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Mali : Chronique d’une reconstruction téléguidée

 

ibk et tatam ly

Le Mali a un nouveau président depuis le 04 septembre 2013, élu un  mois plus tôt. A cette occasion, la situation du pays a été présentée  aux français comme largement stabilisée et pacifiée. La réalité est plus  compliquée. Si l‘élection du nouveau chef de l’État, Ibrahim Boubacar  Keïta dit « IBK », repose réellement sur une adhésion d‘une majorité de  l‘électorat, la situation globale du pays est loin d‘être aussi  idyllique ; et de nombreuses questions de premier ordre reste pour le  moment irrésolues.

L’Avant l‘élection tenir les élections à  tout prix, non pas pour déterminer ce que souhaitent vraiment les  populations, mais pour redonner une apparence de légitimité à une  oligarchie qui a largement contribué au déclin du pays : c’est le pari  stratégique que la France a cherché à imposer au Mali. Le premier tour  de l’élection présidentielle était initialement prévu pour début  juillet, puis a été fixé au 28 juillet 2013.

Cela même si le président de la Ceni (Commission électorale nationale  indépendante), Mamadou Diamountani, a déclaré le 27 juin dernier que  c’était « extrêmement difficile d’organiser ce premier tour dans les  conditions actuelles ». Plus de 400.000 réfugiés maliens vivaient alors  loin de chez eux.

C’est dans ce contexte qu’il faut placer l’accord intervenu le 18  juin 2013 entre le gouvernement transitoire en place à Bamako, et les  groupes séparatistes MNLA (Mouvement national pour la libération de  l’Azawad) ainsi que HCUA (Haut conseil pour l’unité de l’Azawad). Le  MNLA, fondé fin 2011 et qui a démarré la lutte armée dans le nord du  Mali en janvier 2012, est en bonne partie à l’origine de la crise qui a  conduit à la division du Mali en 2012. L’alliance temporaire qu’il avait  contractée avec des groupes djihadistes a cependant été rompue en juin  de la même année, le MNLA a alors été défait militairement par ses  exalliés, et sa direction s’est réfugiée à Ouagadougou (chez ce grand  pilier de la Françafrique qu’est la président burkinabè Blaise  Compaoré). Depuis, l’organisation a renoncé à sa revendication  d’indépendance, mais défend haut et fort son nouveau mot d’ordre: «  l’autonomie », désignant un statut spécial pour le nord.

Ces groupes – MNLA et HCUA – avaient plus d’intérêt à la signature de  l’accord que les autorités de Bamako. Le MNLA avait mis sa signature  sous le document dès le 10 juin, alors que le gouvernement malien  rechignait encore pendant plusieurs jours avant d’apposer la sienne. Le  journal Le Monde (du 20 juin 13) relate comment les choses se sont  déroulés : le 12 juin, le ministre des Affaires étrangères du Burkina  Faso, Djibril Bassolé, se rendit à Bamako pour négocier avec les  autorités maliennes. Or, même après six heures d’âpres discussions,  celles-ci n’aboutissent pas. Il a fallu, précise le journal, des « coups  de fil de François Hollande et (du président burkinabè) Blaise Compaoré  » en personne, pour faire pencher la balance. Blaise Compaoré et son  gouvernement ont, à l’évidence, joué un rôle central dans le dénouement  de cette négociation, qui s’est dès le début déroulée sous leur tutelle ;  d’où le choix de Ouagadougou, la capitale du Burkina, comme lieu de  négociation. Rappelons que le régime de Compaoré – au pouvoir depuis  1987, suite à l’assassinat de son célèbre prédécesseur Thomas Sankara et  à l’arrêt du processus révolutionnaire conduit par Sankara – est l’un  des alliés les plus étroits du néocolonialisme français dans la  sous-région.

La pomme de discorde principale entre le MNLA (et la France) d’un  côté et le gouvernement malien de l’autre était alors, depuis plusieurs  mois, l’occupation de Kidal.

Cette ville dans le nord-est du Mali et la région du même nom étaient  « libérées », depuis février 2013, par les armées française et  tchadienne, est interdite d’entrée à l’armée malienne mais ouverte au  MNLA. Ce qui posait un problème de plus en plus insupportable à de  nombreux Malien (ne) s, dont beaucoup considéraient que l’élection  présidentielle prévue fin juillet ne pouvait pas se tenir « si tout le  territoire national du Mali n’est pas libéré ».

C’est pour libérer le chemin qui doit conduire à l’élection, que la  France et son allié burkinabè ont exercé une forte pression sur les  autorités maliennes afin qu’elles acceptent la conclusion de cet accord.  Celui-ci est d’ailleurs intitulé «Accord préliminaire à l’élection  présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali », et  stipule à son article 2 : « Les Parties acceptent l’organisation de  l’élection présidentielle sur toute l’étendue du territoire », donc  aussi dans la région de Kidal.

Ce point est d’ailleurs le plus concret de tout l’accord,  correspondant à l’intérêt principal que les puissances tutélaires  française et burkinabè liaient à sa conclusion.

Pour le reste, l’objet de l’accord reste assez flou, dans la mesure  où le règlement des problèmes est pour l’essentiel renvoyé… après  l’élection. En effet, les parties signataires promettent à l’article 3 :  « Après l’élection du Président de la République et la mise en place du  Gouvernement, les

Parties conviennent d’entamer un dialogue inclusif pour trouver une  solution définitive à la crise. » En attendant ce futur dialogue  envisagé, les groupes armés (et notamment le MNLA) ne sont pas désarmés,  bien que l’article 6 dise que leur désarmement « est accepté par tous  ». Mais en attendant les discussions à venir, ces groupes armés sont «  cantonnés » sur des sites particuliers, sans pour autant ce séparer de  leurs armes, « sous la supervision de la MINUSMA » (la troupe des  Nations Unies pour le Mali) et « avec le concours initial de la Force  Serval » française ?

Cependant, l’armée malienne pouvait rentrer dans la région de Kidal ;  il était question de son « déploiement progressif (…) dès la signature  du présent Accord, en étroite coopération avec la MINUSMA et la Force  Serval » (article 11). Par ailleurs, il a été annoncé que l’armée  française allait être stationnée dans la zone de l’aéroport de Kidal, en  vue de séparer les deux parties armées potentiellement hostiles :  l’armée malienne d’un côté, le MNLA de l’autre. Pour le reste, l’article  21 promet : « A l’issue de l’élection présidentielle et soixante jours  après sa mise en place, le nouveau Gouvernement du Mali (…) entamera,  avec l’accompagnement de la communauté internationale, des pourparlers  de paix avec toutes les communautés du nord, les signataires ainsi que  les groupes armés (…) ».

Rien n’est donc résolu pour le moment, ni la question du désarmement  des groupes armés ni le risque d’une balkanisation du pays. Mais la  France pourra se targuer d’avoir pu imposer la date des élections, et  garde deux fers au feu : la coopération avec les autorités du Mali, mais  aussi celle avec le MNLA. Dans la pratique, les choses se sont  d’ailleurs déroulées de façon plutôt compliquée : le gouverneur  (représentant du gouvernement central) rentra à Kidal début juillet,  avant de s’enfuir le 11 juillet… et de revenir sur place le 15 juillet.  Depuis, c’est le statu quo : le

MNLA a gardé ses armes ; l’armée malienne est sur place, mais reste  cantonnée dans ses casernements (alors que ce sont théoriquement les  ex-rebelles qui devaient être cantonnés) ; l’armée française sépare les  deux parties.

Le vote

La dynamique du vote elle-même n’était pas « bidon ». L’engouement  populaire pour aller participer au vote était réel, quand le peuple  malien était appelé à élire un nouveau président, les 28 juillet  (premier tour) puis 11 août dernier. A Bamako et ailleurs, on pouvait  voir les électeurs et électrices sortir massivement, munis de leur carte  électronique « NINA » qui était censée rendre incontestable  l’identification des votants. Le scrutin s’est néanmoins déroulé dans le  calme, en tout cas selon ce que nous avons pu observer dans la capitale  Bamako.

Ceci reflète avant tout la maturité politique du peuple malien, dont  une nette majorité a surtout souhaité « tourner la page » des années de  gestion désastreuse du pays par l’ex-président ATT (Amadou Toumani  Touré, 2002 à 2012). Celle-ci avait largement facilité l’implosion de  l’État et l’occupation du Nord du pays par une coalition de rebelles,  mêlant séparatistes adeptes d’un « Azawad » à base « ethnique » et  djihadistes, et elle avait dégoûté une majorité de Maliens de toute  participation à la vie politique officielle du pays. Le dernier scrutin  présidentiel sous ATT, celui de 2007, n’avait connu qu’un taux de  participation officiel de 26 %, tout en étant accompagné de critiques  portant sur des achats de voix et d’autres manipulations.

