Après une dizaine de jours de report, les Assises nationales de la refondation (ANR) débutent ce 11 décembre. Malgré des efforts du chef du gouvernement et du président de la Transition lui-même, elles sont décriées par une partie de la classe politique, mais aussi par la CEDEAO, qui exige un calendrier électoral détaillé en vue du rétablissement de l’ordre constitutionnel. Dans le cas contraire, l’organisation sous-régionale pourrait envisager des sanctions supplémentaires lors de son sommet ordinaire du 12 décembre, soit un jour après le début des ANR, dont les conclusions ne seront connues qu’en janvier prochain. Le gouvernement veut-il jouer les prolongations ou est-ce le signal d’un nouveau départ ?
ANR : un sigle, plusieurs discordes. Jamais une rencontre nationale n’a suscité autant de débats au Mali. Initialement prévues du 23 au 26 décembre pour la phase nationale, ces Assises avaient été « décalées » le 22 novembre dernier par le Panel des hautes personnalités de la refondation, pour obtenir d’avantage d’inclusivité. Pour ce faire, le président de la transition est descendu lui-même dans l’arène. Il a invité le 29 novembre dernier le Cadre d’échange des partis et regroupements politiques pour une transition réussie à prendre part aux ANR. Cependant, cet appel du colonel Assimi Goïta n’a pas été entendu. Ses hôtes ont qualifié la rencontre de « mise en scène » et ont maintenu leur décision de ne pas participer aux Assises.
Une inclusivité qui fait défaut
Les Assises nationales de la refondation avaient été décalées afin d’obtenir un large consensus. Elles démarreront finalement dix jours plus tard, après le constat par le gouvernement de transition qu’il ne pourrait pas rassembler davantage de soutiens politiques autour des ANR. En outre, la date du 11 décembre, à seulement 24 heures du sommet ordinaire de la CEDEAO du 12 décembre ,est perçue comme une « démonstration de bonne foi » des autorités maliennes afin d’éviter d’éventuelles nouvelles sanctions de l’organisation sous-régionale.
D’ailleurs, dans une sortie médiatique à la télévision nationale qui ressemblait à une plaidoirie, le 6 décembre, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga justifiait pour la communauté internationale la tenue des ANR. « À l’issue de la crise électorale de 2018, la CEDEAO a envoyé une forte délégation, de haut niveau, conduite par le ministre des Affaires étrangères du Nigeria. À la fin de la mission, la CEDEAO a déposé un rapport qui dit dans ses conclusions qu’au regard de la situation au Mali, toutes les forces politiques et sociales sont d’accord sur le fait qu’il ne faut plus organiser d’élections sans avoir fait au préalable des réformes. Ces réformes n’ont jamais été faites. Cela fait partie des raisons du soulèvement de 2020 ».
Amadouer la communauté internationale
Le Premier ministre a poursuivi en demandant donc un peu plus de temps à la CEDEAO pour présenter un chronogramme des élections. « À quoi cela sert-il de mettre la pression sur le Mali, de le menacer de sanctions parce que les autorités disent qu’elles ont besoin de deux semaines pour que notre peuple se concerte ? À la fin des Assises, nous reviendrons vers vous, fin décembre ou début janvier, avec un calendrier des élections sur la base duquel nous allons discuter. Nous estimons que nos frères et nos partenaires de la CEDEAO feront l’effort de nous comprendre », a-t-il déclaré.
Pour le Dr. Amidou Tidjani, enseignant-chercheur à l’Université Paris 13, l’organisation des ANR maintenant dénote de la volonté des autorités maliennes de négocier le sort du Mali lors du prochain sommet de la CEDEAO. « C’est l’agenda international qui détermine finalement l’agenda interne sur les Assises nationales de la refondation. Le gouvernement a compris qu’il n’aura pas l’inclusivité recherchée. Donc il faut au moins faire en sorte que l’organisation de ces Assises puisse être un argument qu’il pourra faire valoir devant la CEDEAO pour éviter des sanctions qui pourraient être nuisibles économiquement.»
Mohamed Ag Ismaël, chercheur en sciences politiques, s’inscrit dans la même lancée. « Le choix du 11 décembre n’est pas un hasard. Il faut faire passer un message à la communauté internationale et régionale pour montrer une sorte d’unité autour de la transition, via ces Assises nationales de la refondation, afin d’atténuer d’éventuelles nouvelles sanctions.»
Cependant, Ornella Moderan relativise. Pour la Cheffe du Programme Sahel de l’Institut d’études de sécurité (ISS), « même si l’influence des partenaires régionaux et internationaux du Mali n’est pas négligeable, il est important de lire les choix politiques des responsables maliens à l’échelle du Mali. Tout ne se joue pas par rapport à la CEDEAO et l’on a du mal à comprendre certains positionnements si l’on néglige l’importance du politique et du national au bénéfice systématique du diplomatique et du régional ».
