Des troubles digestifs engendreraient-ils des accidents vasculaires cérébraux (AVC) dits “Cryptogéniques” ?
Une affection médicale peut-elle se transmuer ? Sous nos cieux, des croyances l’affirment ! Mythe ou réalité ? Une expérience troublante amène des universitaires et praticiens maliens, dans le cadre de la recherche fondamentale, à se poser la question suivante : “Quelles parcelles entre troubles digestifs et pathologies neurologiques, cardio-vasculaires ou pulmonaires ?” Un lien semble exister. Ce surprenant constat risque de faire date et abattre de bien épais murs.
Dame AT âgée d’une soixante d’années, hypertendue sous bithérapie (Amlodipine 10 et Périndopril 10), a été reçue avec un déficit moteur du membre supérieur gauche, associé à une paralysie faciale homo latérale.
Les heures précédentes, le matin, juste avant le petit déjeuner, elle aurait présenté de vives et subites douleurs retro-sternales accompagnées de palpitations.
Parfaitement consciente et bien orientée dans l’espace-temps, un trouble d’élocution est de suite objectivé en consultation.
Elle affichait une pression artérielle de 160/80 mm Hg, une fréquence cardiaque à 125 battements à la minute pour une norme comprise entre 60 et 100 entrainant donc une tachycardie avec un bruit de galop permanent (rythme continu a 3 temps au lieu de 2), et un poids corporel de 72 kg.
Ailleurs aucune autre particularité n’est notée.
Après examen clinique, comme hypothèses diagnostiques, nous aurions évoqué :
– Un accident vasculaire cérébral ischémique sur hypertension artérielle (HTA) sur trouble du rythme sur ulcère gastrique ou gastrite
– Un accident vasculaire cérébral hémorragique sur HTA sur trouble du rythme sur ulcère gastrique ou gastrite
– Accident vasculaire cérébral sur syndrome coronarien sur HTA.
PARACLINIQUE
L’urgence du cas imposera la réalisation diligente d’un électrocardiogramme (ECG) et un scanner (Tomodensitométrie ou TDM) cérébral.
L’ECG retrouva la tachycardie relevée dès l’admission de la patente à 125.
Malgré la floraison des atteintes physiques et fonctionnelles, la TDM restera normale.
En rapprochant tableau clinique et examens complémentaires, c’est l’hypothèse diagnostique d’accident vasculaire cérébral ischémique transitoire (AIT) qui paraît plus plausible suite à l’obstruction d’un vaisseau intra cérébral par un embole (un caillot, graisse et autres) par opposition à une inondation sanguine consécutive à l’éclatement d’un vaisseau intra cérébral, d’où l’importance primordiale de la TDM (scanner) qui précise le diagnostic, les prises en charge thérapeutique étant fondamentalement différentes et antagonistes.
Hormis l’INR spontané à 1,20 [pour une normale inférieure à 1,20] sans prise aucune de médicament anti vitaminique K, la biologie est normale. Est-ce là l’explication immédiate d’un processus de coagulation en cours avec consommation de prothrombine, élément biochimique indispensable dans la formation du caillot ? (1)
Le champ d’exploration diagnostique a été élargi au cœur et aux troncs artériels supra aortiques irriguant le cerveau, à la recherche d’éventuelles lésions cardiaques et/ou vasculaires pouvant induire un AVC, les échographies et autres Doppler n’ont rien révélé.
Quelle est donc la cause de cet AVC ?
Poursuivant les investigations, des perlèches buccales inflammatoires aux commissures labiales (lèvres) pouvant trahir une affection digestive sous-jacente que l’interrogatoire confirma bien vite, la patiente avait précédemment présenté des épigastralgies dyspeptiques qui ont conduit à la réalisation en Octobre 2020 d’une fibroscopie au cours de laquelle de multiples ulcérations antrales et des croûtes d’œsophagite mycosique ont été mises en évidence.
Le traitement prescrit n’a pas été correctement suivi. Tout au début, une amélioration certaine avait été obtenue sous pansement gastrique et inhibiteur de la pompe à proton. Les douleurs ressenties s’étant rapidement amendées poussant à l’abandon du traitement d’entretien.
Au présent épisode, les perlèches sont toujours présentes. Une autre fibroscopie réalisée dix jours après objectiva au niveau de l’estomac :
– Un lac muqueux salivaire abondant
– Une béance cardiale
– Une muqueuse d’aspect érosif et érythémateux de l’antre.
A la lumière de tout ce qui suit, nous pouvons supposer que le présent accident vasculaire cérébral aurait pour origine probable : un départ digestif voire gastrique qui, de par la présence de lésions inflammatoires au niveau de l’estomac et/ou de l’œsophage, aurait irrité le nerf sympathique, un nerf du système neurovégétatif autonome qui, avec ses neurotransmetteurs adrénergiques, innerverait bon nombre d’organes du corps humain et des animaux dont l’œil, le cœur, les vaisseaux sanguins, les poumons, le tube digestif, les glandes hormonales, l’appareil génito-urinaire et autres. Pour ce qui est du cœur, le sympathique serait cardio accélérateur.
En se référant au mécanisme de la coagulation, et selon la Triade de Virchow, les troubles du rythme cardiaque et de la conduction (tachycardie, bradycardie, palpitation, arythmie, extra systoles, blocs de la conduction) pourraient générer des processus de formation de caillots.
