Bountiguissé est un village de la Commune rurale de Karakoro, vers la frontière mauritanienne, à une centaine de kilomètres de la ville de Kayes. A Bountéguisse, la population vit d’agriculture, d’élevage, de pêche et de maraichage. Ils ont pour maire, Silaman Camara depuis 2016 qui est aussi le maire de la commune rurale de Karakoro dont relève le village de Bountiguisse. En 2020, sur demande de la Commune rurale, selon les informations, le Conseil régional de Kayes a offert un micro-barrage à ce village, à un coût total de 65 millions de F CFA.
Selon le maire Silaman Camara qui nous a reçus à son bureau dans la mairie de Bountiguisse en janvier dernier, l’initiative du micro-barrage vient d’une idée d’échange entre lui, le maire de Bountiguisse et le maire de Saint-Denis en France. A l’en croire, c’est le maire de Saint-Denis qui lui a conseillé d’adresser une demande au Conseil régional de Kayes pour la construction du micro-barrage. « C’est ainsi que le Conseil a financé le micro barrage ici à Bountiguisse », a glissé le maire Siliman après une longue hésitation.
Après quelques échanges et coup de fil à son bureau, le maire décide de nous faire visiter le barrage qui se trouve à 5 km du village. Sur place, encore, les débris étaient là. De part et d’autre, une grande muraille construite en ciment traversait le marigot. Dans le lit du marigot sablonneux, on pouvait remarquer encore deux grands portails rouges qui devraient servir de fermeture et d’ouverture pour le barrage qui gisaient par terre. Deux batardeaux fissurés et brisés par le courant d’eau. Par contre vers les deux côtés, la construction résistait encore mais les bardeaux étaient à terre dans le lit du fleuve.
Ce micro-barrage allait servir de retenue d’eau pour permettre aux femmes et aux jeunes de pouvoir travailler même hors hivernage, a expliqué le maire. « Après une étude en 2018, j’ai sollicité le maire de Saint-Denis. Ce dernier nous a orientés vers le Conseil régional de Kayes. J’ai fait la demande au niveau du Conseil régional. Le besoin d’un micro-barrage pour Bountiguissi. La région n’a jamais investi dans les collectivités. C’était la première fois. Le barrage permettait de retenir l’eau pour que les femmes et le jeunes puissent travailler en dehors de l’hivernage », a martelé le maire avant de prendre congé de nous tout en gardant l’espoir de revoir ce barrage fonctionner un jour.
A Kayes, au Conseil régional, techniquement des discussions ont été faites au sein du Conseil régional sur le micro-barrage apprend-on avec Abdramane Faye, chef de service technique du conseil, qui a bien voulu répondre à nos préoccupations sur le dossier. A en croire M. Faye, avec qui nous avons échangé dans son bureau au Conseil régional, c’est dans le cadre de la mise en cohérence du développement local, certains sollicitent le Conseil pour la mise en œuvre de projets d’envergure. A ses dires, c’est dans ce cadre que le Conseil régional a délibéré sur des projets qui ont été étudiés au niveau du service technique. Notamment le barrage de Bountiguise. « Le projet a été validé par le Conseil et soumis à l’approbation du marché public », dit-il et continue que « le projet validé par appel d’offre a été lancé. Quatre entreprises ont postulé. Le groupement d’entreprise Kassambara (GEK) a eu le marché. Leur plan d’exécution a été approuvé par le bureau ».
Le micro-barrage s’est écroulé aux premières pluies d’août
Le jour de l’écroulement du barrage, le Conseil régional a été informé par le maire Siliman Camara, à en croire le maire lui-même. « Pendant l’hivernage, les batardeaux n’ont pas résisté aux courants d’eau. Il s’est fissuré et est parti. Nous l’avons signalé le Conseil régional de Kayes », avait-il souligné lors de son interview près du barrage à Bountiguisse.
Au Conseil régional, le secrétaire général Founéké Sissoko nous reçoit à son bureau pour nous raconter comment il a été au parfum du micro-barrage réalisé par le Conseil pendant qu’il était empêché pour raison de procédure à la justice. « Lors d’une des réunions de service, tous les lundis, dans le but de partager les informations des activités menées, on m’a fait part que le Conseil régional avait fait certains nombres d’ouvrages dont certains avaient même fait l’objet de demande de réception provisoire. J’ai demandé à ce que toutes les demandes de réception provisoires soient étudiées et que l’on procède à ces réceptions. C’est dans ce cadre que l’information est tombée concernant le micro-barrage de Boutinguissé », a-t-il rapporté avant d’éclaircir qu’au moment de la réalisation, qu’il n’était pas au conseil.