L’insécurité limite la portée nationale des Assises
L’insécurité et le boycott de certains politiques entachent le caractère inclusif et national des Assises de la refondation. Au-delà de la décentralisation des débats, qui devraient se tenir sur le territoire national mais aussi au sein de la diaspora et dans les camps de réfugiés et de déplacés maliens, les ANR divisent les politiques. « Une partie de la classe politique n’est pas convaincue de la volonté des autorités de la transition de quitter le pouvoir et d’organiser les élections. Pour elle, la volonté du gouvernement, à travers les Assises, est tout simplement de dire à la CEDEAO que tous les Maliens sont d’accord pour la prorogation de la transition », analyse Amidou Tidiani.
Le Dr. Boubacar Haïdara, chercheur associé à l’Institut d’études de Bordeaux, a la même analyse. « Les Assises vont en quelque sorte légitimer la prolongation de la transition et l’exhiber comme étant la volonté des Maliens. Une façon de dire à la CEDEAO vous avez vos règles, mais elles ne doivent pas primer sur la volonté des peuples. D’ailleurs, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga a prévenu : « en tout cas, le président de la transition ne souhaite pas donner aux Maliens le sentiment que leur destin se décide ailleurs », a-t-il déclaré à la télévision nationale le 6 décembre dernier.
Outre le refus d’une partie de la classe politique, l’insécurité pourrait exclure beaucoup de zones des travaux. Le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop ne manquent aucune occasion de mettre en avant la situation sécuritaire, dont le gouvernement est pourtant responsable, pour justifier l’impossibilité de tenir les élections en février prochain. « Les mêmes arguments d’insécurité empêchant la tenue des élections en février prochain sont valables pour les Assises nationales de la refondation. Raison pour laquelle je pense qu’on ne dit pas tout par rapport aux objectifs des assises tant souhaitées », affirme Mohamed Ag Ismaël.
Cependant, le Dr. Amidou Tidjani relativise. « La situation sécuritaire ne se détériore pas davantage par rapport à ce qu’elle était hier. Les ANR ne seront pas organisées sur l’ensemble du territoire national parce que le gouvernement ne dispose pas de la plénitude de ses moyens sur l’ensemble du territoire. Mais elles seront organisées sur suffisamment de localités du territoire pour pouvoir dégager un semblant de consensus autour de certaines propositions ».
Des conclusions connues à l’avance ?
Au regard des objectifs latents des Assises nationales de la refondation, seule la forme pourrait compter et non le fond. Le but « étant de légitimer la prolongation de la transition », que les ANR ne soient ni inclusives ni nationales n’entrave en rien les conclusions des débats, « connues à l’avance ». « Il faut être dupe pour ne pas savoir que les Assises nationales de la refondation ont pour effet de donner les bases légitimes d’une prorogation de la transition. Les conclusions sont connues à l’avance. Après, sur les propositions qui vont être faites en termes de véritables réformes, je pense qu’on aura toujours une marge d’évolution ou d’adaptation qui interviendra d’une manière ou d’une autre à l’avenir », se projette Amidou Tidjani.
Cependant, pour Ornella Moderan une faible couverture nationale pourrait aggraver les clivages existants entre le centre et les périphéries, la capitale et les régions. « De nombreux acteurs en région expriment déjà, depuis de longue date, un sentiment d’exclusion, d’inéquité dans la gestion du pays par les élites de Bamako, qu’ils estiment déconnectées des réalités plurielles du vaste Mali, et concentrées à l’excès sur les dynamiques bamakoises de captation du pouvoir et des ressources plutôt que sur une prise en compte réelle des besoins fondamentaux d’accès à la sécurité, à une justice efficace et intègre et aux services sociaux de base exprimés depuis longtemps par les populations des régions ». Des griefs déjà exprimés lors des précédents fora, Conférence d’entente nationale en 2017 et Dialogue national inclusif (DNI) en 2019.
Mohamed Ag Ismaël ajoute que les clivages et frustrations nés des Assises nationales de la refondation pourraient fragiliser les autorités de la transition. « On continuera de jouer la cassette du Dialogue national inclusif et dans cette désunion la capacité des autorités à faire face aux problèmes internes s’affaiblira. Et les détracteurs ne sont jamais loin pour profiter de la situation ».
Boubacar Diallo
Exergue 1 : « Le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop ne manquent aucune occasion de mettre en avant la situation sécuritaire, dont le gouvernement est pourtant responsable, pour justifier l’impossibilité de tenir les élections en février. »
Boubacar DIALLO
Source : Journal du Mali