Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

Mali – Hôtel Radisson Blu : Les implications d’une attaque cinq ans après

Ce fut le vendredi de toutes les attentions. Ce 20 novembre 2015, Bamako était réveillé par une attaque terroriste d’une ampleur rare. Une fusillade, suivie d’une prise d’otages de plus d’une centaine de personnes était en cours à l’hôtel Radisson Blu. Après l’assaut des forces de sécurité maliennes et internationales, 22 personnes avaient été tuées, dont deux assaillants. Pour ne plus revivre le même scenario traumatisant, plusieurs mesures sécuritaires fortes avaienensuite été prises. La condamnation à mort des trois personnes impliquées, dont une par contumace, le 28 octobre dernier par la cour d’assises, remet sur le tapis la longue cicatrisation des blessures des victimes.

Cinq ans après l’attaque du Radisson Blu, les souvenirs collent à Mohamed Konaté comme le recto au verso d’une feuille de papier. Depuis, le « sentiment du survivant » l’anime. Et ce sont « cinq petites minutes » qui lui ont épargné une mort certaine. Il devait être de service à 7 heures et à 6h55 l’attaque a commencé. Ce jour-là, raconte-t-il, le serveur est arrivé à l’hôtel Radisson aux environs de 6h20. Il emprunte alors la porte de service qui donne accès aux vestiaires, au sous-sol. Mohamed Konaté prend une douche, fait sa prière et met sa tenue de travail. Il passe un peu de temps à nouer sa cravate, hésitant plusieurs fois sur sa bonne position. 6h55. Des bruits lui parviennent du haut de l’étage. Sans s’inquiéter, Mohamed les assimile à des travaux d’entretien du service technique, monnaie courante en ces temps-là. Puis c’est l’affolement. Des collègues, fuyant, le croisent devant le vestiaire et lui disent que le bâtiment est investi par des hommes armés. Les premiers tirs mortels venaient de se faire entendre. « C’est là que je n’ai plus cherché à comprendre. J’ai emprunté la même porte que celle par laquelle j’étais entré. Une fois dehors, avec trois de mes collègues, on a alerté la gendarmerie, coupé les routes et informé les gens tout autour », se souvient-il.

Deux terroristes des groupes Al-Mourabitoune de Mokhtar Belmokhtar et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) venaient de prendre en otage 170 personnes de 16 nationalités différentes, 140 clients et une trentaine  d’employés. L’attaque dure jusqu’au petit soir, après l’assaut des forces de sécurité maliennes; appuyées par des forces internationales. Le bilan est lourd : 22 personnes tuées, dont les 2 assaillants, et 7 blessés.

Moins d’un mois après l’attaque, le Radisson Blu reprend du service, pour « aller de l’avant ». Mohamed Konaté y demeure jusqu’en décembre 2016, puis, n’étant pas sous contrat, il est obligé de quitter l’hôtel à la suite d’une réduction du personnel. Il louvoie par la suite entre plusieurs boulots : chauffeur, serveur et dernièrement gérant d’un glacier à Bamako.

Et, pour concrétiser cette envie « d’aller de l’avant », le groupe Radisson Hôtel a annoncé le 22 juillet dernier l’ouverture en janvier 2021 du premier hôtel Radisson Collection du continent, un hôtel de luxe de 200 chambres en plein cœur de Bamako. En outre, il est prévu un programme de rénovation complète, d’ici la fin de l’année, de l’hôtel Radisson Blu actuel, celui qui a essuyé l’attaque du 20 novembre 2015.

Condamnés à mort Mohamed a personnellement vu les corps des deux terroristes ayant perpétré l’attaque. Il pensait que toute cette histoire était déjà finie, avant d’apprendre dans les médias le procès des commanditaires, dont il se réjouit de l’arrêt. Celui-ci condamne Fawaz Ould Ahmed, dit « Ibrahim 10 », cerveau de l’attaque contre le Radisson, et son complice Sadou Chaka Maïga à la peine de mort, avec une amende de 10 millions de francs CFA chacun. « L’arrêt de la Cour d’assises représente énormément pour moi. Je pensais que cette histoire était déjà réglée. Même si on les a condamnés à mort, ce n’est rien comparé aux vies qu’ils ont prises ». Et la crainte de Mohamed, c’est de voir bénéficier ces deux terroristes de réduction de leurs peines par une grâce présidentielle un jour.

Me Alassane Diop représente les héritiers de feu Assane Sall. Ce jeune cadre sénégalais de la multinationale Vivo Energy Sénégal, en mission au Mali, a été tué à l’âge de 37 ans lors de l’attaque du Radisson Blu. « Ce jour-là », explique-t-il, « comme à son habitude, il s’était réveillé très tôt le matin pour s’acquitter d’abord de ses obligations religieuses envers son Seigneur, avant de descendre au restaurant prendre son petit déjeuner et s’apprêter pour ses rendez-vous de la journée. C’est là que la bêtise humaine dans toute sa cruauté s’est acharnée sur lui. Ils l’ont abattu froidement dans leur folie meurtrière. Lui et tant d’innocents parfaits, dont la plupart sont de pieux musulmans qui ignoraient la raison de leur mort ».

Me Diop se réjouit également de l’arrêt de la Cour d’assises. Il estime que justice a été rendue à la suite d’un procès équitable, mais exprime son regret de voir qu’un des co-accusés « aurait été relâché » lors de la libération de Soumaïla Cissé et de trois autres ex-otages. « Un procès équitable qui va à son terme est le couronnement de la justice. Les accusés ont reconnu les faits et surtout donné les raisons de leur commission devant les victimes survivantes et leurs parents. On ne peut pas rêver mieux. Justice a été rendue, du moins pour la première manche. Elle sera parachevée par l’indemnisation prochaine des victimes ».