Une telle situation est derrière le peuple malien. Lors du premier  tour du 28 juillet 2013, le taux de participation avait d’abord été  indiquée avec 53,5 %, puis corrigé dans le résultat officiel à 49 %  (probablement compte tenu des plus de 400.000 bulletins de vote comptés  comme « nuls »). Au deuxième tour, ce taux a légèrement baissé à 45,7%,  ce qui est probablement dû aux conditions météorologiques – une pluie  tropicale tomba ce 11 août sur une partie de la capitale – mais aussi au  fait qu’un certain nombre de Maliens et Maliennes pensaient que « les  jeux étaient largement faits » après le premier tour.

Aussi faut-il ajouter que le premier tour avait lieu pendant le  Ramadan, alors que le mois de carême était fini au moment du deuxième  tour, et qu’un certain nombre de personnes (surtout des femmes) étaient  alors occupées à préparer le repas familial en milieu de journée. Le  nombre de bulletins « nuls » au second tour était très inférieur à celui  du premier, tombant à 50.000.

Ce constat général n’était pas gagné d’avance. La France, notamment,  avait exercé une forte pression pour que le vote se tienne avant la fin  du mois de juillet. C’était prendre un risque important : un vote en  pleine saison des pluies – quand les paysans travaillent la terre – et  en plein Ramadan, allait-il vraiment pouvoir mobiliser le peuple malien ?

Floraison de candidats

Nombreuses étaient les voix qui pensaient que ce scrutin venait «  trop tôt », que la plupart des forces politiques – surtout celles qui ne  sont pas issues de l’oligarchie de l’ancien système – n’y étaient pas  suffisamment préparées, que les conditions matérielles pour un  déroulement correct du scrutin n’étaient pas réunies au « jour J ». Cela  était peut-être même sciemment calculé : avec une faible participation,  les partisans de tel représentant de l’ancienne oligarchie allait  pouvoir l’emporter sans « trop de vagues ». Mais c’est, finalement, un  autre scénario qui s’est réalisé. Avant tout à cause de la maturité du  peuple malien désormais plus « éveillé » politiquement, suite à la  catastrophe qu’il a connu en 2012, et certainement pas « grâce à la  France »… mais peut-être plutôt malgré l’attitude française.

Un observateur pouvait confirmer à vu d’oeil, dans le Bamako de ce  mois d’août 2013, que le résultat final de l’élection correspondait  réellement à ce que semblait souhaiter une large majorité du peuple.  Alors que le second tour opposait l’ex-Premier ministre « IBK » (Ibrahim  Boubacar Keïta, 39 % des voix au premier tour et 77,62 % au second) à  son rival Soumaïlia Cissé (19,7 % au premier tour et 22,38 % au second),  l’effigie d’IBK était très présente : sur des autocollants apposés dans  des taxis, sur des affiches collées dans les entrées d’un certain  nombre de maisons, sur des boutiques dans les marchés…

Rien de tel n’existait pour Soumaïlia Cissé. Le résultat, quelques  jours avant le second tour, ne pouvait laisser guère de placer au doute.

Si ce « réveil démocratique » du peuple malien a finalement largement  profité dans les urnes au vainqueur « IBK », c’est parce qu’il était  considéré comme le « moins mal » des candidats par beaucoup de gens. Il  faut entendre par là qu’il était apprécié comme « moins voleur» que  d’autres : lors de sa période comme Premier ministre, de 1994 à 2000, il  faisait preuve d’une gestion plus rigoureuse des finances publiques que  d’autres avant et (surtout) après lui. Surtout, le candidat Keïta  promettait un renouveau public à travers l’annonce de la fondation d’une  « quatrième République » au Mali ; la première République était la  période socialisante de Modibo Keïta depuis l’indépendance jusqu’en  1968, la deuxième correspondait au régime militaire sous Moussa Traoré  renversé en 1991, la troisième couvrant à la dernière période. Cette  promesse, bien que son contenu exact soit encore flou, rencontrait un  écho certain auprès de ceux et celles qui voulaient en finir avec les  pratiques de l’ancienne oligarchie. Celle-ci était, en revanche,  associée à l’image de Soumalïa Cissé – l’ancien grand argentier du pays  d’abord, puis de l’Union économique et monétaire ouestafricaine (UEMOA) –  et à ceux qui le soutenaient au second tour. Tels que l’ex-Premier  ministre Modibo Sidibé, dont l’ex-président « ATT » de sinistre mémoire  avait voulu faire son successeur.

