Selon un rapport confidentiel, le général Kéba Sangaré a laissé l’armée s’absenter du village alors que celui-ci avait déjà été la cible d’un raid meurtrier un an plus tôt.
Comment deux massacres de civils ont-ils pu se dérouler dans un même village à un an d’intervalle ? Le 23 mars 2019, près de 160 villageois étaient tués à Ogossagou, dans le centre du Mali, par des hommes armés à motos. Un triste scénario qui s’est répété un an plus tard, le 14 février au matin. Cette fois-ci, 35 civils ont été assassinés et 19 sont toujours portés disparus…
Un rapport confidentiel de l’ONU, que Le Monde Afrique a pu consulter, pointe directement la responsabilité de l’armée malienne et plus particulièrement du général Kéba Sangaré, chef d’état-major de l’armée de terre et commandant du quartier général des forces conjointes pour les opérations de la région centrale, depuis relevé de ses fonctions.
« Plus de dix heures avant le meurtre du 14 février 2020, le général Kéba Sangaré a été appelé à plusieurs reprises et a reçu des messages l’informant de la menace, de la préparation et du début du massacre dans le village d’Ogossagou », note le rapport des experts. Pourtant, alors qu’il « avait le pouvoir de décision et l’autorité ultime pour ordonner à l’unité de l’armée postée au village de ne pas quitter le lieu le 13 février 2020 avant l’arrivée de l’unité de remplacement », celle-ci est bel et bien partie.
« Les assaillants rôdaient à moto autour du village »
En effet, depuis le premier massacre, une unité des Forces armées maliennes (FAMA) devait y être postée nuit et jour pour rassurer les villageois. « En réalité, les militaires ont abandonné la population » le 13 février, observe une source des droits humains à Mopti. Partis à 17 heures, les soldats n’ont été relevés que le lendemain matin, vers 8 heures, alors qu’il était déjà trop tard.
Selon le rapport, le général Kéba Sangaré a donné la « fausse assurance à sa hiérarchie, y compris au ministre de la défense, que l’unité ne partirait pas avant l’arrivée de l’unité de remplacement ». Une version que ne dément pas une source au sein de l’armée malienne, qui « partage une bonne partie de l’analyse ». Discrète, elle préfère attendre la réaction du gouvernement pour s’exprimer à visage découvert. Contactée par Le Monde, la Direction de l’information et des relations publiques des armées (Dirpa) n’a « pour l’heure » pas souhaité commenter le sujet.
Depuis 2016, le centre du Mali est rongé par la présence de groupes extrémistes et d’autodéfense, accusés de commettre des exactions. Entre janvier et mars, la zone a été aspirée dans une spirale de violences qui ne fait que s’accentuer. Dans une note publiée début août, la division des droits humains de la Minuma, la mission de l’ONU, rapportait ainsi que 632 cas de meurtres, exécutions sommaires, enlèvements, viols, atteintes à l’intégrité physique, intimidations et menaces avaient été recensés au cours du second trimestre, contre 598 au premier trimestre.
Ce qui est sûr dans le cas d’Ogossagou, c’est que s’ils avaient été informés, « certains de ses habitants auraient plié bagage », observe notre source dans le milieu des droits humains : « Mais dans le doute ils sont restés, d’autant que les assaillants rôdaient à moto autour du village ».
Une application « douteuse » de l’accord d’Alger
Outre la responsabilité du général Sangaré à Ogossagou, le rapport pointe ses « décisions douteuses » dans le déploiement de l’armée reconstituée prévue par l’accord d’Alger, signé en 2015 entre l’Etat malien et les groupes rebelles du nord. Afin d’aider au retour de l’Etat dans ces zones, les parties s’étaient entendues pour que les bataillons soient composés à ratio égal d’anciens membres de la rébellion, de l’armée malienne et des groupes armés pro-gouvernementaux.
Ce qui n’est aujourd’hui pas le cas, notamment au niveau de la chaîne de commandement.
Si « des progrès ont été accomplis », note le rapport de l’ONU, « les tentatives répétées de l’armée de ne pas respecter le quota convenu d’un tiers de chaque partie signataire dans la composition et le commandement des unités reconstituées ont encore retardé les déploiements par la suite ».
« Les personnes clés ont été identifiées sur le volet défense et sécurité, ce qui est une très bonne chose », constate Almou Ag Mohamed, porte-parole de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), principale coalition des groupes issus de l’ex-rébellion touareg signataire de l’accord d’Alger : « Mais d’autres personnes sont facteurs de blocage sur d’autres piliers de l’accord tels que l’institutionnel et le développement économique et social. »
Les multiples obstructions qu’évoque le porte-parole de la CMA ne sont aujourd’hui plus les seules raisons du piétinement dans la mise en œuvre de l’accord. Depuis début juin, une crise sociopolitique anime Bamako, monopolisant l’attention du pouvoir.