« C’est une autre équipe qui a piloté le projet. Je suis revenu en octobre et c’est en novembre que j’ai eu vent du projet », relata-t-il. Les collègues à savoir ceux qui ont piloté la réalisation de ce brassage, savaient que le barrage avait connu des difficultés. Au début, on m’avait dit des petites difficultés, mais quand la mission est arrivée sur le terrain, elle a trouvé que le barrage avait connu de gros soucis. Ce n’était pas de petites difficultés. Le barrage n’a pas résisté à l’hivernage et s’est écroulé avant même la réception provisoire.
En ce qui concerne l’écroulement du micro-barrage, le chef de service technique, Abdramane Faye a rimé dans le même sens. Il a expliqué que l’entreprise avait envoyé la demande de réception en juillet, mais cela a été empêché par l’hivernage. En août, au moment où ils étaient en préparation de la réception, malheureusement entre le 15 et le 16 août 2021, après deux jours de pluie, une bonne partie du barrage a cédé, a-t-il confié.
Difficultés de situer les responsabilités
Après l’écroulement du barrage, on peut dire comme le Secrétaire général Founéké Sissoko, que 65 millions sont partis dans l’eau. Si le maire Siliman soutient qu’il existe une convention entre la maire de Karakoro et le Conseil régional sur ce micro-barrage, Founéké persiste que la construction de ce barrage n’est point de la compétence du Conseil régional. Il rappelle : « D’abord le barrage n’est pas de la compétence du Conseil régional. C’est une compétence communale. Le barrage ne fait pas partie des documents de planification du Conseil. Or le Conseil est obligé à rester dans ce document. Si le document élabore un document validé en session, il est obligé de rester dans ce document de planification. Il s’agit de la stratégie du développement régional (Stratégie DER) et le plan quinquennal de développement. Ce barrage n’en faisait pas partie. Ce n’est pas une compétence du Conseil ». Au même moment le maire de Karakoro à son tour insiste qu’il a eu une convention avec le Conseil régional de Kayes. C’est le Conseil a conduit toutes les opérations d’appel d’offre et autres.
Selon les informations, lors de la délibération, il était prévu une commission pour l’exécution du projet, qui n’a jamais vu le jour. Cela, pour certains est une violation de l’esprit des collectivités car aucune collectivité ne doit se substituer à une autre. Le partenariat se fait par subvention. Le Secrétaire général Sissoko soutient la même thèse en disant : « Le Conseil est allé prendre l’étude d’une commune presqu’en disant, je fais un barrage pour toi. Ce n’est pas interdit qu’un Conseil apporte un appui, un soutien à une collectivité, mais n’a pas le droit d’empiéter sur la compétence d’une autre collectivité. Au Mali, toutes les collectivités sont autonomes et ont des compétences. Par contre une collectivité dans le cadre de la coopération entre collectivités peut apporter un appui à une autre collectivité à travers des subventions.
En l’espèce, le Conseil n’a pas subventionné et a fait en maitre d’ouvrage le barrage. Le Conseil aurait dû apporter un appui ou une subvention ou en payant la totalité, mais en donnant le fonds à la commune qui devrait en assurer la maitrise d’ouvrage, mais pas le conseil ».
Pour le chef de service du Conseil régional, M. Faye, techniquement, dans les clauses contractuelles, tout investissement qui n’a été réceptionné sans réserve reste à la charge de l’entreprise. Et le micro-barrage en question s’est écroulé avant toute réception. Le Secrétaire général quant à lui, se radicalise sur la question de situer les responsabilités. « Pour qu’un Conseil accepte d’aller faire un barrage dans une commune en lieu et place de la commune, il faut une décision. Et cette décision, elle est politique, ça ce sont les élus. Ensuite pour que ces élus prennent cette décision, il faut que des techniciens approuvent. A l’époque c’est le premier vice-président Oualy Traoré qui assurait l’intérim et son équipe. Un marché de ce genre de surcroit qui ne relève pas de la compétence du Conseil, il faut absolument situer des responsabilités », préconise le Secrétaire général.
