Huit ans après sa signature, l’Accord de paix issu du processus d’Alger continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive. Quels sont ses acquis ? Qui est à l’origine de la non mise en œuvre de l’Accord ? Comment relancer cet Accord qui est censé mettre fin à des décennies de rébellion au Mali ? Mohamed Elmaouloud Ramadane, porte-parole de la CMA, répond à nos questions. Entretien.
Mali Tribune : L’Accord de paix entre dans sa 8e année consécutive. Quels sont les acquis ?
Mohamed Elmaouloud Ramadane : Les acquis sont la non-belligérance entre les parties signataires. Depuis, les mouvements signataires ne se sont jamais attaqués aux Forces armées maliennes. Donc c’est un acquis. Mais il faut noter que les objectifs principaux de cet Accord restent très loin d’être atteints surtout sur les piliers politico-institutionnels et défense sécuritaire.
L’Accord, lorsqu’il a été signé a nourri beaucoup d’espoir pour la population malienne en général et particulièrement celle des régions du Nord croyant qu’il va mettre fin aux problèmes et qu’elles vont en récolter les dividendes de la paix. Malheureusement, nous sommes toujours au point de départ. On peut dire que les acquis sont minimes, mais il reste beaucoup à faire. Je pense que les parties signataires doivent faire de la mise en œuvre de cet Accord leur priorité, car beaucoup de problèmes trouveront leurs solutions dans cela. Sur le volet politico-institutionnel et pendant tout ce temps, le gouvernement nous a fait savoir qu’il ne peut pas être mis en œuvre tant que la Constitution n’est pas révisée. Aujourd’hui, une nouvelle Constitution est déjà actée et qui ne prend pas en charge malheureusement ces dispositions qui doivent être mises en œuvre parce qu’elles ne sont anticonstitutionnelles. Je crois que nous avons raté une chance de les prendre en charge. Après, ce sont les experts juridiques ou constitutionnalistes qui nous diront demain que la Constitution ne sera pas un obstacle pour la mise en œuvre de ces dispositions. Cette nouvelle Constitution sera une difficulté pour la mise en œuvre de l’Accord. En clair, nous pouvons constater l’absence réelle d’une volonté politique pour la mise en œuvre de l’Accord sinon nous avons eu une occasion pour en finir une fois pour toute avec cet Accord et faire face à d’autres problèmes qui se pointent à l’horizon.
Mali Tribune : Tantôt le gouvernement accuse la CMA d’être à l’origine de la non mise en œuvre de l’Accord et la CMA dit de même. Concrètement, qui est à l’origine ?
M.E. R. : Aucune partie n’accepte d’être indexée comme fautive dans la mise en œuvre de l’Accord. Mais si vous regardez, les parties signataires sont les premiers responsables de la mise en œuvre de l’Accord. La communauté internationale est la garante de la mise en œuvre de l’Accord.
Mais parmi ces parties signataires, c’est le gouvernement du Mali qui est le premier responsable. C’est-à-dire, c’est le gouvernement qui détient les instruments juridiques pour permettre l’application des dispositions particulières de l’Accord. C’est le gouvernement qui dispose aussi des ressources financières pour permettre l’application de l’Accord. C’est le gouvernement qui gère l’administration pour prendre des décisions afin d’aller à la mise en œuvre de l’Accord. Raison pour laquelle on dit que le gouvernement est le premier responsable de la mise en œuvre de l’Accord. Les mouvements, même si souvent ils sont accusés ne disposent pas des manœuvres pour appliquer l’Accord.
Mali Tribune : En avril dernier, des avions de l’armée ont survolé plusieurs zones sous contrôle de la CMA. Est-ce une violation de l’Accord de paix ?
M.E. R.: Lorsque les avions avaient survolé les positions de la CMA dans certaines localités notamment à Kidal, il y avait une tension entre les parties signataires parce que les mouvements suspendent toujours leur participation dans le mécanisme et les commissions de suivi de l’Accord. Chaque partie se regarde en chiens de faïence. Donc pour chaque partie, d’un moment à l’autre, elle sera attaquée par l’autre partie.
Dans ce contexte, il est bien d’éviter de telles provocations. C’est pourquoi nous avons dit que c’est une violation de l’Accord. Ce survol, est une violation grave qui pouvait faire dégénérer la situation. Heureusement que cela ne s’est pas répété et que chacun s’est retenu. Certes, la confiance n’est pas revenue entre nous pour le moment. Mais chacune des parties réitère son attachement à l’Accord, bien que la rupture soit là. Plus cette situation dure, plus cela a des conséquences sur le processus de paix.
Mali Tribune : Avec toutes ces bisbilles, comment relancer l’Accord ?
M.E. R.: Oui avec toutes ces bisbilles, on peut relancer cet Accord. Mais pour le relancer, il faut une réelle volonté politique de la part des autorités, mais aussi un accompagnement de la communauté internationale. Cet Accord peut réellement mettre fin à ces rébellions cycliques. Tous ces problèmes que vous voyez depuis 1963, chaque fois qu’il y a eu une rébellion, on signe un Accord. Mais après quelque temps, on le met dans les oubliettes, raison pour laquelle on n’en finit jamais avec une rébellion. Je pense qu’il faut trouver une solution adéquate. La solution doit être l’application à la lettre de l’Accord, comme cela a été signé de part et d’autre.
Mali Tribune : Pensez-vous que la Médiation internationale réussira à donner un coup de fouet à l’Accord pour sortir de l’impasse ?
M.E. R. : C’est à nous de donner un coup de fouet pour sortir de l’impasse. La Médiation internationale peut juste nous aider à ramener les autres à la table des négociations en cas de rupture. Mais je crois qu’il faut juste respecter les engagements que nous avons signés devant la communauté internationale et le peuple.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane
Mali Tribune