Monsieur le Secrétaire Général, Présentez à nos lecteurs l’organisation dont vous êtes le premier responsable.
Il faut d’abord préciser que l’ancienne Association des Producteurs de Pétrole Africains (APPA), aujourd’hui APPO est une organisation intergouvernementale africaine créée le 27 Janvier 1987 à Lagos au Nigeria, pour servir de plateforme de coopération et d’harmonisation des efforts, de collaboration, de partage des connaissances et de compétences entre les pays africains producteurs de pétrole. Son siège statutaire est Brazzaville au Congo. Forte de 18 Pays Membres, elle représente près de 99% de la production de pétrole en Afrique et pèse pour au moins 13% de la production mondiale.
Une de ses importantes missions est la promotion des initiatives communes (projets, infrastructures) en matière de politiques et de stratégies de gestion sur toute la chaîne de valeur de l’industrie pétrolière, pour ainsi permettre à ses Pays Membres, de tirer meilleurs profits des activités de cette ressource non renouvelable. Après plus d’un quart de siècle d’existence, il a été reconnu que malgré quelques avancées, l’organisation ne répondait pas aux attentes des Pays Membres et pire, elle s’était inscrite dans une fatale médiocrité et un total anonymat. Les observateurs se demandaient sans cesse à quoi elle servait.
La longue léthargie dans laquelle elle végétait depuis des années a aussi eu pour conséquences un très faible niveau, voire une absence totale de coopération entre les Pays Membres dans le secteur pétrolier, un manque de maîtrise des activités sur toute la chaîne de valeurs de l’industrie pétrolière en Afrique ; ce qui entre autres n’a pas permis d’asseoir une expertise africaine pointue et confirmée, un manque total de visibilité de l’Association aux plans national, régional et international et une absence très remarquée dans les grands centres de décisions internationaux.
L’organisation qui louvoyait à vue, dans l’ignorance totale du contexte pétrolier mondial, avait besoin d’être recadrée sur l’échiquier énergétique et pétrolier mondial afin de répondre aux défis de l’heure. Comme mesures de sauvetage, le Conseil des Ministres a souhaité sa profonde réforme. Ainsi, dès notre prise de fonction, nous nous sommes engagés dans cette réforme. Après de nombreuses réunions du Comité des Experts et du Conseil des Ministres, le projet de cette réforme a été adopté à Luanda en Angola en Janvier 2018.
Dans les résolutions qui ont été adoptées, il faut noter entre autres les nouvelles vision et mission, les nouveaux objectifs stratégiques de l’Organisation, ses principes directeurs et ses valeurs, la structure générale et un nouvel organigramme, les chartes de mission des instances et organes de l’Organisation et le transfert temporaire des activités de l’organisation à Abuja au Nigéria durant la période de mise en œuvre des recommandations sur la réforme. L’on a procédé aussi au changement de dénomination de l’APPA qui s’appellera désormais ”African Petroleum Producers’ Organization” (APPO). Il a été retenu également l’institution d’un Sommet des Chefs d’Etat des pays membres de l’Organisation dès qu’il est de besoin.
Les activités de l’APPO sont provisoirement transférées à Abuja au Nigéria. Pourquoi une telle décision ?
Il y a lieu de préciser que ce sont les activités de l’organisation qui vont être délocalisées vers Abuja pendant la période de transition ; le siège statutaire demeure encore à Brazzaville. Le Conseil des ministres a pris cette décision de transfèrement pour des raisons techniques et stratégiques. Notre objectif premier est de voir l’APPO s’arrimer aux grandes orientations pétrolières et énergétiques mondiales énoncées par les Nations Unies (avec l’Initiative SE4All), le Conseil Mondial du Pétrole, le Conseil Mondial de l’Energie (avec la résolution du Trilemme Energétique), l’Union Africaine (avec la Vision Minière de l’Afrique), la Banque Africaine de Développement (avec le “New Deal” pour l’Energie en Afrique), le NEPAD, etc….
Elle doit avoir un positionnement stratégique dans les secteurs énergétique, pétrolier et gazier en Afrique et promouvoir ses activités à l’instar des autres institutions similaires, comme l’OPEP, le GECF, le FIE, etc….La base fondamentale pour réussir ce pari demeure bien évidemment la volonté politique des dirigeants africains et un véritable changement de mentalité de certains animateurs de l’organisation. Les méthodes de gouvernance et de management du Secrétariat telles qu’elles ont été depuis la création de l’APPA, sont obsolètes et n’ont d’ailleurs jamais été efficaces.
Nous avons besoin d’un nouveau départ, et aujourd’hui le Nigéria, au vu de sa position sur l’échiquier pétrolier africain et mondial, son leadership et pour diverses autres raisons, offre mieux l’encadrement technique, financier, politique et diplomatique pour bien accompagner cette réforme. Depuis son déménagement à Abuja il y a quelques mois, l’organisation bénéficie de l’attention toute particulière des plus hautes autorités du Nigeria et je pense qu’à l’issu de cette période transitoire qui va consacrer une mutation totale de l’institution, nous allons enfin jeter les bases d’une nouvelle organisation….la nouvelle fierté de l’Afrique. C’est vous dire donc que la machine de la réforme est en pleine marche et notre objectif est de faire de cette organisation l’une des plus importantes et puissantes à l’échelle continentale. Nous sommes sur cette voie et nous y arriverons incha Allah.
Quelle place peut-on accorder aujourd’hui et demain à l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO) en Afrique et peut être même dans le monde ?
La géopolitique énergétique et pétrolière mondiale est en constante évolution et il nous faut recadrer notre organisation dans ce nouveau contexte. L’Afrique doit trouver un nouveau paradigme pour générer de véritables retombées pour l’interface de développement des hydrocarbures d’une part et pour le développement durable d’autre part. L’APPO pourrait devenir le point d’appui pour faire de ce nouveau paradigme une réalité.
Avec son potentiel (l’un des plus importants du monde) et un meilleur cadre de coopération et d’intégration, l’Afrique peut valablement s’aligner avec les puissances pétrolières d’aujourd’hui ; avoir ainsi son mot à dire sur l’échiquier pétrolier et énergétique mondial et l’APPO d’être un partenaire de taille des grandes institutions énergétique et pétrolière mondiales. Cette unité et ces ambitions pour l’Afrique qui jadis nous faisaient défaut ; peuvent bel et bien être aujourd’hui une réalité, et notre organisation qui a besoin d’une attention toute particulière des plus hautes autorités de nos pays, se trouve être l’instrument idéal pour relever ce défi.
L’APPO peut être un instrument de sécurité et de lutte contre les pauvretés énergétique et économique. Les perspectives prometteuses sont là et je pense qu’après le défi de la sécurité physique, celui de la sécurité alimentaire, c’est le défi de la sécurité énergétique qui doit être la préoccupation de nos gouvernements. Aussi, le pétrole est un secteur hautement sensible qui commande des approches stratégiques coordonnées et extrêmement pointues.
Pris isolément, les pays africains sont incapables de se battre contre le capital pétrolier international. Il nous faut donc un cadre doté d’un vrai dispositif d’intelligence économique et stratégique…c’est le rôle qu’entend jouer notre organisation. En cela, j’estime que l’APPO doit dans les années à venir, être l’une des organisations sur laquelle l’Afrique peut compter.
Quel est l’avenir de l’industrie pétrolière en Afrique ?
Quand vous faites un survol de la géographie pétrolière du monde, l’on se rend compte que certaines régions (Amérique du Nord, pays du Proche et Moyen-Orient, Mer du Nord,…) jadis pionnières de la production pétrolière sont aujourd’hui soit dans la phase de déplétion, soit dans celle de l’exploitation des hydrocarbures dits non-conventionnels (gaz et pétrole de schiste,…).
En Afrique par contre, ce sont donc à peine quatre (4) pays qui ont commencé une modeste exploitation dans les années 60. Aujourd’hui, environ 20 pays sont identifiés comme producteurs de pétrole (les 18 pays membres de l’APPO, le Soudan du Sud et la Tunisie) et une trentaine d’autres mènent des opérations de prospection et de recherche. Des bassins offshore et onshore, tant au large de l’Afrique de l’Est, de la partie africaine de l’océan indien, de l’Afrique de l’Ouest, que des pays de l’hinterland sont peu explorés et pré¬sentent de très bonnes perspectives (ils sont situés pour l’essentiel en Tunisie, Maroc, Mozambique, Kenya, Ouganda, Tanzanie, Sénégal, Sao-Tomé et Principe, Niger, Mali, Madagascar, Comores,…).
Le continent dispose de plus de 13% de réserves mondiales d’hydrocarbures (même si les statistiques occidentales tendent à sous-estimer et dévaloriser le potentiel du continent noir), et mieux, ces 15 dernières années, 1/3 des découvertes de pétrole dans le monde l’ont été en Afrique. La sous-estimation par certaines institutions et multinationales pétrolières des réserves et du potentiel en hydrocarbures de l’Afrique dénote d’une plaisanterie proprement néo coloniale !
Et pourtant, il n’y a l’ombre d’aucun doute que le potentiel pétrolier et gazier africain peut rivaliser aujourd’hui avec celui de n’importe quelle autre région du monde. Cela m’amène d’ailleurs à affirmer que si l’Afrique devait être considérée comme un seul producteur, il est certain que notre continent défiera l’Arabie Saoudite, la Russie et les États-Unis. Il faut pour ce faire, mettre fin à la désunion et à l’hyper balkanisation qui caractérisent l’Afrique d’aujourd’hui et promouvoir davantage son intégration. Quoi qu’il en soit, le potentiel est là et dans les années à venir, croyez-moi, l’Afrique réservera de très grandes surprises dans le secteur des hydrocarbures.
L’Afrique, peut-elle se développer avec ses ressources pétrolières ?
Ces dernières décennies, l’Afrique a été au cœur de toutes sortes de débats, tant sur la misère dans laquelle végète ses populations que sur ses immenses potentialités et ses inégalables richesses naturelles qui pouvaient rapporter plus de 30 milliards de dollars de recettes par an au cours des 20 prochaines années. Rien que pour les réserves en pétrole des pays africains, certaines statistiques les évaluent à une centaine de milliards de barils, soit autant que l’Arabie Saoudite. De façon générale, il est reconnu de tous que le sous-sol africain regorge d’abondantes ressources énergétiques fossiles (pétrole, gaz, charbon, uranium,…) et celles d’origines renouvelables (hydraulique, solaire, éolienne, biomasse, géothermie…).
Par ailleurs, l’Afrique est aujourd’hui peuplée de près d’un milliard d’habitants constitué à 60% de jeunes, pendant que l’Europe, l’Amérique et l’Asie sont de plus en plus ”vieillissants”. Si avec toutes ces richesses l’Afrique n’arrive pas à décoller, je ne suis pas sûr que les ressources pétrolières en soient les seules responsables ou qu’elles puissent dans la situation socio-économique actuelle relever les défis du sous-développement. Les causes du retard de l’Afrique sont plus ailleurs que dans le pétrole. Certes l’existence des ressources extractives ne manque jamais de soulever de controverse et l’utilisation de clichés négatifs à l’endroit de l’Afrique. Vous entendez çà et là (et très souvent à raison), des superlatifs genres “paradoxe de l’abondance”, ”malédiction des ressources naturelles”, “scandale géologique”, etc. Reconnaissons que nous avons quelque part prêté le flanc pour y être traité de la sorte !
Si la perspective de revenus gigantesques issus de nos ressources naturelles peut sembler enivrante, elle pose aussi l’enjeu de la gouvernance dans ce secteur, un élément crucial du fait que presque tous nos pays, même dotés d’abondantes ressources extractives et énergétiques, n’ont pas encore emprunté, loin s’en faut, la route du développement. Jamais le secteur primaire et les ressources humaines n’ont été considérés en Afrique comme les leviers fondamentaux d’un véritable développement durable. C’est en cela justement que ceux qui qualifient notre situation de “paradoxe de l’abondance” n’ont pas tout à fait tort. Toutefois, une approche macro-économique a montré que la récente baisse des prix du pétrole a eu des effets récessifs dans presque tous les pays africains exportateurs nets d’hydrocarbures (chute des devises, forte baisse des recettes fiscales, ralentissement des investissements et des projets de diversification, ré-endettement, ajustement du budget élaboré sur un prix deux fois supérieur) et des effets expansionnistes plus modérés dans les autres pays importateurs nets.
Seuls quelques rares pays ont saisi l’occasion pour appuyer leur croissance sur une économie un peu plus diversifiée ; sinon en majorité ils n’ont pas été capables de se démarquer de la trop forte dépendance de la rente pétrolière ; ce qui leur a fait subir le triste sort du “syndrome hollandais”. Ajouté à tout ceci, l’absence d’infrastructures de base, la pénurie d’une main-d’œuvre qualifiée, la mauvaise gouvernance, une corruption chronique et endémique, etc… nous avons en face le plus grand péril ; celui du non-développement, pour ne pas dire ”refus de développement”. Si les pays africains producteurs ont souffert et souffrent encore de la baisse des cours de pétrole, c’est parce qu’ils ont toujours vécu une dépendance maladive vis-à-vis de la mono production pétrolière et leurs économies encore trop peu ou pas diversifiées.
Pourtant, très souvent évoquée comme solution pour accroitre leur résilience, la diversification de l’économie et des sources de recettes budgétaires peine à être mise en œuvre. Cependant, tous les discours politiques de ces dernières années tournent autour de la diversification des économies. Avec, nous l’espérons bien, une remontée à terme des cours de pétrole, nous risquerons fort malheureusement d’assister encore à un autre report de la politique de diversification économique tant prônée (jusqu’à la prochaine crise certainement !)….ou ne se le rappeler qu’à l’occasion des prochaines campagnes électorales. L’Histoire se répète et continuera à se répéter ; mais l’Homme ne tire jamais de leçons de moments difficiles. Comme le disait Sénèque, ”La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie”.
Propos recueillis par Assane Soumana(onep)