A ce jour le Conseil régional de Kayes réfute les solutions proposées
Le groupement d’entreprise Kassambara, qui a construit le barrage se trouve à Bamako. Après des tractations de longues durées, le directeur accepte de nous recevoir à son bureau, mais pas d’enregistrement, pas de camera. « Ne pas être un habitué », dit Boubacar Kassambara, DG du groupe. Un homme de teint noir, robuste et très calme avec l’air d’être dépassé par la situation, il nous reçoit à Kalaban-coura au siège de son bureau. Lors des échanges sans enregistrement, M. Kassambara nous dit voir tout ça comme une catastrophe naturelle et invite le conseil et l’ensemble des acteurs autour du micro-barrage à une synergie d’actions pour reconstruire le barrage. « Je fais tous les travaux suivant l’étude, qui m’a été présentée. Je n’ai ni ajouté ni dimensionné », a-t-il indiqué. Il faut réunir les efforts pour la solution.
A Kayes, le chef de service technique Abdramane Faye parle d’avenants. Il s’agit d’un autre financement par le Conseil pour réparer le barrage. Lui, estime que les dimensions qu’il faut ajouter pour faire le barrage peuvent être considérées comme des avenants. « Il était prévu seulement 3 marigots, mais il a été constaté que c’était plus de 5 marigots. Les dimensions, la hauteur et la longueur ne suffisaient pas. L’entreprise dit qu’elle peut aller reprendre les travaux mais sur la base des devis et plan qui lui ont été donnés, mais a mis en garde que le barrage peut partir encore. Car si on garde les mêmes dimensions, la même chose pourrait se reproduire », a signalé le service technique et demande des avenants pour de nouveaux travaux.
Le secrétaire général réfute carrément cette idée d’avenant. « C’est d’ailleurs cette information qui m’a moi, tiqué. Lors d’une de nos réunions, le chef de service technique Abdramane Faye a évoqué la nécessité de faire un avenant pour consolider le barrage. Mais il a été dit que l’entreprise s’était engagée à prendre en charge sur ses propres fonds. Parler d’avenant sur un barrage qui n’a pas été réceptionné m’a paru non approprié », a répondu le secrétaire général pour préciser qu’en plus de cela, c’est le barrage qui est totalement parti. On ne peut pas faire un avenant pour une malfaçon. Cela ne rentre pas dans le contexte d’un avenant. On ne peut pas faire d’avenant, il s’agit de reprendre carrément les travaux.
Pour justifier sa posture Founéké Sissoko avance que le barrage a coûté 65 millions de F CFA et s’est écroulé. On ne peut plus colmater ni recoller, il faut carrément reprendre les travaux. Et s’il faut reprendre les travaux, les 65 millions en tant que fonds publics, vont être jetés à l’eau. D’où toute la difficulté pour lui de trouver la solution au niveau du Conseil.
Sur ce point, trouver la solution le chef de service est clair. L’entreprise va reprendre, c’est sûr et au frais de l’entreprise à 100 %, a-t- garanti. A ses dires, les avenants pourront concerner les nouvelles dimensions qui seront ajoutées au plan initial. Sinon, dit-il le Conseil régional de Kayes prendra d’autres postures pour rentrer dans ses droits.
Le barrage a été effectué sur la base d’une étude apportée par la maire de Karakoro. Les plans d’exécutions sont issus de l’étude. L’entreprise (GEK) argumente avoir effectué les travaux suivant le plan de l’étude. Tous nos efforts pour entrer en contact avec ledit bureau sont restés vains.
Le maire reste toujours dans l’espoir de revoir son barrage, une source de revenue et un moyen de lutter contre l’immigration clandestine pour lui dans sa contrée. « La population a besoin de ce barrage. Les femmes et les jeunes étaient très enthousiastes pour accueillir ce barrage. Il allait permettre de diminuer le flux d’immigration clandestine vers l’Europe de notre jeunesse. Car il allait créer de l’emploi et permettre aux jeunes d’avoir des sources de revenu », regrette le maire Siliman Camara.
Au sein du Conseil les réflexions continuent, il s’agit de pouvoir situer les responsabilités et de voir comment faire pour donner au village de Bountiguisse son micro-barrage.
Nous sommes dans les réflexions au niveau du Conseil. Il faut attendre un peu de voir un peu plus clair pour voir si des solutions seraient envisageables, a lancé Founéké Sissoko soucieux des 65 millions du conseil qui pour lui sont jetés dans l’eau et le micro-barrage auquel tient tant le maire et sa population.
Koureichy Cissé
Cet article a été publié dans le cadre du projet Kenekanko de la fondation Tuwindi qui a financé les déplacements et l’hébergement de l’équipe. Le voyage sur Bountiguisse a été facilité par le Conseil régional de Kayes. Kenekanko est une plateforme de lutte contre la corruption initiée par Tuwindi en partenariat avec l’Union européenne, OCCIPRE, Free-Press.
Source: Mali Tribune