La région de Ménaka, martyrisée par la crise de 2012, continue de souffrir. Malgré sa libération en 2013, puis son érection en région, ses populations vivent dans l’urgence. Si l’insécurité diminue, l’accès à l’eau, à l’électricité et à la connexion internet sont de quotidiennes préoccupations. Des voix lasses et en colère nous interpellent.
« L’eau, c’est la vie », dit un adage touareg. A Ménaka, dans l’est du Mali, cette réalité est mal vécue quotidiennement. Ville martyre, Ménaka a subi toutes les péripéties de la crise de 2012. Région stratégique, frontalière avec le Niger, tant de fois elle a basculé, lors de l’occupation, d’un groupe armé à un autre. Libérée en 2013 des groupes djihadistes, son opérationnalisation en région, une exigence de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali signé en 2015, avait suscité de grands espoirs de changement des conditions de vie des populations. Plus de quatre ans après, la demande sociale est à son comble. Les manques d’eau, d’électricité et de connexion s’ajoutent au problème d’insécurité. Les secteurs de l’éducation, de la santé et des infrastructures n’ont point bénéficié de l’attention du gouvernement. Pour dénoncer « la triste réalité », la société civile a organisé le 20 mars une marche pacifique. Une liste de doléances a été remise au Gouverneur de la région, Daouda Maiga pour une suite favorable. Depuis, la situation a pourtant empiré.
Une situation intenable
« Nous sommes dans la soif, on n’a ni eau ni électricité, à plus forte raison la connexion 3 G. Les gens sont obligés de parcourir de longues distances pour ramener quelques bidons du forage », témoigne Agaly Ag Bilal, chef de famille. L’absence de services sociaux de base dans la nouvelle région est manifeste. Depuis plus de deux mois, la population fait face à des coupures d’eau, à une absence totale d’électricité et à une connexion 3 G inexistante.
La période de chaleur et les conditions climatiques peu clémentes s’ajoutent à un quotidien de calvaire. « Personne n’a rien apporté à la région. Les problèmes qui existent à Ménaka n’ont pas d’explication, ils ont trop duré. Depuis son érection en région, rien n’a bougé d’un iota. L’eau constitue la plus grande urgence aujourd’hui, c’est d’elle que les gens vivent », interpelle Eglasse Ag Ibrahim, un jeune habitant de la ville. La situation qu’il décrit est alarmante. Dans cette zone désertique, l’eau a un prix. Chaque jour la tension monte. « Bientôt c’est le mois de carême. Le ministre de l’Énergie et de l’eau est venu jusqu’à Ansongo, mais il est reparti sans venir à Ménaka. Les gens sont prêts à la désobéissance civile », dénonce Mohamed Ag Issafeytane, journaliste à la radio rurale. « Ménaka est une ville martyre. Ici les gens ont opposé leur résistance à l’occupation. Mais c’est comme si on n’existait pas dans ce pays », se révolte-t-il.
Au niveau du seul forage de la ville, les gens se bousculent. Un bidon de 20 litres d’eau coûte 100 francs CFA. Les puits et les oueds sont asséchés et les cultures maraichères mis à mal. La capacité de la seule adduction d’eau est insuffisante pour une population en pleine croissance dans une ville en expansion. « L’installation était destinée à des bornes fontaines. Mais, face à la croissance de la population, les gens ont amené l’eau dans leurs maisons. La demande est le triple de l’offre», explique Djibrilla Maiga, Président du Conseil régional des jeunes. Constat partagé par le Président de l’Autorité intérimaire, Abdoul Wahab Ag Ahmed Mohamed. « L’expansion de la ville dépasse les capacités des anciennes installations. Il y a des quartiers où les tuyaux ne sont pas posés. Nous avons de réels problèmes pour subvenir aux attentes », reconnait-il. Dans cette région désertique, la vie n’est pas rose, avec de faibles revenus et une économie confrontée aux aléas de l’insécurité et de la sècheresse. Si l’eau est une demande pressante, l’électricité en est aussi une. « Depuis qu’on a fait la marche, on a plus revu d’électricité. Dès que la nuit tombe, seule les lumières du gouvernorat et des ONG humanitaires sont visibles. Je charge mon téléphone grâce à la batterie de ma moto », témoigne un autre habitant. Pour Nanout Kotia, maire de Ménaka, « la situation est toujours la même » depuis la dernière action de la société civile. Certains parlent même d’une région de « façade » au vu de manque de réponses. « Nous leur avons dit lors de la marche que si l’internet, l’eau et l’électricité ne venaient pas nous allions renoncer à la région et redevenir un cercle, mais, jusque-là, sans aucune suite », se désole Eglasse Ag Ibrahim.
