Dans la bande sahélo-saharienne, les groupes armés “se jouent des frontières et jouent avec elles” pour échapper aux forces de sécurité nationales, explique à l’AFP le commandant de Barkhane, le général Jean-Pierre Palasset, basé avec son état-major à N’Djamena.
D’où la mise en place de ce dispositif inédit avec la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad qui couvre plus de cinq millions de km2 – soit neuf fois la superficie de la France – dans un environnement particulièrement hostile: climat désertique, peu ou pas de routes.
Créée en août avec un effectif de 3.000 hommes pour prendre le relais de l’opération Serval menée au Mali afin d’arrêter l’expansion des groupes jihadistes, Barkhane s’emploie désormais à étendre son emprise vers le nord du Niger et du Tchad, au plus près de la Libye, “sanctuaire” de tous ces groupes, selon l’expression des militaires français. C’est dans le Sud libyen qu’ils recrutent, se ravitaillent en armes et se mettent à l’abri si besoin, selon les militaires.
Pour les repérer sur les pistes qui vont du Sud libyen au massif de Ifoghas, dans le nord du Mali, avions de combat et drones français décollent quasi-quotidiennement des bases de N’Djamena et Niamey, avec une attention particulière pour les points d’eau, rares dans le désert. Sans point d’eau, point de salut.
Au sol, les soldats français attaquent des convois ou des campements, comme le 29 octobre dans le nord du Mali où un militaire français a été tué lors de combats. Routes du jihad, mais aussi routes de tous les trafics – armes, drogue, etc. – qui s’épanouissent dans les zones transfrontalières.
Dans la région, “il y a de multiples zones tri-frontières”, relève le général Palasset. Algérie-Mali-Niger, Algérie-Libye-Niger, Tchad-Libye-Niger… Dans ces zones, même s’ils sont localisés, les groupes armés pouvaient et peuvent toujours dans des régions non-couvertes par Barkhane se mettre à l’abri en passant dans un pays voisin.
C’est pour cette raison que l’armée française souhaite promouvoir dans le Sahel une “logique de droit de poursuite” entre Etats, comme cela existe par exemple entre le Tchad et le Soudan. Mais c’est une action de longue haleine: il faut aplanir les réticences des gouvernements à autoriser des armées voisines à pénétrer sur leur territoire.
Aussi Barkhane est-elle amenée à s’installer dans la durée. D’autant qu’il faut aussi former des troupes aguerries dans certains pays de la région. La déroute de l’armée malienne en mai à Kidal a démontré que c’était encore loin d’être le cas.
L’Algérie, grande absente
Et dans le dispositif, il y a une grande absente, l’Algérie, berceau du jihadisme africain dans les années 1990, qui de transformation en transformation a donné naissance à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et à un groupe comme celui de Belmokhtar.
Legs de l’histoire coloniale française et de la guerre d’indépendance, Alger reste rétif à une véritable coopération militaire avec Paris, même s’il y a de timides signes d’ouverture, comme la livraison de carburant aux forces internationales.
Pourtant, historiquement, mais aussi géographiquement, l’Algérie est l’une des clés de la lutte contre les jihadistes dans le Sahel: elle a des frontières communes avec la Mauritanie, le Mali, le Niger et la Libye.
Depuis des mois, Paris milite pour une action en Libye contre les groupes jihadistes installés dans le sud. “Nous devons agir en Libye et mobiliser la communauté internationale”, réclamait début septembre le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian.
Mais sur ce point encore, Alger a une toute autre analyse. “Notre vision est claire sur cette affaire, nous n’acceptons pas d’interventions étrangères à nos frontières”, avait auparavant rappelé le Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal.