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Mari et fajɛ comme patrimoine culturel de Sagabala à préserver

Mari et Fajɛ sont deux monuments qui servent d’autels de serments à caractère votif dans le village de Sagabala dans la commune de Djidieni, cercle Kolokani. Sagabala est un village dirigé par un lignage du patronyme Traoré où la réputation de thaumaturgie attachée au clan est clairement illustrée, en particulier par la légende de Mari et Fajɛ.

A partir de données collectées auprès de notables de Sagabala, les éléments de la légende de Mari : « les descendants de Samou ou Samouchiw n’étaient jamais enterrés par autrui ». A un certain âge, sentant l’heure de la mort venir, ils disparaissaient d’eux-mêmes sous terre. C’est à partir de Mari ou Mariko-koro, qui donna son prénom au chef de canton, que cette tradition s’éteignit. Le « secret » de la disparition sous terre se transmettait de père en fils. Mais, était-ce un secret ou une habileté qui consiste à ne pas vouloir attirer l’attention de la communauté ou ne pas déranger au moment de partir dans l’au-delà.

Certains récits du village racontent que Mari aurait confié ce secret à son épouse plutôt qu’à son fils. Mais, ceux qui croient que c’est plutôt une habileté et non un secret estiment que son épouse Fajɛ l’a suivi dans son entreprise de disparition par amour et par attachement à son époux Mari.

Mari ayant senti son temps arrivé pour une première fois alla en dehors des cases pour disparaitre, mais il fut surpris par les femmes du village qui partaient prendre de l’eau à la rivière. Parmi ces femmes du village, il y avait Fajɛ l’unique femme de Mari. Ayant aperçu Mari en train de disparaitre, Fajɛ l’interpella en ces termes : « pour quoi veux-tu m’abandonner de sitôt ? » Bouleversé par ce mot d’amour et surpris, Mari interrompra son projet de disparition et rentra à la maison.

Lorsque le vrai temps en fut venu, Mari s’éloigna encore dans un endroit pour partir pour de bon en disparaissant sous terre. Sa femme Fajɛ ayant senti quelque chose le poursuivi et trouva que Mari avait presque complètement disparut sous terre. N’ayant plus d’autres moyens de faire revenir Mari sur terre, Fajɛ aussi s’installa à côté de son époux pour disparaitre à son tour.

Pour magnifier cette histoire d’amour singulière, les habitants du village décidèrent d’installer deux petits mausolées sous formes de monuments pour perpétuer une sorte de culte voué à l’amour qu’avait Fajɛ pour Mari et vice-versa.

Après avoir érigé ces deux petits monuments, plus tard, le village a consacré le lieu en l’entourant d’un mur pour accueillir des actes de serments votifs ou « dafalen », c’est-à-dire des vœux avec des relents de conjuration, exaucés pour la plupart selon les habitants du village de Sagabala. C’est pourquoi dans le village de Sagabala ainsi que dans les villages environnants, il y a beaucoup de personnes qui portent le prénom de Mari si ce sont des garçons/hommes ou le nom de Fajɛ si ce sont des filles/femmes. Il est possible et accepté de faire toute sorte de vœux sauf les vœux de séparation d’un couple ou toute forme de négation, c’est-à-dire demander à faire du mal à une personne.

En début et en fin d’hivernage, sous la houlette du chef de village et de ses conseillers, le village informe de son intention de recevoir ceux qui veulent faire des vœux (dafalen) assortis d’une offrande lorsque le souhait est exaucé. En réalité ces échéances étaient spéciales et circonstanciées car il est possible de faire des vœux suivis de promesses d’offrande tout au long de l’année et tous les lundis, jeudis ou dimanches. De nos jours, le dafalen peut se faire tous les jours de la semaine sans exception. Les impétrants apportent du mil qui est transformé en nourriture consommée au village. Certains font cette offrande pour avoir un bon hivernage mais la plupart veulent avoir un bébé. Pour les jeunes, c’est surtout un projet de migration qui les fait faire offrande en faisant le dafalen à l’endroit de Mari et Fajɛ.

Lorsque le vœu est exaucé, le bénéficiaire apporte deux coqs dans n’importe quelle famille du village. Le logeur garde un coq tandis que l’autre est destiné à Mari ou à Fajɛ et on en faisait un sacrifice. Lorsqu’on avait eu un enfant on lui donnait le nom de Mari ou de Fajɛ en fonction de son sexe; par conséquent on venait s’acquitter de sa promesse ou dette vis-à-vis de l’un ou de l’autre des deux amoureux disparus par auto-enterrement. Si le vœu est exaucé en effet, il était obligatoire de revenir à Sagabala pour des sacrifices de reconnaissance et de satisfaction du serment fait ; dans le cas contraire on s’exposait, semble-t-il, à une punition ayant pour effet un appauvrissement confinant au dénuement total ou à une dégénérescence pouvant revêtir plusieurs formes.

En somme le culte voué à Mari et Fajɛ conserve de la vitalité, même si ici comme ailleurs, les traditions sont passablement érodées. Le bénéfice est surtout social ; la cohésion s’en trouve renforcée car se tissent entre « étrangers » et hôtes des relations d’alliances et de solidarités diverses, ce qui tend à faire des habitants de Sagabala des citoyens pourvus d’un large spectre de relations au niveau local ; cela bonifie par conséquent l’image du village et a pour effet de maintenir et de consolider son aura politique, sa capacité d’attraction sur les autres villages de sa commune et de tout son hinterland. Ainsi Sagabala a acquis un marché hebdomadaire qui lui permet d’écouler facilement, c’est-à-dire sans que ses habitants ne se déplacent et grâce au capital d’affluence minimale ainsi obtenu sa production agricole et ses articles. La foire hebdomadaire est par ailleurs l’occasion pour la population la fréquentant de se livrer aux dafalen (à suivre)…

Crédits : remerciements à l’Institut des Sciences Humaines (ISH) et à feu Moussa Sow Directeur de recherche, à son assistant de recherche Monsieur Seydou Koné du Musée National du Mali, au Conservatoire des Arts et Métiers Multimédia Balla Fasséké Kouyaté (CAMM-BFK), à Smithsonian Museum of African Art, à l’Ambassade des Etats-Unis au Mali, et au Musée National du Mali.

Par Sidy Lamine Bagayoko, Professeur d’anthropologie ULSHB et Daouda Keita, Professeur d’archéologie, Directeur du Musée National du Mali

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