Des alternatives éphémères
Les solutions alternatives proposées par les autorités locales en collaboration avec Barkhane et la MINUSMA ne suffisent pas pour faire face aux besoins. Mais elles ont eu le mérite d’étancher un minimum la soif des habitants des quartiers périphériques. « Nous sommes dans une saison très chaude où il y a beaucoup de consommation. Nous avons réalisé un forage, installé un groupe électrogène et réhabilité l’installation existante. En partenariat avec Barkhane, nous avons positionné dans les quartiers où ils n’y a pas d’eau 11 cuves approvisionnées par les citernes de la MINUSMA. C’est là que les habitants se procurent l’eau », dit le Président de l’autorité intérimaire. Quant à la société TILGAZ, qui fournissait par intermittence l’électricité, elle a cessé de fonctionner faute de matériel. « Ses deux groupes électrogènes sont tombés en panne. Barkhane a réparé un, qui ne suffit pas », rappelle Abdoul Wahab Ag Ahmed Mohamed, assurant que des plaidoyers ont été menés et que l’information est montée vers qui de droit. Pour le Président du conseil régional des jeunes, « il faut des solutions durables et définitives et non des palliatifs. Ce dont on a besoin, c’est d’EDM, de la SOMAGEP et la connexion. L’État doit prendre ses responsabilités. Il est inadmissible aujourd’hui qu’une région comme Ménaka continue d’avoir soif et d’être dans l’obscurité. On ne demande pas l’impossible. Si nous ne sommes pas des Maliens, qu’on nous le dise ! », prévient-il. Selon lui, une nouvelle mobilisation se prépare avant le début du carême. Le sentiment d’abandon invite à des rétrospections. « Finalement, l’histoire est en train de donner raison au MNLA. Ménaka a été totalement délaissé. On parle de programme présidentiel d’urgences sociales pendant que nous avons soif et sommes dans l’obscurité », dénonce sans concession Mohamed Ag Issafaytane. Le Gouverneur Daouda Maiga assure que les demandes « légitimes » des populations retiennent l’attention des plus hautes autorités. « Tous ces problèmes sont réels et le gouvernement est à pied d’œuvre pour faire avancer ces dossiers ».
De nombreux enjeux
La région couvre environ 80 000 km2 et de nombreux acteurs y interviennent. En plus de la MINUSMA et de Barkhane, l’armée malienne, la CMA, la Plateforme et le MSA cohabitent. La présence de Barkhane a fait diminuer l’insécurité. « Depuis qu’ils sont arrivés, la situation est redevenue stable. La décision du gouverneur de faire sortir tous les groupes armés de la ville a été appliquée », souligne le Président de l’autorité intérimaire, qui se félicite la collaboration des acteurs pour les patrouilles mixtes. Il y a pour chaque mouvement trois véhicules, deux autres pour la sécurité des responsables et un autre pour les patrouilles. Au sud dans la région, vers la frontière avec le Niger, les groupes MSA et GATIA s’affrontent régulièrement avec des groupes dits « terroristes ». Ils ont été soupçonnés le 12 avril par le Directeur de la Division de droits de l’homme et de la protection de la MINUSMA de graves violations des droits de l’homme dans certaines localités. Des accusations que le Secrétaire général du MSA a jugées sur RFI « infondées ». « Nous ne sommes pas dans une guerre communautaire, nous défendons nos communautés contre une organisation criminelle », s’est-il défendu, appelant à une enquête transparente.
La floraison des acteurs et le déploiement prévu de la force G5 Sahel le long des frontières témoignent de l’intérêt de sécuriser Ménaka. En attendant, les difficultés sociales et le mécontentement de communautés « lésées » par le récent projet de découpage territorial interpellent.
Journal du mali