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Mohamed Youssouf Bathily dit Ras Bath: « Pour sa dignité et sa survie politique, le Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maiga, doit partir »

Dans une interview qu’il nous a accordée , en fin de semaine au siège de son  collectif sis à Djélibougou,  le porte-parole du CDR, Mohamed Youssouf Bathily alias Ras Bath, s’est prononcé sur les différentes crises auxquelles le Mali est actuellement confronté. Il a profité de l’occasion pour  demander le départ du Premier ministre, Soumeylou Boubaye Maiga.  Lisez l’interview !

Le Pays : Vous venez de vivre, il y a quelques mois une nouvelle aventure avec la participation de votre mouvement à l’élection présidentielle au profit de Soumaila Cissé. Quels enseignements tirez-vous de cette élection ?

Mohamed Youssouf Bathily dit Ras Bath : La participation du CDR à l’élection présidentielle en faveur d’un candidat nous a été d’un enseignement très riche. D’abord, nous avons fait l’objet de critiques de la part d’une bonne partie de la classe sociale, notamment la  société civile et politique. Cela se comprend si nous savons que traditionnellement, la société civile n’est pas impliquée   dans le choix des politiques devant gérer ce pays. L’enseignement qu’on a tiré,  c’est de ne pas réserver le domaine de responsabilité aux seuls politiques. Mais le plus grand enseignement est que ça été  pour nous jeunes une chance de savoir  le rôle que nous devons jouer.

Grâce à notre combat de sensibilisation citoyenne, chacun s’est approprié de l’importance du paiement des impôts. Nous sommes suffisamment murs aujourd’hui pour savoir ce qui nous manque et ce que nous souhaitons avoir. Ces élections ont donc été l’opportunité pour des milliers de militants du CDR de se rehausser en termes de devoir. Elles ont été une véritable initiation pour beaucoup de militants, ça nous a permis d’évaluer beaucoup de choses, de connaitre l’importance et le rôle des organes électoraux, la cour constitutionnelle, l’inconvénient d’avoir un fichier truqué  et ses répercussions sur tout  le  processus.  Bref ces élections ont été d’un enseignement civique, intellectuel et patriotique pour le CDR. Nous sommes à la phase de capitalisation de nos efforts pour renforcer notre lutte dans le bonheur de renforcer les institutions de la République et de la bonne gouvernance.

Y a-t-il des réformes à opérer ?

Vu les procédures et les évènements dont nous avons assisté, forcément il y a des réformes à faire. Notre premier constat concerne  l’une des causes majeures de la fraude qui ont émaillé cette élection : le   fichier  électoral qui  a été truqué et tripatouillé. Tout part de ce  fichier. Plus le fichier est bon, plus la chance des résultats d’un processus transparent est élevée. Mais moins le fichier est crédible, moins le résultat est crédible. Donc il y a des réformes à faire à ce niveau. Aussi, à l’instar d’autres pays, il faut que l’organisation de l’élection soit confiée à une seule entité qui puisse avoir le pouvoir de  la gérer sans que les pouvoirs soient partagés entre les différents organes. Donc  que la réforme soit opérée à travers une nouvelle loi électorale qui va désormais concentrer tout le processus électoral entre les mains d’un seul organe autonome, indépendant et opérationnel à travers la CENI qui va avoir le pouvoir d’établir le  fichier électoral , celui de commander les matériaux de vote, de proclamer les résultats provisoires et de conduire tout comme ça se fait au Sénégal, au Benin, en Côte d’Ivoire et partout au monde. Cela est gage de la transparence et permet d’éviter les crises postes électorales. Il faut sortir du processus à trois têtes : la DGE , la CENI et le ministère de l’Administration territoriale . Tant que c’est le ministre de l’Administration territoriale qui demeure en charge d’organiser les élections, un ministre qui a comme candidat  le président sortant candidat à sa propre succession, le risque de fraude sera toujours élevé et il y aura un manifeste de conflit d’intérêts.

