Il fut un vieux compagnon de route de longue date. Quand je fis sa connaissance, il venait de terminer la prestigieuse EN Sup qui le prédestinait à une brillante carrière d’enseignant, mais par amour, il succombera plutôt à l’appel du théâtre. Il entra ainsi en scène en vrai dilettante avec beaucoup de courage et d’humilité. C’était en 1976, une année charnière dans l’histoire du théâtre malien, dont deux évènements consécutifs bouleversèrent le cours : l’érection de la direction nationale des arts en ministère des Arts et de la Culture et le départ d’Abdoulaye Diarra, le premier directeur artistique de la Compagnie du Théâtre national du Mali. Le Groupe dramatique alors se substitua à la Compagnie du Théâtre national. Et c’est ce moment critique qu’Abdoulaye Diarra choisit de partir, d’abandonner le navire qu’il avait jusque-là mené à bon port. Coulera-t-il le navire ?
Non. Un nouvel équipage se précipita au gouvernail, d’autres bras valides étaient prêts à redresser la barre. Il était de ceux-là… Je veux parler de Bruno Maïga. Nous étions soudés par la même volonté de tenir le cap, de s’affirmer … de réussir. Nous ouvrions le bal avec deux pièces de Wole Soyinka : « Les Tribulations de Frère Jero » et « Les Gens des marais ».
Dans la même foulée, « Le Mur Humain » fut créé, un montage poétique du grand poète Amadoun Issabré. Bruno Maïga était de cette grande aventure de notre théâtre. Il débuta ainsi par la frime et finit par s’affirmer dans de grands rôles. Qui ne se souvient pas de son interprétation mémorable du personnage du Choryphée dans Kaïdara d’Amadou Hampaté Bah monté par le coopérant français Armand Dreyfus ? Ce fut l’une des plus grandes créations du Groupe dramatique que retiendront les annales du théâtre malien. Bruno Maïga était de cette grande aventure de notre théâtre.
Etant au-dessus des querelles intestines qui minaient alors le groupe, Bruno Maïga remplacera Mamoutou Sanogo à la tête du Groupe dramatique en 1978, année où la crise frappe aux portes du théâtre malien. Crise de communication, de public. La langue française ne véhiculait plus le drame. Le Groupe dramatique n’avait jusque-là réussi qu’à prolonger timidement les expériences de la Compagnie du Théâtre national, à perpétuer la tradition d’un théâtre d’expression française, un théâtre d’élite qui s’essoufflait, se mourrait lentement, mais sûrement.
C’est sous l’impulsion de la direction artistique de Bruno Maïga – encore lui ! – que de nouvelles idées embrasèrent l’horizon du théâtre malien. Un gisement précieux, une mine d’or dormait dans les tréfonds culturels, à la source coulait abondamment un patrimoine intarissable : le Koteba. Ce fut une année de retour triomphal, d’euphorie, de réconciliation du théâtre avec lui-même, de restitution du théâtre à son public. Un visionnaire Bruno Maïga ! Sous sa férule, tout le théâtre malien bascula, choisissant d’aller à la rencontre du grand public. Son public.
Le public reprit d’assaut les salles qui ne désemplissaient plus. A l’affiche des œuvres comme « Angoisse paysanne » ou « Jôrônanko » qui a écumé les scènes des festivals du monde entier. L’homme qui fut le véritable artisan de cette renaissance de notre théâtre est celui qu’on veut aujourd’hui à tout prix clouer au pilori. Le Koteba qui avait suscité tant d’espoir laissait un héritage peu reluisant. L’euphorie était retombée. L’âge d’or du théâtre malien n’aura duré que quelques années à peine.
La reconquête du public par le Koteba certes avait renouvelé des ambitions légitimes pour bâtir un vrai théâtre populaire, mais malheureusement, l’expérience a tourné court ; des conditions n’étaient pas remplies, des exigences satisfaites. Longtemps, le Koteba avait végété dans les sphères prosaïques du bamanankan sans en découvrir le substrat, les métaphores et les symboles.
Le Koteba, par essence, est un théâtre d’improvisation ; en l’absence de texte, les pièces dégénéraient en de farces grossières, l’anarchie s’installait. Dès lors, le Koteba montrait ses limites et la morosité s’était emparé de nouveau d’un théâtre malien qui s’évanouissait… S’éteignait. Les chantres du Koteba déchantèrent. Retour aux sources ne signifie pas transposition stérile de la tradition.
Bruno Maïga est de retour de Moscou muni d’un PhD en gestion d’entreprise culturelle. Il fut nommé comme le premier directeur du Théâtre National nouvellement créé et se trouva au chevet d’un théâtre malade.
Il prit très vite conscience que les ténors du Koteba n’avaient pas mesuré toute la portée de l’adoption d’une langue fut-elle nationale, qu’ils ne surent s’en servirent qu’au premier degré seulement comme outil de communication et non comme matériau dramaturgique. Très tôt Bruno Maïga comprit que seule l’écriture, cette opération alchimique peut accéder à la métalangue, à ce stade supérieur de la langue. « Wari » et « Férekényagamibougou » ont été le fruit de ces réflexions qui sortirent une fois de plus de l’impasse notre théâtre.
C’est cet homme au parcours si élogieux qu’on veut assimiler à un imposteur, traiter de vulgaire cleptomane. Calomnie ! En ces périodes troubles de la transition (deux remaniements ministériels seulement en trois ans !) quel ministère n’a pas été déstabilisé, connu des disfonctionnements budgétaires ? Le ministère de la Culture fait-il exception à la règle et que l’on s’obstine toujours à l’accabler d’une gestion des plus calamiteuses ? On a poussé l’impertinence jusqu’à faire allusion à l’Opéra du Sahel. Alors parlons-en !
Jamais le ministère de la Culture n’a jusqu’ici été éclaboussé par un scandale financier d’une telle ampleur. Et pourtant malgré sa gravité, l’affaire n’a suscité curieusement aucun déballage. Ironie du sort ! Même le maître des lieux à l’époque n’a pas été inquiété. Seul un pauvre comptable de surcroît un non-Malien fut incriminé et n’écopa que d’un bref séjour en prison. Pourquoi des années après, Bruno devrait-il répondre de cette gabegie ? Au contraire, délibérément une sourdine a été mise à toutes les actions salvatrices entreprises sous le mandat de Bruno Maïga et qui annoncent déjà un bilan prometteur.
– Le financement du Grand chœur sur la paix réalisé par la Fédama d’un montant de 7 millions de F CFA
– Un prix pour récompenser l’effort de création de certains artistes dont Namacoro Fomba… Une première !
– Le Festival international de percussion pour la première fois de son histoire subventionné à hauteur de 5 millions de F CFA
– Le Festival de théâtre estudiantin au Maroc avec la participation du Conservatoire Balla Fasséké Kouyaté et de la Flash… Et j’en passe !
Les artistes, à la nomination à la Culture de Bruno M. étaient aux nus. Enfin, il est là le messie ! Personne ne doutait de sa capacité à redorer le blason du ministère de la Culture. Enfin révolue l’ère des ministres de seconde zone à la Culture, des apprentis-sorciers… Du replâtrage !
« Les Gardiens de la République » n’est ni plus ni moins qu’un épouvantail, qu’une invisible main vengeresse agitée dans l’ombre. Allez chercher des poux dans d’autres têtes ! D’ailleurs les vôtres sont déjà assez sales pour que vous vous escrimiez avec un tel acharnement sur celles des autres.
Les vrais déprédateurs ne sont-ils pas ceux qui ont des années durant mangé à pleines mains à tous les râteliers et qui de peur d’être un jour ou l’autre débusqués brouillent les cartes en s’attaquant impunément à la vertu et à l’intégrité d’un homme ? En vérité toutes ces turpitudes sentent la cabale !
Ousmane Sow
Auteur-metteur en Scène.
Source: L’Indicateur du Renouveau