N’oublions pas que le sang, de lui-même, a la capacité de se maintenir en l’état, de se coaguler et de se liquéfier quand certaines conditions seraient réunies.
Pour nous convaincre toujours du rôle de la gastro-œsophagite dans le mécanisme du présent cas d’AVC, probablement considéré Cryptogénique par le fait que les AVC dits Cryptogéniques seraient des AVC dont les médecins ne pourraient pas déterminer la cause (2)
Lors du traitement, la patiente aurait décidé d’elle-même d’arrêter avec le pansement gastrique en solution qu’elle prenait associé à un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) au motif que le goût de la présentation en solution serait “désagréable”. Immédiatement, sa fréquence cardiaque a augmenté de 85 à 115 battements à la minute avec une pression sanguine mesurée à 160/90 mm de mercure. Dans sa quête de soulagement, la patiente s’est remise à son médicament et a constaté une amélioration certaine en 02 heures ; la fréquence est revenue à 80 battements la minute pour une pression artérielle à 125/85 mm de Hg. Il faut préciser que le traitement hypotenseur est resté le même et qu’il était correctement suivi.
Existe-t-il une corrélation entre fréquence cardiaque élevée et trouble digestif ?
Analysons objectivement les données et constatations à la lumière des connaissances actuelles.
Parmi les troubles du rythme, un des plus expressifs serait la palpitation post prandiale. Une palpitation non influencée par les repas ferait plus penser à une origine cardiaque. Sa survenue tardive après les repas, devrait plutôt faire penser en premier lieu à une origine digestive comme : les ulcères gastroduodénaux, la hernie hiatale, l’œsophagite, la gastrite, le reflux gastro-œsophagien.
Généralement, selon notre petite expérience, deux à trois gorgées d’eau devraient en principe dans les minutes qui suivent, apporter une rémission. Il en serait de même pour certaine douleurs trans-fixiantes ou de crampes retro sternales, de douleurs vives de survenue brusque au niveau de la colonne vertébrale dorsale à distance des repas.
Or, selon les constats en terme de durée d’espacement des repas, et selon les habitudes et l’hygiène alimentaire individuelles, l’intervalle entre le dîner et le petit déjeuner serait plus élevée (environ 11 heures sans manger en général et le décubitus lors du sommeil avec les possibilités de remontées acides qui seraient de plus en plus concentrées dans l’œsophage) que celle entre le petit déjeuner et le déjeuner (environ 6 heures, en éveil en station debout, assis ou en mouvement selon l’occupation , avec possibilités de goûter ou de collations qui dilueraient les sécrétions gastriques) et celle entre le déjeuner et le dîner (environ 07 heures, en éveil avec des habitudes assimilables au précédent). De ce constat, qui en plus de différentes hypothèses décrites dans la littérature, pourraient expliquer, la fréquence plus élevée des AVC le matin au réveil. En suivant ce mécanisme atypique, et par extension, on pourrait ajouter la survenue de certaines manifestations coronariennes comme les angines de poitrine, les infarctus du muscle cardiaque et autres œdèmes aigus du poumon. Ce mécanisme serait une piste non négligeable pour la survenue inexpliquée de certaines embolies pulmonaires en dehors de toutes autres lésions vasculaires périphériques, en cas de coagulation dans les cavités cardiaques droites, par suite de trouble de rythme. Thrombus qui seraient mobilisés par la dynamique cardiaque pour aller entraver dans la circulation sanguine pulmonaire et bloquer le passage du sang des cavités cardiaques droites vers les cavités gauches.
Par extension, à partir de ce mécanisme, on pourrait peut-être aussi expliquer la possibilité de certaines formes d’hypertension artérielle qui seraient conséquences d’une certaine rigidité sympathique chronique, suite à une agressivité chronique d’origines diverses du nerf sympathique.
Nous suggérons une étude multi centrique de la solution d’ingestion de deux à trois gorgées d’eau avant d’aller au lit et le matin au réveil. Quantité d’eau, qui nous pensons, ne pourrait pas engendrer trop de péristaltisme (mouvements) gastrique qui agiterait le sommeil, mais suffisante par son pouvoir tampon, de casser l’acidité des sécrétions gastriques post prandiales.
(1)- Réf: Moussa Dassé Mariko; Embolies Pulmonaires Fibrino-Cruoriques: Particularités cliniques, paracliniques, thérapeutiques et évolutives durant la période de Janvier 2009 à Juillet 2010 à propos de 42 cas aux services de cardiologie de Le Dantec, de Hoggy, de Principal et de Fann; Mémoire de Med; Dakar 2010.
(2)- REF: NEJM June 26, 2014DOL: 12.1056 Cryptogenic Stroke and Underlyine Atrial Fibrillation.
Moussa Dasse Mariko, Ibrahima Sangaré. Coumba Adjaratou Thiam, Maïga Asmaou Keïta, Noumou Sidibe, Hamidou O Bâ, Hassane Guisse, Kassim Sidibe, Kassim Barry, SimoMoyoMurielle Perinne, Tidiane Fane, Abdoulaye Mady Diallo, Souleymane coulibaly, Sy Assitan Sow, Moussa T. Diarra, Ichaka Menta, Cheick Oumar Guinto.
Source: Les Échos- Mali