La deuxième réforme dont on a besoin concerne  la cour constitutionnelle. Il est important qu’on puisse ouvrir aussi au tiers la possibilité d’engager directement la responsabilité des membres de la cour autre que par leurs  pairs, cela permettra d’échapper à la solidarité du corps qui peut primer sur la vérité et la justice au détriment de la démocratie et  du respect de la volonté du peuple. Leur décision étant sans appel, donc il va de soi qu’en amont, les gens disposent des moyens pour les contraindre à défaut de les sanctionner directement. Aussi au niveau de la cour constitutionnelle, la réforme doit s’opérer au niveau du mode de la désignation des membres. On doit faire en sorte que  si le président doit garder la prérogative de choisir trois de ces membres dont  deux juristes, qu’on puisse ajouter que ça soit des juristes constitutionnalistes.  Que le président de l’Assemblée nationale ne soit plus désormais le  seul à choisir trois membres, mais que leur choix soit tributaire du vote de la majorité absolue des députés.

La  troisième réforme à faire est le découpage territorial. Nous sommes pour un découpage administratif avec l’objectif de rapprocher l’administration des citoyens. Mais s’il s’agit du découpage territorial électoraliste, on ne quittera pas le problème. Ce dont on a besoin aujourd’hui, c’est de créer plusieurs  régions tout en supprimant les  cercles. Et toutes ces réformes doivent  passer  par une révision constitutionnelle.

Vous êtes revenus à votre forme initiale d’acteur de la société civile. Quel est l’état de santé du CDR aujourd’hui ?

Le CDR d’aujourd’hui, ça va. Lorsque nous avons évalué notre participation avec le candidat choisi après l’investiture d’IBK le 4 septembre, nous sommes arrivés à la conclusion qu’en tant que démocrates et républicains, l’investiture met fin au processus électoral. Il revenait donc  au CDR sous peine d’agir comme  parti politique de revenir dans son champ naturel,  la société civile.

Nous continuerons à expliquer aux citoyens ce qui est leur droit, leur devoir, le type d’État que nous avons, son mode de fonctionnement, les modes de revendication de leurs  droits, les sanctions et les contrôles dans la république. C’est ça notre rôle qui est différent de celui que nous avions au moment des élections où il était question d’informer les citoyens sur comment choisir quelqu’un par rapport à une offre  politique. Nous devons contrôler les autorités.

Votre mission est le contrôle citoyen, personne n’ignore que le pays traverse une période difficile. Quel regard portez-vous sur la crise au centre et au nord du pays ?

La crise au centre et au nord du Mali est, malheureusement, critique. C’est un regard de déception et de déchirement de cœur. Mais c’était, malheureusement, prévisible. Ce n’est pas quelque chose de fataliste, d’imprévue ou qui nous a surpris. La gouvernance en cours depuis 2013, ne pouvait que produire que ce qui se passe actuellement. Ce n’est pas une question de sentiment ou d’appartenance, mais celle de la  logique. Celui qui entend par gouvernance, d’améliorer les conditions de vie et de travail des citoyens à travers la sécurité des personnes et de leurs biens, se doit dans le contexte particulier du Mali en 2012, de s’atteler à reconstruire les services en charge de la sécurité et de la défense. La reconstruction par rapport à la révision de la politique de recrutement, des cours de formation et des réformes des matériels pour les adapter aux nouveaux types de guerre et de batailles dont on fait face. Pour cela,  il faut un bon diagnostic. En réalité, on s’est rendu compte par le temps aussi bien que par les actes posés, que ce régime, malgré les discours et les programmes écrits, n’a jamais eu la volonté ou la capacité de pouvoir atteindre ou même d’aller vers les résultats qu’ils nous ont chantés. En attestent les corruptions au milieu de l’armée, des recrutements de complaisance, des traitements arbitraires, la démoralisation, la démotivation, la méfiance, la déception des troupes et une perte d’autorité morale au sein de l’armée. À cause de l’envie l’unique de préserver le pouvoir, cela a fait qu’on est passé de l’incapacité ou de l’absence de volonté à l’opportunisme. Les politiques, au départ, n’en ont  jamais eu jusqu’à l’arrivée de Soumeylou  Boubeye Maiga qui a pensé que le monde  continue à tourner au rythme de 1999. S’ils ont réussi, par le passé, après victoire à canaliser Ganda khoy et Ganda iso pour qu’ils ne puissent pas déborder vers d’autres types de rébellions, cette année, ça leur a dépassé. Donc ce sont des monstres qu’ils ont créés, qu’ils ont politiquement exploités pendant les élections, qu’ils ont économiquement exploités à travers des trafics d’armes et qui échappent au contrôle de tout le monde aujourd’hui. Au point que même l’ONU et la sous-région s’inquiètent de ce qui se passe au centre. Et nous avons contaminé le Burkina qui subit aussi des effets collatéraux des attaques sporadiques ciblées. En gros, il n’est en réalité que l’échec et un manque de volonté et de la capacité intellectuelle des gouvernants à arriver au bout de ces problèmes. L’incapacité ajoutée aux manques de volonté ne peut produire que ces résultats. Malheureusement, ce n’est pas pour la première fois que ce régime brille par l’incapacité intellectuelle et le manque de volonté. Le profil n’est pas choisi en fonction de la capacité instinctuelle, mais selon l’intérêt politique. Il y a l’absence de volonté qu’on lit à travers le relèvement  de certains ministres qui avaient réussi dans leurs domaines comme Mamadou Igor Diarra, Tatam Ly et  bien d’autres qui étaient bien dans leur poste et tout en gardant ceux qui ne produisent aucun résultat .