Mais « IBK » aura fort à faire. Sa candidature était en effet  soutenue par des forces aux aspirations contradictoires, et certainement  investie d’espoirs et d’attentes qui ne vont pas tous dans le même  sens. La gauche malienne était ainsi au rendez-vous : le Rassemblement  pour la justice sociale (RJS), créé avant le scrutin et dans lequel on  trouve des leaders associatifs, s’était rallié à la candidature « IBK »  dès avant le premier tour. Le parti SADI (Solidarité africaine pour la  démocratie et l’indépendance) avait présenté son candidat Oumar Mariko  au premier tour – il obtint 2,57 % -, mais soutenu « IBK » comme le  moindre mal, au second. Du côté progressiste au sens large, on trouve  aussi les jeunes officiers qui avait mis fin au régime « ATT » par leur  coup d’État du 22 mars 2012. « IBK » avait aussi leur soutien, et a pu  faire campagne dans leur fief, le camp Kati au nord-ouest du Bamako,  trois jours avant le premier tour.

Cependant la candidature « IBK » était aussi soutenu par des forces  politico-religieuse somme toute réactionnaires, dont celles du « Haut  conseil islamique » (HCI) qui s’étaient mobilisée contre une réforme du  Code de la famille en 2011, et la fédération Sabati influencée par les  idées wahhabites. Pour des raisons qui tiennent aux références  religieuses et aux « valeurs traditionnelles » du candidat Keïta, mais  aussi à des amitiés personnelles, ces forces ont aussi voulu peser dans  la balance en misant sur un « cheval gagnant ». Elles ne manqueront pas,  elles aussi, de faire pression en faveur de leurs propres objectifs.

Dernière évolution

Le nouveau président a inauguré son mandat par une cérémonie qui  s’est tenu le 15 septembre, en présence de François Hollande qui  proclame alors: « Nous avons gagné cette guerre ! ». Les chantiers qui  l’attendent seront immenses, dont la négociation avec le MNLA – toujours  en embuscade – sur la question de savoir s’il faut donner ou non un  statut spécifique sous forme d’autonomie au Nord.

Le président Keïta ne pourra pas compter sur la passivité et la  résignation du peuple malien, qui sera là pour observer ses actes.

Dans le nord, les choses se sont vite gâtées. Des négociations  étaient censées démarrer sur le statut des régions du nord, sachant qu’ «  IBK » avait toujours précisé par la campagne qu’une décentralisation  plus poussée (mais avec des règles identiques dans tout le pays) était  acceptable à ses yeux, mais pas un statut juridique spécial pour le  nord. C’est précisément cela que revendique le MNLA. La dernière semaine  de septembre, le MNLA a une première fois rompu les négociations, avant  de revenir à la table des négociations le 05 octobre. Entre-temps, des  combats armés se sont déroulés à Kidal, où des médias maliens (tels que  Malijet) signalent maintenant à nouveau la présence de groupes  djihadistes composés d’Algériens, de Tunisiens, de Pakistanais et  d’autres combattants internationaux.

La violence des djihadistes s’est aussi réveillée, pour le moment  ponctuellement. Les 25 septembre, un attentat à Tombouctou à tuer six  personnes (dont les djihadistes euxmêmes), et des combats soutenus avec  les forces spéciales françaises ont abouti – le 1er octobre – à la mort  d’une dizaine de djihadistes, près de Tombouctou.

La dimension économique et sociale était largement absente des enjeux  visibles de la campagne, comme l’a – à juste titre – déploré Aminata  Traoré dans une interview accordée à « L’Humanité ». Cette question  avait été largement masquée par les enjeux relatifs à l’unité du pays et  au(x) statut(s) du Nord. Or, à la longue, ce sera elle qui sera  décisive pour le regard que jettera le peuple malien sur le nouveau  pouvoir. A cet égard, la désignation d’un banquier – ayant fait ses  classes à la Banque mondiale -, Oumar Tatam Ly, au poste de Premier  ministre est un mauvais signe inaugural. Il n’a pas de passé politique  connu, mais a été réputé technocrate financier « apolitique ». Les  élections législatives, prochainement à venir, devront déterminer le  poids des forces politiques.

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