À plusieurs milliers de kilomètres au nord de Bamako, les Touaregs, à l’origine de plusieurs rébellions depuis l’indépendance du Mali, se plaignent d’avoir été constamment délaissés par les gouvernements successifs. Communauté profondément fragmentée, fortement hiérarchisée, elle est l’une des clés du processus de réconciliation.
Mohamed ag Ossade, la cinquantaine, fait partie de ceux que certains élus Noirs du Nord appellent les « bons Touaregs ». Les « Touaregs positifs » avec qui l’on peut parler, mais que l’on n’écoute guère. « On fait des soirées culturelles pour que les gens se parlent au lieu de se mettre des balles », explique cet homme jovial et direct, qui dirige un petit centre culturel touareg, Tumast, dans le Quartier du Fleuve à Bamako.
Il n’est pas parti, comme bien d’autres, lors des manifestations de février 2012, un mois avant le coup d’État. La population s’en était prise à tous ceux qui ressemblaient de près ou de loin à des Touaregs, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) ayant rallumé la guerre au Nord.
Ces Touaregs réfugiés dans les pays voisins, en Mauritanie et au Burkina Faso, commencent à prendre le chemin du retour. Comme beaucoup d’entre eux, Mohammed ag Ossade ne se reconnaît pas dans le MNLA. « Une bande de voyous, dit-il. Quelle mouche les a piqués pour qu’ils réclament l’indépendance ? ».
Pour Intagrist el Ansari, un journaliste malien spécialiste du Nord, correspondant d’Infosud (Suisse) et de La Libre Belgique, il faut inlassablement insister sur le côté fragmenté de la communauté touarègue, si l’on veut régler le « problème » du Nord. « Le danger, explique-t-il, c’est que l’on ne parle qu’aux groupes armés, sans concertation avec les autres, les pacifistes, qui seront peut-être mis de côté parce qu’ils n’ont pas pris les armes. La Commission dialogue et réconciliation (CDR) doit vraiment creuser et aller à la rencontre des gens, et ne pas rester dans des gros fauteuils à Bamako et prendre n’importe quel passant comme représentant des communautés ».
Un trop long silence
Trois grandes tendances se dessinent chez les Touaregs, qui forment avec le groupe des « Maures » (les populations arabes) 10 % de la population du Mali selon le recensement de 2009. La première regroupe ceux qui luttent avec les armes, les clans basés à Kidal. La deuxième rassemble ceux qui font le jeu de Bamako, les « Touaregs intégrés », parfois perçus comme des opportunistes. Une troisième tendance réunit les Touaregs silencieux. « Ceux qui sont réellement avec les peuples, explique Intagrist el Ansari. Souvent les plus éduqués, ils font un vrai travail d’éducation, notamment dans la région de Tombouctou ». Akory ag Ikhnane, président du Collectif des ressortissants de Kidal et membre du Haut conseil des collectivités territoriales (équivalent du Sénat), explique lui aussi que le « problème touareg » n’a rien à voir avec la mythologie véhiculée à Paris sur les « hommes bleus ».
Cette question tient au long silence sur les exactions perpétrées par l’armée malienne contre des civils touaregs pour réprimer des rébellions successives contre l’État central, en 1963, en 1990, en 1996 et en 2006. Elle s’explique aussi par le défaut de développement dans ce qu’on appelle « les sables », à Bamako, pour désigner le Nord. Sur le papier, les trois régions septentrionales, Kidal, Gao et Tombouctou, sur les huit que compte le pays, ont bénéficié de la décentralisation à partir de 1999. Dans les faits, aucune route n’a été construite, par exemple, pour désenclaver la région au-delà de la ville de Gao. Mais pour Akhory ag Ikhnane, le « problème touareg » relève aussi de la responsabilité des Touaregs eux-mêmes.
Explication : « Les Imghads, une caste de guerriers et d’éleveurs, sont majoritaires face aux Ifoghas, les aristocrates, qui savent que dans le jeu démocratique, ils sont minoritaires. Or, le patriarche Ingtalla ag Attayer, un Ifoghas qui contrôle Kidal, ne peut pas perdre des élections. Pour un Touareg, l’honneur c’est tellement important ! ». Les rivalités internes à la société touarègue, divisée sur le plan de la hiérarchie sociale comme sur le plan géographique, avec des clans différents dans chaque région, sont telles que pour Mohamed ag Ossade, revendiquer l’indépendance paraît absurde. Dans ces conditions, la sortie de crise ne peut pas se faire sans une critique de fond des rébellions successives par les tenants de la société civile touarègue, dont les voix mériteraient sans doute d’être mieux écoutées.
La lutte contre les groupes islamistes armés continue
Aucun attentat terroriste n’avait été déploré à Bamako à l’heure où nous bouclons. La peur, cependant, incite les hôtels à multiplier les mesures de sécurité à leurs portes, avec engins de déminage passés sous les voitures à l’entrée des parkings. La crise semble finie, mais beaucoup évitent de sortir dans la capitale. Une cellule dormante d’un groupe islamiste, le Mouvement pour l’unicité du djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), a été démantelée en mars par l’armée malienne. Les photos des sept suspects, tous des Diallo (un patronyme peul) issus de la même famille, ont été diffusées par la presse début mai…
Les ambassades occidentales, le Centre culturel français, les halls des grands hôtels et les cafés fréquentés par des expatriés sont devenus des cibles potentielles. De même que le grand marché de Bamako, que certains évitent le vendredi, jour de prière et moment favori pour les attentats-suicides de djihadistes qui ont continué à être commis à Tombouctou et Kidal, les villes du Nord, après leur libération en janvier. En neuf mois d’occupation du Nord-Mali, les membres d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et les groupes opérant dans la même nébuleuse, le Mujao et Ansar Dine (à forte composante touarègue), ont eu le temps de recruter. Ils ont promis le paradis, en distribuant de l’argent et des médicaments.
Contrairement à une idée reçue solidement enracinée au sud du Mali, ce ne sont pas les minorités arabes et touarègues qui forment, avec des éléments étrangers, Mauritaniens notamment, l’essentiel des recrues des islamistes. Sur les 200 présumés djihadistes faits prisonniers par les soldats français de Serval dans le nord du Mali entre janvier et mars, 80 % sont des Maliens, la plupart songhaï et peuls. Parmi les étrangers capturés, on compte deux Français, qui ont été extradés, mais aussi des Nigérians, Nigériens, Gambiens et Burkinabè, un Mauritanien, un Somalien, un Tunisien ainsi qu’un Marocain se revendiquant Sahraoui. Ces hommes, détenus à la prison centrale de Bamako, doivent comparaître devant la justice malienne.
Source : Amnesty International