Depuis quelques jours, le Président de la République a entamé une série de rencontres avec la classe politique en l’occurrence  l’opposition pour la décrispation du climat politique afin d’aboutir à un large consensus pour la sortie de crise au Mali. Quel est votre avis ?

Dans la forme, je l’approuve. Si vous vous rappelez bien, après le 4 septembre, le meeting qui a suivi, beaucoup n’ont pas peut-être prêté attention. Le discours de Soumaila était un discours d’ouverture adressé à la communauté internationale pour le dialogue. Et Choguel depuis le deuxième ou le troisième meeting après le deuxième tour de la présidentielle, parlait du dialogue partout et sur  RFI en disant que la crise d’aujourd’hui est plus que politique et donc il fallait y  avoir  un cadre de dialogue. Le président de la République avait fermé les oreilles en son temps, malgré ses discours de la main tendue, jamais traduite de force. Qu’on soit arrivé à prendre conscience que seul le dialogue inclusif est gage de sortie de la crise et de stabilité durable est une bonne chose. Peu importe qu’il arrive un peu tard, l’essentiel c’est d’en avoir pris conscience et de commencer déjà à se rencontrer pour échanger et poser les vraies questions. Vous demandez à la majorité tout comme à l’opposition ainsi qu’à la société civile, ils vous parleront de cette réforme. Mais il s’agit de quel type de réforme réellement ? Aujourd’hui, je vois mal la majorité Treta et Ag Erlaf, Boubeye et IBK  dire : « Je suis pour qu’on puisse modifier la loi électorale en confiant tout le processus électoral à un seul organe autonome composé des représentants de tous les partis politiques et de la société civile. Et sur lesquels, on n’aura aucun pouvoir de contrôle. »  Réforme, oui, parce que la majorité te dira qu’il faut qu’on revoie la cour constitutionnelle, le découpage administratif, la révision constitutionnelle, l’application de l’accord de paix issu du processus d’Alger. Mais pour le processus électoral, elle pourra peut-être  te dire qu’on aménage un ou deux mais pas question de déposséder le ministère de l’Administration territoriale de sa prérogative. Chacun a sa vision de cette réforme, sinon si on arrive à s’entendre sur le processus électoral, cela permettra d’avoir un projet de loi et un projet de révision qui va permettre de faire le consensus en faisant en sorte que le référendum se fasse calmement. Mais attention, je crains qu’on ne soit pas dans un jeu de dilatoire. À ce rythme de trois à quatre rencontres par mois, on se demande quand on arrivera alors à la fin de ce processus. Soumaila a été voir Alpha, Dioncounda ; IBK parle de sa rencontre avec la société civile, les musulmans…Il va finir jusqu’à quand. Et pendant ce temps de concertation, l’opposition va être obligée de changer de discours parce que tu ne peux pas dire que tu es dans une dynamique de conciliation et initier des contestations. Et si les opinions commencent à comprendre que l’opposition a changé de discours dès que Soumaila et IBK se sont rencontrés, elles vont dire que les politiciens sont tous les mêmes.  Donc, dans la forme c’est bien, mais dans le fond, la question se pose à savoir est-ce qu’ils sont sincères. S’ils sont sincères, cela doit se traduire par la rapidité afin qu’on aboutisse à quelque chose de bien. Et tous ceux qui connaissent IBK disent qu’il ne tient pas sa parole.