À en croire Me Diop, la question de l’indemnisation des victimes de la partie civile a accusé du retard parce que « la Cour d’assises n’avait pas réussi à rassembler les documents justificatifs de toutes les victimes recensées pour se prononcer efficacement sur les demandes d’indemnisation, qui concernent plusieurs nationalités de par le monde ».

Nouvelles mesures de sécurité Bamako n’était pas à sa première lors de l’attaque du Radisson Blu. Le 7 mars 2015, une fusillade terroriste visant des Occidentaux au bar-restaurant « La Terrasse » avait fait 5 morts, 2 Occidentaux et 3 Maliens. personnes avaient également été blessées. Après l’attaque du Radisson Blu, une prise de conscience a émergé du côté des établissements hôteliers, ainsi que des autorités. Le dispositif sécuritaire était fragile et avait besoin de plus de vitalité au regard du nouveau visage violent du terrorisme.

C’est ainsi qu’à la réouverture de l’hôtel Radisson Blu les mesures sécuritaires ont été renforcées. La rue qui passe devant l’hôtel a été bloquée. Les véhicules sont désormais fouillés. Un portique de sécurité a été installé afin de déceler la présence d’objets métalliques sur les visiteurs. Le tout sous le regard de vigiles et de forces de sécurité armées. Il en est de même dans plusieurs hôtels de la capitale, où plus d’attention a été accordée à la sécurité.

En outre, les deux attaques ont poussé les autorités maliennes à prendre conscience d’une chose : il y a un besoin pressant d’une force de réaction rapide, d’où la création de la Force spéciale antiterroriste (FORSAT) en mars 2016. « Cette force a été créée pour répondre rapidement, dans la capitale malienne et dans les régions, à toute attaque ou prise d’otages dans les heures ou les minutes qui suivent. Car auparavant le Mali n’avait pas une force pareille, qui regroupe l’ensemble des corps des forces de sécurité intérieure, la gendarmerie, la garde nationale et la police, même si chaque entité avait une petite unité de forces spéciales. La FORSAT est placée sous l’autorité du ministère de la Sécurité et peut être mobilisée à tout moment », explique Hamidou Diallo, Président du Conseil d’administration du Bureau d’études sur l’extrémisme violent et les conflits communautaires en Afrique. Un an après, le 18 juin 2017, la jeune force antiterroriste fait son baptême du feu lors de l’attaque terroriste du campement Kangaba, en périphérie de Bamako. La FORSAT lance seule l’assaut. 9 personnes seront tuées, dont 3 civils, 1 militaire malien, 1 militaire portugais et les 4 assaillants.

Outre la création de la FORSAT, de petites unités mobiles sont aussi désormais opérationnelles. Elles sont disposées au niveau de toutes les grandes intersections et disposent de véhicules pick-up portant la mention PS (Poste de sécurité) à bord desquels se trouve un agent armé. La ville a également été dotée de plus de caméras de surveillance et un Centre d’alerte précoce et de réponse rapide a été créé en octobre 2017 afin de prévenir et d’anticiper l’insécurité. Depuis l’instauration de ces mesures, Bamako n’a pas connu d’attaque terroriste. « Même si on ne peut pas dire que nous en sommes arrivés à une situation sécuritaire merveilleuse, nous pouvons dire que sur le plan du terrorisme il y a eu une amélioration de la vigilance à Bamako. Cependant, sur le plan du banditisme, qui est également une question sécuritaire, la situation reste déplorable », explique Mohamed Abdellahi Elkhalil, analyste politique. Cependant, le chercheur Salia Samaké relativise. Il reconnaît que les dispositions sécuritaires prises par les autorités ont certes eu un impact quant à l’accalmie observée dans la capitale, mais pense aussi que la redirection des activités djihadistes y est également pour quelque chose. « On peut mettre l’accalmie non seulement à l’actif des autorités ,par rapport à la nouvelle force (antiterroriste, NDLR) qui a été créée à cet effet, mais il y a aussi eu une réorientation de l’action des djihadistes qui a aussi aidé. Ils ont évité les centres urbains et dirigé plutôt leurs attaques vers le centre du pays, en créant des situations de guerres intercommunautaires, sachant bien qu’en s’attaquant à la ville directement le résultat ne serait pas ce qu’ils voulaient. Ils ont donc plus d’effets en activant les conflits intercommunautaires plutôt qu’en s’attaquant à des dispositifs ou à des bâtiments qui relèvent de l’État ».

Bamako est-t-il donc aujourd’hui à l’abri d’un attentat du même genre que l’attaque du Radisson Blu ? « Malheureusement non », répond d’emblée Salia Samaké. « Il faut reconnaître », poursuit-il, « que Bamako n’est pas à l’abri d’une attaque du même genre qu’en 2015. Certes, il y a eu une réorientation de l’action des djihadistes au centre, mais Bamako n’est pas à l’abri. Nous avons cette manière de faire. Généralement, quand le dispositif sécuritaire commence à marcher et qu’il y a une accalmie, la vigilance retombe. Cela est vraiment inhérent à nos forces ». Selon certaines informations, plusieurs attaques terroristes ont cependant été déjouées ces dernières années.

Boubacar Diallo

 

Source:  Journal du Mali

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance