Selon l’Organisation internationale des migrations, 320 migrants sont morts dans le naufrage au large de la Crète vendredi 3 juin. En tout, plus de 10 000 personnes ont péri en Méditerranée depuis 2014, selon l’ONU. L’UE veut lier l’aide à l’Afrique à la lutte contre les migrations
« Horrible ». Le mot est celui d’un porte-parole du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR). Le nombre de victimes en Méditerranée ne cesse de croître ces deux dernières années. Elles étaient 3 500 en 2014 et 3 771 en 2015. Depuis janvier, plus de 2 800 décès ont déjà été enregistrés, soit 1 000 de plus par rapport au premier semestre 2015.
En tout, depuis 2014, plus de 10 000 personnes sont mortes en mer en voulant rejoindre l’Europe.
Ces drames ne découragent pourtant pas les candidats à l’exil de tenter des traversées périlleuses. Selon l’Office international des migrations, plus de 206 000 réfugiés et migrants sont arrivés en Europe depuis le début de l’année 2016. Les trois quarts d’entre eux sont passés par le Grèce avant la fin du mois de mars, soit avant la mise en œuvre de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Depuis, la route maritime au départ de l’Afrique via la Méditerranée est redevenue tristement sur le devant de l’actualité, avec ses centaines de victimes.
Quelles solutions ?
Ces chiffres effroyables n’étonnent pas Fabienne Lassalle, directrice générale adjointe de SOS Méditerranée. Depuis février, le bateau de l’association, l’Aquarius, affrété en partenariat avec Médecins sans frontières, a porté secours à plus de 1 500 personnes. « Pour arrêter l’hécatombe », elle appelle d’abord à la mise en place de moyens de sauvetage supplémentaires. « Il n’y a aucun moyen directement dédié au sauvetage qui ait été mis en place par les pouvoirs publics », dénonce-t-elle. Aujourd’hui, seuls trois bateaux d’organisations humanitaires sont dédiés aux opérations de sauvetage en Méditerranée centrale, souligne Fabienne Lassalle.
William Spindler, porte-parole du HCR pour l’Europe, voit plus loin. C’est à la racine du problème qu’il faut s’attaquer, dit-il. « Il faut trouver des manières d’aider les réfugiés les plus vulnérables à voyager en Europe, mais aussi ailleurs, affirme-t-il. Il faut trouver des manières d’avoir des programmes de réinstallation qui existent déjà, mais qui ne profitent qu’à un nombre très réduit de réfugiés. Il faut améliorer et augmenter ces programmes. »
William Spindler pointe aussi la nécessité d’aider les pays qui accueillent les réfugiés et qui sont principalement des pays en développement. « Des pays comme la Turquie, le Liban, la Jordanie, le Kenya, l’Ethiopie reçoivent des centaines de milliers, même des millions de réfugiés,indique le porte-parole du HCR pour l’Europe. Il faut aider ces pays pour stabiliser la population de réfugiés, pour leur donner une vie digne, et de cette manière faire qu’ils n’ont pas le besoin de continuer vers l’Europe et risquer leurs vies. »
L’UE veut lier l’aide à l’Afrique à la lutte contre les migrations
Le vice-président de la Commission européenne Franz Timmermans a détaillé ce mardi aux eurodéputés son plan pour freiner les migrations. Il consiste à lier l’aide au développement et les partenariats économiques à la coopération dans la lutte contre l’immigration clandestine vers l’Europe. Parmi les pays prioritaires figurent la Jordanie et le Liban, mais aussi le Niger, le Nigeria, le Mali, le Sénégal ou l’Ethiopie.
L’ Italie terre d’accueil et de deuil
Plus de 370 000 personnes ont été secourues dans le canal de Sicile, entre 2014 et le début du mois de juin 2016. Bien que surveillé par des missions italiennes et européennes ainsi que des associations humanitaires (Médecins sans Frontières, Emergency- Moas), le canal de Sicile demeure la route la plus dangereuse de la Méditerranée centrale. Plus que la fermeture de la route des Balkans, c’est l”instabilité en Libye qui fait craindre que les flux augmentent au cours des mois d’été, rapporte notre correspondante à Rome, Anne Le Nir. Actuellement, 120 000 adultes migrants et demandeurs d’asile, ainsi que 13 000 enfants, logent dans les structures gérées par le ministère de l’Intérieur.
En 2014, l’Italie a accueilli 170 000 migrants secourus mer tandis que 3 500 sont morts noyés ou asphyxies. L’année suivante, les flux ont diminué. Soit : 154 842 arrivées enregistrées. Le nombre de décès aussi : environ 3 000. Mais au mois d’avril 2015, le naufrage d’une embarcation, longue de 20 m, aurait fait à lui seul plus de 800 victimes. Et ce malgré la célérité des secours, tous coordonnés par les garde-côtes italiens.
Depuis le début 2016, près de 48 000 personnes ont été secourues dans le canal de Sicile. Soit 4 % de plus, par rapport à la même période en 2015. Plus de 1 000 migrants ont péri dans des naufrages, entre le 23 et le 30 mai. Parmi les migrants à bord des centaines d’embarcations secourues, il y aurait 71 % d’hommes, 12 % de femmes et 17 % d’enfants, pour la majeure partie originaires des pays de la Corne de l’Afrique.
Des conditions de traversée de pire en pire
Des milliers d’Africains attendent chaque jour qu’un passeur vienne les chercher dans les fermes où ils sont regroupés pour les emmener durant la nuit sur une plage. Là, ils embarquent par centaines sur des vieux bateaux de pêche ou des canots pneumatiques. Quelques minutes avant le départ, l’un des passagers est formé à la va-vite au maniement du GPS, bloqué sur les coordonnées de l’île de Lampedusa.
Depuis l’opération Sofia, qui vise à lutter contre le trafic de migrants en Méditerranée, les passeurs ont, paradoxalement, encore moins de scrupules sur les conditions de transport. Les navires militaires ne peuvent patrouiller que dans les eaux internationales. Trop loin des côtes pour mettre fin au trafic mais suffisamment près pour que les passeurs réduisent l’essence et la solidité de leur bateau.
Pour eux, l’objectif est que leur embarcation atteigne les eaux internationales. Ils tablent ensuite sur une prise en charge de leurs passagers par les forces européennes. Les candidats à la traversée sont soit des Africains subsahariens de l’Ouest, qui laissent derrière eux une famille à nourrir, soit des migrants originaires de la Corne de l’Afrique, qui fuient la dictature, comme en Erythrée ou en Somalie.