À l’analyse des réactions de part et d’autre, l’actuel premier ministre semble être le point de blocage du système. Presque tout le monde réclame son départ. Êtes-vous favorable à cela ?

Pour son image, sa dignité et sa survie politique, le Premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga doit partir. Je compatis à son malheur et à sa situation actuelle. Je ne connais nul homme politique au monde qui aimerait être à sa place. Un homme politique est quelqu’un qui a conscience que sa force réside dans l’adhésion massive des citoyens à sa vision. Aujourd’hui, si tu fais un sondage au niveau de l’opposition, le Premier ministre Boubeye est l’homme le plus détesté ; au niveau de la majorité tout comme de la société civile, c’est pareil. Ce n’est pas un rejet d’égoïsme, mais de raison. L’opposition l’a rejeté de par les actes qu’il a posés et qui sont contraires aux discours que lui-même a tenus depuis la nuit des temps : répression des marches, des arrêtés d’interdiction de regroupement quasiment dans toute la ville, fraude massive… Donc ce sont des actes qui ont été de nature à le  voir  sous une autre facette. Le Premier ministre  n’a pas su s’élever au rang d’un homme d’État qui transcende ses intérêts politiques. Il a été un homme d’État au service des intérêts de son parti et de sa personne. Ce qui l’a emmené à prendre des actes qui protègent ses intérêts au détriment de l’État et de sa fonction. Par conséquent, l’opposition est en droit de le rejeter parce que ses actes ne plaident pas en faveur d’un État démocratique et durable. Il donne la conception d’homme d’État qui se sert des instruments de l’État pour protéger son intérêt et tuer celui des citoyens. La majorité le rejette aujourd’hui à juste raison que comme l’a dit Konimba : « Je n’ai jamais vu un Premier ministre en fonction débaucher les députés du président qui l’a mis en place. »

L’instinct de survie se pose et la morale rejette cette attitude de Boubeye. Moralement, il aurait dû prendre des députés partout sauf chez son partenaire même s’ils sont de la même mouvance. Objectivement, la majorité se doit en prévention de le dessaisir du pouvoir par lequel il l’affaiblit. La société civile qui n’est pas politique, nous qui sommes là, attendons des  prestations des services publics. Aujourd’hui, il y a eu 93 préavis de grève en 2018, des grèves à répétition se produisent à cause du non-respect des promesses prises par le gouvernement. Qu’est-ce que Boubeye a tenu comme promesse à l’endroit de la société civile à travers les différents services publics ? Il avait promis la qualité de l’éducation à la population. Rien jusqu’à présent comme on le constate avec les grèves répétitives des enseignants.  Boubeye m’a l’air de quelqu’un qui est égaré et qui ne sait plus quoi faire. Il est un homme limité qui est politiquement instable et émotionnellement  peureux. Tout homme qui  prétend à un poste de responsabilité, qui a un minimum de prévention et de gestion ne peut avoir comme méthode de gestion des hommes ou de règlement de crise: la médisance, la division, le dénigrement… On appelle ça des solutions de circonstances. Ce sont des traitements de choc, mais de courte durée. Un grand responsable travaille toujours pour le long terme et non  pour le court terme.

Votre dernier mot

J’en appelle au devoir d’honnêteté vis-à-vis de la société civile, de la République et de sa famille politique. Le devoir d’être honnête voudrait qu’on ne trahisse point. Tous les partis politiques ont inscrit dans leur préambule : la quête du bonheur du Mali par des valeurs de rassemblement, d’éthique, de démocratie. Tous les partis politiques ont inscrit dans leur charte, l’exemplarité morale, l’assiduité au travail, la répression de la corruption, l’excellence, la transparence, l’égalité, l’équité. C’est cela le devoir d’honnêteté.

Propos recueillis par Mamadou Diarra

Source: Le Pays

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