’envisager l’application de la charia dans un État démocratique. Mahmoud DCIKO répond qu’il faut : « faire des préalables et désigner des lignes rouges avant même le principe de négociations par les autres me parait utopique ».
De la nécessité de négocier
À la question principale, faut-il négocier avec les jihadistes ?
Mariam DIALLO, étudiante à la faculté des Sciences économiques et de gestion (FSEG) de Bamako, pense qu’il est temps de trouver une solution à cette guerre qui a fait trop de victimes. Toutefois, il faut qu’on reste sur nos gardes. Compte tenu du fait que notre pays n’a pas assez de moyens pour combattre ce phénomène, l’étude pense qu’il est plus sage d’envisager la solution du dialogue.
Pour le Dr Niagalé BAGAYOKO, présidente de l’African Security Sector Network (ASSN), la question est de savoir qu’est ce qu’il faut négocier. On a en face de nous, pas des acteurs qui ont recours à la violence, mais des acteurs qui ont un projet politique et des revendications. Est-ce qu’on est prêt à remettre en cause un certain nombre de modèles ?
Pour Me Baber GANO, ministre de l’Intégration africaine, secrétaire général du Rassemblement pour le Mali, ces négociations demandées par le président de la République ne sont pas un aveu d’échec, mais une nouvelle option politique favorisée par le contexte politique actuelle. Cette initiative répond à une forte demande largement partagée par toutes les composantes de la nation exprimée lors des assises du dialogue national inclusif qui a eu lieu en décembre 2019. Conformément à cette recommandation, le président de la République, a-t-il fait savoir, a accepté d’aller vers une négociation avec Iyad Ag GHALI et Amadou Kouffa. Pour lui, ce n’est pas une capitulation ni un recule. Nous n’avons jamais jeté l’anathème sur Amadou KOUFFA avec qui le DNI a recommandé de négocier.
De son côté, le chantre de la négociation avec les djihadistes maliens, l’imam Mahmoud DICKO, ancien président du Haut conseil islamique, a indiqué qui a toujours pensé qu’il fallait négocier avec ces acteurs. Et cela, en raison de l’état de notre pays administré par un État faible avec une armée qui est dans une situation très délicate à l’image de la société malienne elle-même. Dans l’état actuel des choses, faire face à une longue guerre est très difficile à supporter pour le Mali. Je crois qu’on a raison de parler avec les djihadistes. Je ne suis pas moins surpris, je pense que le monde actuel vit dans un paradoxe. Nous sommes à une époque où il y a une campagne mondiale pour l’abolition de la peine de mort, tout simplement pour sauvegarder la vie humaine. Et si aujourd’hui, pour sauvegarder des vies humaines on pense qu’il faut négocier avec des gens qui tuent, je ne vois pas comment cela doit être une surprise.
Avec qui faut-il négocier ?
À la question avec qui faut-il négocier, l’ancien Premier Moussa MARA, président du parti Yelema, a répondu que la recommandation du DNI indique très clairement avec qui il faut négocier, à savoir : Iyad Ag GHALI et Amadou Kouffa.
Mais le hic selon lui, est que ces deux ne sont pas les seuls acteurs sur le terrain. Pire, les tendances montrent que des acteurs prédominants et surtout violents restent les membres de l’État islamique. Faudra-t-il aussi négocier avec El Saraoui de l’État ? C’est là où se pose toute la question selon l’ancien PM.
Pour Me Baber GANO, en tant que garant de la Constitution, le président de la République doit respecter des règles constitutionnelles et des valeurs républicaines. En plus de l’option militaire, cette démarche, pour Me Baber GANO, va contribuer à l’atteinte des objectifs de la paix tant souhaitée par les Maliens. Pour l’instant, il s’agit de négocier avec Iyad Ag GHALI et Amadou Kouffa, qui sont des Maliens. Ceux qui ne sont pas des Maliens ne sont pas dans la sphère des négociations.
Mahmoud DICKO dira que négocier, c’est d’abord une volonté. Nous voulons négocier et ceux qui sont cités sont seulement des têtes de chapitre. Mais si le principe de négocier est accepté, ça veut dire qu’on va négocier avec tous ceux qui sont sur le terrain d’une manière ou d’une autre. Parce que, c’est très difficile aujourd’hui de savoir ceux qui sont les vrais acteurs sur le terrain si on n’est pas au courant du fonctionnement du système.
Moussa MARA, sans s’opposer au principe, pense qu’il y a lieu de savoir sur quoi on va négocier et jusqu’à quel niveau accepter les exigences des terroristes.
Fondamentalement, ce qui divise aujourd’hui les acteurs sur cette question de négociation, est de savoir sur quelle base va-t-on négocier tant que ces les revendications de l’autre partie tournent essentiellement autour de l’application de la charia ? Un principe difficile à être accepté dans un État laïc et républicain comme le Mali.
Divergences sur le principe
Pour Mahmoud DICKO, le principe veut qu’on aille aux négociations sans aprioris. On va aux négociations avec les arguments qu’on a. Pour le Mali, le préalable, c’est d’abord chercher la paix. Maintenant, le contenu sera déterminé au cours des débats. Mais, faire des préalables et désigner des lignes rouges avant même le principe de négociations par les autres me parait utopique.
En tout cas, pour la jeune étudiante, Mariam DIALLO, il est hors que question d’envisager l’application de la charia dans un État démocratique.
Le Dr Niagalé BAGAYO pense qu’au-delà de la charia, il faudra discuter de 4 éléments : la question des positions politiques, la question des réformes en tant que politique publiques. Il y a aussi la question de savoir ce qui va être négocié au niveau local. Et enfin, le quatrième élément est celui des relations avec l’extérieur.
Pour Moussa MARA, le Mali est un pays laïc, et nous ne devons jamais transiger sur ça.
« Ce ne sont pas les textes, c’est la société malienne elle-même qui est laïque, multiconfessionnelle », a-t-il insisté.
La question du modèle d’État doit être au cœur des discussions, selon le Dr Niagalé BAGAYO. Pour elle, c’est une question d’inclusion.
Après avoir écouté les uns et les autres sur l’intransigeance autour de la question de l’application de la charia, Mahmoud DICKO a fait savoir que ces genres de réactions lui font sourire. Pour lui, la démocratie que nous revendiquons a failli autant que l’État républicain. Et d’ajouter que c’est cela qui a amené le terrorisme dans notre pays.
« C’est cette mauvaise gouvernance qui a mis le Mali dessus dessous qui a amené tout cela aujourd’hui. On ne peut pas dire que c’est intouchable, c’est la ligne rouge, alors que ceux qui sont censés protéger ces principes les ont détruit. Pour Mahmoud DICKO, il s’agit de trouver un arrangement avec ces groupes pour que l’État du Mali puisse continuer à exister.
L’incertitude
Pour Moussa MARA, quand on écoute dans les détails, ce que les groupes terroristes revendiquent (départ des forces étrangères, rejet de la justice, de l’éducation, de la présence de l’État, etc.), il est très difficile d’envisager un accord avec ces groupes en termes d’administration d’espace, en termes de gouvernance politique et d’ordre socio-politique. Toutefois, il encourage l’État à commencer les négociations pour que la majorité des Maliens qui ignorent la réalité du terrain puisse savoir quelles sont les vraies revendications de ces groupes. On a souvent évoqué la théorie du complot international, mais pour Moussa MARA, si le Mali est dans cette situation, c’est dû en grande partie aux Maliens eux-mêmes. Ce qui est incontestable, à son avis, c’est que la population est grandement ignorante des réalités du pays de façon dont le pays gouverné.
Par Abdoulaye OUATTARA
INFO-MATIN