Les élections présidentielles de juillet dernier ont été marquées par des événements complexes, dont une série de contestations à la fois des décisions politiques du pouvoir sortant et des décisions judiciaires relatives à des dénonciations de fraudes qui auraient été commises. Ces contestations, lourdes de conséquences, aussi bien sur le plan politique que social, laissent présager une crise postélectorale.
Si les divers faits, hypothétiquement admis, peuvent être contestables dans une démocratie pluraliste, l’application du droit, quelque soient les arguments avancés, semble impossible. Elle aboutirait, compte de la situation inextricable qui prévaut, à remettre en cause la voix d’une fraction du peuple et la légitimité des plus hautes institutions de la République. Ne pas appliquer le droit aboutirait au même résultat. Aussi, l’opposition dans sa dynamique de contestation, s’est-elle embourbée dans une voie sans issue ? Pour sortir de là, il lui faut convaincre la Cour suprême, relativement à la possibilité d’obtenir la condamnation des conseillers de la Cour constitutionnelle, que l’application stricte du droit est conforme à l’intérêt suprême de la nation. La chose ne sera pas aisée car une série de questions cruciales complexifie à l’extrême le contentieux ouvert.
Imbroglio juridique
Ce contentieux est sans issue en raison de l’imbroglio juridique qui le caractérise. Et les marches de protestation ne sont pas d’une grande efficacité. Il conviendrait de trouver un palliatif au problème que pose le vide juridique relatif à la détermination de l’autorité compétente pour constater la récusation des neuf membres de la Cour constitutionnelle. Si en effet, l’un d’eux s’est rendu coupable de forfaiture (tel que visé à l’article 155 du Code de procédures pénales) et que les autres l’ont couvert par leur silence, alors tous sont complices.
Une telle situation exceptionnelle, en cette période de crise politique, pourrait exiger, en outre, que l’on résolve le problème du remplacement des conseillers récusés. Faut-il appliquer les règles de nomination initialement prévues (article 91 Constitution), à savoir 3 conseillers nommés par le président de la République, 3 par le président de l’Assemblée Nationale, 3 par le Conseil Supérieur de la Magistrature ? Si oui, quid de la légitimité de cette nouvelle Cour, puisqu’elle aura été constituée, en partie, par un président dont la légitimité est contestée parce que proclamée par un organe juridiquement incompétent ?
La reconstitution de la Cour constitutionnelle sera inévitable dans la mesure où la Constitution ne prévoit guère d’autorité de substitution en cas de destitution de tous ses membres. Là encore, le vide juridique nous laisse pessimiste quant à l’existence d’une solution satisfaisante.
Par ailleurs, comment la Cour Suprême va-t-elle justifier la remise en cause de la légitimité d’une autorité dont elle a, elle-même, cautionné l’investiture en recevant le serment publiquement ? En désavouant cette investiture suite à la plainte de l’opposition, ne va-t-elle pas se contredire ? A mon sens, il y aurait une contradiction entre ses faits et dires. Elle risque donc de porter un coup terrible à sa propre crédibilité. Enfin, un dernier point de discussion me perturbe assez. Il mériterait d’être éclairci par nos experts en droit constitutionnel. Il s’agirait de préciser la base légale qui permettrait de faire citer un membre de la Cour Constitutionnelle devant la Cour Suprême. Oui, la question m’a traversé l’esprit. D’une part parce que la Constitution (article 94) dispose clairement que les décisions de la Cour Constitutionnelle « s’imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » et sont insusceptibles de recours. Dans ces conditions, un recours devant la Cour Suprême dont le but inavoué est de remettre en cause la proclamation des résultats, n’est-il pas de nature à violer la règle posée à l’article 94 de la Constitution ?
Il est vrai que le caractère pénal des accusations portées pourrait expliquer la saisine de la Cour Suprême mais encore faut-il qu’un texte spécial y soit favorable. Or (d’autre part), l’article 7 de la loi organique du 11 février 1997 (régissant le fonctionnement de la Cour Constitutionnelle) précise que « sauf en cas de flagrant délit, les membres de la Cour ne peuvent être poursuivis, arrêtés, jugés ou détenus qu’après avis de la Cour ». Ce texte semble faire de la Cour Constitutionnelle une institution « supra legem ». En tout cas, il est certain que l’action portée devant la Cour Suprême, si elle n’a pas été soumise à l’avis de la Cour Constitutionnelle, n’est pas conforme aux règles de procédure. Il y aurait donc une fin de non-recevoir. Si la Cour a effectivement été sollicitée pour avis, peu importe qu’il soit favorable ou non, l’action est recevable puisque l’article 7 de la Constitution n’exige pas un avis conforme.
Pourtant le doute est permis. En effet, l’article 13 de la loi organique précise qu’il « ne peut être mis fin, à titre temporaire ou définitif aux fonctions de membre de la Cour Constitutionnelle que dans les conditions et formes prévues pour leur nomination et après avis conforme de la Cour statuant à la majorité des 2/3 de ses membres ». Ce texte, parce qu’il ne précise pas qu’il excepte les cas de poursuites pénales, prête à confusion. Là encore, nos éminents constitutionnalistes pourraient nous éclairer.
Mais de toute façon, la recevabilité de l’action ne préjuge en rien ses chances de succès.
Les alternatives envisageables pour l’opposition
Les chances de succès de son action en justice étant sérieusement compromises, l’opposition doit se concentrer sur les élections législatives. Elle pourrait prendre sa revanche en ayant la majorité au parlement afin de contrôler l’action du gouvernement. Mais la démocratie n’y gagnerait que si ce contrôle est fait dans l’intérêt de la nation. L’opposition doit faire un choix crucial. Soit, elle va aux législatives et reconnaît implicitement la légitimité du pouvoir qui a organisé les élections. En effet, comment pourrait-elle participer aux élections organisées par un pouvoir dont elle ne reconnaît ni l’autorité ni les actes ? Soit elle boycotte les législatives et continue de contester la légitimité du pouvoir investi et celle de ses décisions. Cela aboutirait à une crise postélectorale que nul ne désire. Sachant que l’opposition n’a pas les moyens d’y faire face, parce que désunie par le conflit d’intérêts, elle a le devoir patriotique de prendre la main qu’on lui a tendue afin d’éviter les crises inutiles.
En propos conclusifs, on peut dire que parce que l’opposition malienne n’a pas su faire front unique, comme elle l’avait annoncé « tout sauf IBK », qu’elle n’a pas su anticiper les situations qu’elle dénonce. C’est pourquoi, elle se retrouve embourbée dans un contentieux électoral sans issue. Si elle s’était montrée plus unie et plus soucieuse de l’intérêt de la nation, David aurait terrassé Goliath. Mais le slogan « tout sauf IBK » était le signe d’une union de façade qui ne pouvait résister aux démons intérieurs que les ambitions personnelles démesurées nourrissaient.
Dès lors si l’action de l’opposition devait aboutir, au nom d’une démocratie déjà sacrifiée, il s’en suivra une déstabilisation de toutes nos institutions et une fragilisation de la paix sociale. Mais le droit serait dit au moins, car en dépit de tout, juridiquement l’action de l’opposition semble difficilement discutable et devrait être encouragée (en temps normal) parce qu’elle s’inscrit dans une logique de « démocratisation de nos institutions ».
Dr Dougoune
Moussa Chargée de Cours FDPRI
Auteur du Manuel Droit des Affaires en zone Ohada
Auteur de l’ouvrage intitulé « les origines du mal : le trépas de l’Etat de droit et l’échec de la démocratie »
Source: Le Challenger