Cinq pays africains dont le Sénégal participent au sommet du G7 à Biarritz. Pour le président Macky Sall, invité en tant que président du Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique), c’est l’occasion de souligner les inégalités Nord-Sud, et de rappeler que face à l’évasion fiscale, les pays africains ont plus en commun avec les grandes démocraties libérales qu’il n’y paraît.
Pour le sommet du G7 ici à Biarritz, quelles sont vos attentes en tant que président du Sénégal, et aussi président du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). Que voudriez-vous entendre ? Et que voudriez-vous dire ?
Macky Sall : D’abord le G7. Il faut rappeler que c’est un cadre de concertation pour les pays pour les plus industrialisés, disons les sept pays les plus industrialisés. C’est donc une plateforme pour nous Africains de devoir poser les préoccupations africaines de façon à ce que nos partenaires puissent parler avec les Africains, et parler pour l’Afrique, au lieu de parler des Africains et de l’Afrique de façon générale. Donc cette approche, qui est une approche partenariale, est à saluer. Et de ce point de vue, Emmanuel Macron n’a pas été le premier à inviter des pays africains, mais la manière dont il a conduit cette invitation, c’est que nous avons été associés par nos sherpas déjà depuis plusieurs mois, sur les négociations, sur les aspects. Et nos préoccupations, je pense, seront prises en compte, notamment sur des thématiques comme la lutte contre l’évasion fiscale et la fraude fiscale qui ruinent nos pays. Et si nous voulons justement une société plus équitable, il faut absolument que les richesses paient des taxes là où elles sont produites. Or nous savons que c’est un combat de longue haleine de l’Afrique pour amener à changer la donne sur notamment aujourd’hui les facilités fiscales qui sont le fait des grandes multinationales.
À qui pensez-vous exactement ou à quelle entreprise pensez-vous exactement ?
Non. Ce sont toutes les multinationales. Car selon les domaines, ça peut être celles du pétrole, celles du gaz, des entreprises minières, mais également des télécoms. Donc, ce sont toutes les multinationales qui ont des stratégies en fait de congé fiscal et qui bénéficient très souvent de législations anciennes. Il faut amener les partenaires si vraiment les gens veulent lutter contre les inégalités à faire en sorte que les règles changent.
Vous avez parlé d’inégalité. C’est un des thèmes de ce sommet, particulièrement les inégalités Nord-Sud. À votre avis, quelle est la principale cause de ces inégalités à ce stade-ci ?
Ces inégalités ont une histoire très lointaine parce que l’Afrique a d’abord vécu des traumatismes : l’esclavage, la colonisation. Cette colonisation, même si elle a été arrêtée vers les années 1960, même 1970 pour certains pays, il a subsisté un système pour lequel les Africains sont toujours partis donc handicapés. D’abord, la détérioration des termes de l’échange, c’est-à-dire que les productions sont des productions brutes, sont des matières premières, qui sont mal cotées. Et la transformation se fait ailleurs, dans des pays développés. Ce qui fait qu’on exporte les emplois en réalité, et nous, nous achetons les produits manufacturés au prix fort. Donc il ne faut pas s’étonner que l’Afrique envoie des émigrés. Encore que le problème de la migration doit être analysé de façon objective. La plus grande migration se passe entre pays africains.
Est-ce que c’est pour échapper à ces inégalités qu’autant d’Africains risquent leur vie pour aller en Europe et même jusqu’aux États-Unis ?
Oui, on peut le dire parce qu’il y a des inégalités au sein des pays. Dans nos pays, il y a aussi des inégalités entre riches et pauvres, entre citadins et ruraux. Donc il appartient d’une part aux États africains de prendre en charge ces équilibres et de lutter contre les inégalités qui sont grandes parfois entre les campagnes et les villes.
Vous avez parlé de migration. Est-ce que sous-traiter le contrôle des frontières occidentales à certains pays africains, je pense à ce qu’a fait l’Europe avec le Soudan dans le cadre du processus de Khartoum, est-ce que pour vous, c’est une bonne idée ?
Le Sénégal n’est pas membre du processus de Khartoum. Et je me garde toujours de faire des jugements de valeur sur d’autres pays. Mais je considère que le vrai problème n’est pas là. Le vrai problème, ce n’est pas de sous-traiter aux Africains la gestion en Afrique des flux migratoires. Le problème, c’est ensemble d’avoir une vision commune que ces phénomènes migratoires ont une cause. L’une des causes, c’est l’insécurité. Il est clair qu’aujourd’hui dans le Sahel, là où les gens ne sont pas en sécurité, où ils risquent de perdre leur vie, les gens font la migration parce qu’ils veulent sauver leur vie, sauver leur famille. Il y a également la pauvreté. Cette pauvreté, comme je l’ai dit, nous devons être les premiers acteurs de lutte contre cette pauvreté, et même aller au-delà de cette lutte, mais créer de la richesse et essayer de la répartir le plus équitablement possible.
En ce qui concerne la corruption au Sénégal, quelles sont les leçons à tirer du PétroGaz Gate, le reportage qui a mis en cause votre frère ?
Alors ce que vous avez appelé le PétroGaz Gate, je ne le dirais pas ainsi. Mais cet article en tout cas, ce reportage de la BBC, a créé de l’émoi. Et sur cette base, j’ai moi-même saisi la justice pour qu’elle fasse les investigations, que ceux qui ont des évidences de corruption puissent le montrer. Donc la justice va certainement finaliser ce dossier. Mais une chose est claire, c’est que parler de 10 milliards, un scandale de 10 milliards, déjà c’est une aberration. Je dirais que c’est à la justice, à la justice seule d’enquêter s’il y a eu tentative de corruption ou pas.
En ce qui concerne la décrispation politique au Sénégal, la presse rapporte que vous avez envisagé de gracier Khalifa Sall, l’ancien maire de Dakar, à l’occasion de la Tabaski. Qu’en est-il exactement ?
D’abord, la décrispation ne saurait être réduite à une dimension de grâce. La grâce est un pouvoir constitutionnel du président de la République. Ça ne dépend que de lui, et de lui tout seul, et de son appréciation. Donc je ne peux pas discuter de ce que dit la presse par rapport à la grâce. Le jour où j’en aurai la volonté ou le désir, je le ferai comme j’ai eu à le faire. Annuellement, plus de cent personnes, voire un millier de personnes par an en moyenne bénéficient de la grâce. Justement, nous voulons revoir notre système pénal pour réduire le nombre de personnes en prison dans ce cadre-là.
L’ancien président Yahya Jammeh, votre voisin en Gambie, jouit d’une immunité en Guinée équatoriale où il vit en exil depuis sa fuite de Malabo. Est-ce qu’il faut s’y résigner ?
Je suis un voisin de la Gambie qui est un État indépendant et souverain. Je me garderai de faire des appréciations sur un ancien président de la Gambie qui est en exil. Il appartient aux Gambiens d’apprécier ce qu’il convient de faire.
Il appartient aux Gambiens de le juger et non pas à un tribunal africain ou un tribunal international ?
Les tribunaux internationaux ne peuvent agir que si les juridictions nationales ne sont pas en mesure de le faire. C’est par substitution. Mais a priori, on ne peut pas comme ça décider parce que ce sont des pays africains ou de petits pays qu’il faut saisir des juridictions internationales.
Propos recueillis par Michel Arseneault
RFI