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Mali, Cheickna Bounajim Cissé, économiste : «Paris a réussi son pari de partir tout en restant»

À propos de la réforme du franc CFA, le spécialiste décrypte les réformes majeures qui vont s’opérer en 2020. Il passe au peigne fin les interrogations et les incertitudes qui demeurent, et lève un coin du voile sur les intentions réelles de l’ancienne puissance
colonisatrice, les enjeux géostratégique, géopolitique et géoéconomique.

Le président en exercice de l’Uemoa, Alassane Dramane Ouattara et le président français, Emmanuel Macron ont annoncé, samedi à Abidjan, un accord monétaire considéré comme «une réforme historique» du franc CFA. Cet accord prévoit, entre autres, le changement du nom du franc CFA qui devient l’Eco, l’arrêt de la centralisation de 50% de nos réserves de change au Trésor français et la fermeture du compte d’opération, le retrait des représentants de la France de tous les organes de décision et de gestion de la monnaie ouest-africaine.
Pour plus d’éclairage sur les tenants et les aboutissants de cette réforme majeure, nous avons rencontré, hier à son bureau, Cheickna Bounajim Cissé. Ce chercheur de renommée internationale est économiste et essayiste. Auteur de l’ouvrage «Fcfa, face cachée de la finance africaine», il a été récemment nominé parmi les meilleurs économistes africains de l’année 2019 par Financial Afrik. Parlant du changement de nom, l’économiste malien pense que cela répond aux préoccupations d’une partie de la jeunesse africaine en révolte contre le franc CFA, une monnaie qui rappelle le passé colonial.
L’expert souligne que la décision de libérer 50% des réserves de change (le produit des exportations faites par les États membres) est une réforme majeure. Il rappelle qu’avant la création du franc CFA, la France nous prenait d’abord jusqu’à 100%, puis 64% des réserves de change. Il salue la décision de fermer le compte sur lequel ces réserves étaient domiciliées. Pour lui, cette réforme donnera une bouffée d’oxygène à nos économies qui pourront mobiliser de l’argent sur le marché international à des taux marginaux. Par exemple, le Mali était sur le marché financier international pour emprunter 100 milliards de Fcfa. Le taux était de 7%. Si c’est une méthode linéaire, c’est 70 milliards que notre pays va rembourser sur 10 ans. Alors qu’avec les réserves de change, appelées cash collatéral, le Mali peut emprunter sur le marché international au taux nul de 0% ou à un taux négatif. « Imaginez que sur 100 milliards de Fcfa, le Mali va économiser au moins 70 milliards de Fcfa», illustre l’économiste.

GESTION DES RÉSERVES DE CHANGE- Un autre avantage est que le loyer de l’argent que nos pays empruntent sur le marché international est très élevé parce que le taux risque pays est très bas auprès des agences de notation. Or, quelque soit le niveau de dégradation du risque pays, les réserves de change peuvent garantir ce que nos pays empruntent, analyse notre interlocuteur, soulignant que les États de l’Uemoa sont, aujourd’hui, confrontés à un réel problème de financement de leur économie.
Toutefois, l’enjeu serait, prévient l’essayiste, la gestion des réserves de change. Si elles sont utilisées pour financer le déficit budgétaire en lien avec les investissements, les infrastructures, c’est toujours utile. Mais c’est contre-productif si elles sont utilisées pour financer le fonctionnement des États, alerte l’économiste. Aussi, malgré le retrait des représentants français des organes de gestion, la France continuera à garantir la nouvelle monnaie. Une décision pour le moment nécessaire mais qui incarne le statu quo. Cette décision est nécessaire, car la meilleure garantie d’une monnaie, c’est son économie. «Nos économies sont faibles, fragilisées et mêmes extraverties. Elles ne sont pas suffisamment crédibles pour garantir notre monnaie. Seule une économie forte et bien portante peut donner cette garantie», explique Cheickna Bounajim Cissé.

UN ÉCO SERA ÉGAL À UN FCFA- Les principes fondateurs de la zone franc demeurent, malgré cette réforme notoire, fait remarquer notre interlocuteur. Il évoque le maintien de la parité fixe, contrairement à l’agenda de la Cedeao qui prévoyait un régime de change flexible. Il y a aussi le maintien du cours actuel. Un Eco sera égal à un franc CFA. C’est juste le mot Eco qui va remplacer le franc CFA dans les écritures scripturales, rappelle l’économiste Cissé. Donc «Paris a réussi son pari de partir tout en restant», souffle-t-il.
Si la France quitte le statut de co-gestionnaire, elle conserve celui de garant de nos économies. À rappeler que l’émission monétaire, selon le mode de gestion actuel, ne doit pas descendre en dessous de 20% des réserves de change. Pour lui, cela conférait aux États de l’Uemoa la possibilité d’importer tout ce qu’ils voulaient sans se faire du souci par rapport au solde du compte. Puisque les réserves de change disparaissent avec la réforme, la garantie nouvelle sera l’ouverture de ligne de crédit. Par exemple, lorsqu’une banque vous accorde une garantie autonome, elle vous garantit à 100%. Ainsi, vous pouvez acheter tous les produits que vous voulez, en disposant des montants que vous voulez. Cependant, la banque peut décider de mettre fin à cette garantie de convertibilité illimitée, en mettant à disposition une ligne de crédit qui précise le montant et les conditions de rémunération de cette ligne de crédit. C’est ce que la France va faire désormais, explique l’économiste. Pour lui, cet agenda conclu entre la France et l’Uemoa va contrarier celui de la Cedeao. Car le Nigeria a précisé qu’il n’adhérerait jamais à la monnaie unique tant qu’il y aura un lien monétaire avec la France. Cette relation demeure à travers l’arrimage à l’Euro et la garantie de l’État français.
Les chefs d’État de la Cedeao ont précisé qu’ils voulaient d’un régime flexible. L’Uemoa a préféré un régime fixe, souligne M. Cissé, ajoutant que les réserves de change qui ne représentent que 3% du PIB français sont insignifiants pour Paris. Aussi, ajoute-t-il, ce que la France produit en 22 jours représente la production annuelle de tous les pays de l’Uemoa.
Pourquoi continue-t-elle alors à payer le prix fort pour maintenir son influence dans la zone ? Selon notre économiste, Paris cherche à maintenir un lien monétaire avec ses anciennes colonies. Le but premier, culturel, est la préservation de la langue française. Celle-ci est le socle sur lequel repose la culture française. Toutes les statiques, révèle-t-il, prouvent qu’en 2050, 90% des locuteurs en français seront originaires de nos pays. Sur le plan diplomatique, la France est sûre que sa voix comptera et portera sur l’échiquier international grâce au soutien acquis d’office des 15 pays de la zone franc, quelque soit sa prise de position. Un acquis unique en ce monde de chantage où chaque voix se monnaie, analyse M. Cissé.
Du point de vue géostratégique, 40% de l’approvisionnement en uranium des centrales nucléaires françaises viennent du Niger. L’uranium de nos voisins de l’est, vital, sert à produire de l’électricité pour des millions de Français, souligne l’économiste malien, rappelant que le géant nigérian n’a pas encore dit son dernier mot.

Cheick M. TRAORÉ

Source: Journal l’Essor-Mali

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