De l’Islam du meilleur à l’Islam du pire, notre religion est au cœur de bien des débats et les discussions, autour de la définition que chacun lui donne ou reconnaît, qui sont loin d’être univoques ou convergentes. Mais c’est quoi en fait l’Islam pour l’Islam ? En d’autres termes comment le Coran définit et réglemente notre religion ?
En effet, pour notre ignorance, la question première est bien de s’interroger quant à ce que le Coran entend lui-même par le terme-clef islâm. Pour ce faire, nous examinerons dans un premier temps les diverses significations du mot islâm dans le Coran. Cette étude nous amènera à distinguer l’Islam-relation selon le Coran, démarche spirituelle que l’on doit différencier de l’Islam en tant que religion, c’est-à-dire l’Islam-religion.
Il est ainsi possible de prendre la mesure de la portée réelle du Message coranique tout entier exprimé par le concept d’Islam-relation et, ce faisant, d’appréhender la nature religieuse du propos de l’Islam-religion. Pour autant, il ne s’agit pas d’opposer l’Islam-relation coranique à l’Islam-religion islamique, mais de mieux discerner les convergences et les divergences entre Le Coran et l’Islam et, ainsi, d’harmoniser notre Islamité, c’est-à-dire notre rapport à l’Islam au nom et par le Coran.
1– Que faut-il entendre par islâm
Le terme « islâm » est le nom d’action de la forme verbale « aslama » et, afin de saisir les différentes variations de ce terme, il est donc nécessaire d’étudier les significations de ce verbe. Si l’on se réfère aux dictionnaires de la langue arabe, trois séries de sens pour aslama peuvent être dégagées :
– La première est conforme à l’étymologie. Le verbe aslama est la forme dérivée de la racine arabe salama et cette racine est commune aux langues sémitiques avec le sens de être sain, préservé, sain et sauf. Nous retrouvons cela dans le Coran lors de l’emploi, à une reprise, de son participe actif « sâlimûn ». Ce verset décrit la situation des dénégateurs/kâfirûn au Jour du Jugement : « le regard bas, cernés par l’humiliation, alors qu’ils ont été appelés à se prosterner lorsqu’ils étaient encore sains et saufs/sâlimûn. » (Sourate 68, Verset 43)
Cas de figure inverse avec l’adjectif salîm au sujet de la situation des croyants sincères au Jour Dernier, c’est Abraham qui s’exprime : « Sauf à celui qui se présente à Dieu avec un cœur sain/salîm. (S26.V89)
La forme aslama, factitive et causative, signifierait donc donc conserver en bon état, se préserver de, se garder sain et sauf, se mettre en sécurité et, par extension : livrer ou remettre quelqu’un à son ennemi et aussi se livrer ou se remettre soi-même entre les mains du vainqueur. C’est accepter en quelque sorte un état de sujétion salutaire, une capitulation de soi en vue de sécurisation, un renoncement à titre de rachat, situation éminemment d’ordre politique et/ou militaire.
Dans ce sens le terme islâm a donc pour significations : préservation de soi, sujétion, capitulation, remise de soi, et c’est ainsi que les Arabes le comprenaient au temps de la révélation. Comme on le voit, il n’y a rien ici qui n’ait un rapport avec l’Islam en tant que religion, l’Islam-religion, et, au demeurant, cette situation est logique en un temps précédent cette religion.
– Le deuxième sens correspond à un emploi néologique coranique. En effet, une locution coranique toute particulière doit retenir notre attention, nous la retrouvons à trois reprises sous la forme aslama wajha-hu li-llâh en S2.V112, S4.V125, S31.22 et sous la forme aslamtu wajhî li-llâhi en S3.V20.
Sur ce segment, la locution wajhu-llâhi suppose nécessairement un glissement conceptuel comme l’illustre l’énoncé coranique suivant : « …il n’est de dieu que Lui, toute chose disparaîtra sauf Sa Face/wajh…» (S28.V88) Ainsi, en wajhî li-llâhi le mot Face/wajh se comprend a minima comme désignant l’Être ou l’Essence divine. Il en découle que dans les locutions aslama wajha-hu li-llâh ou aslamtu wajhî li-llâhi le mot wajh/face qualifie nécessairement l’être/wajh de l’Homme.
En effet, pour les Arabes, wajh désignait le « visage », la « face » et, par métonymie, la « dignité » ou la « qualité éminente » d’un individu. À partir de là, Le Coran l’emploie selon un abord néologique plus conceptuel pour qualifier l’« être » au sens philosophique et spirituel du terme. Rappelons que cette notion n’était certainement pas connue en arabe pré-coranique, langue concrète. Cependant, nous noterons que cette démarche linguistique innovante du Coran s’appuie sur une signification connue et pouvait de ce fait être malgré tout comprise de ses allocutaires.
Aussi, le verbe aslama/aslamtu indique-t-il obligatoirement pour l’homme un rapport particulier à Dieu qui, en ces conditions hautement théologiques et conformément aux significations de sens alors connues de aslama précédemment rappelées, ne peut que signifier se livrer à, se remettre à, s’assujettir, d’où pour aslamtu wajhî li-llâhi les traductions possibles : j’ai livré mon être à Dieu, j’ai livré mon être à Dieu, j’ai remis entièrement mon être à Dieu. Contrairement à l’idée courante, rien ici qui ne relève de la soumission, car, dans ce cas, il nous faudrait admettre que ladite soumission relève d’un mouvement volontaire supposant de l’un abaissement, voire humiliation et, de l’Autre, domination. De plus, un rapport de dépendance Homme/Dieu ne peut se concevoir s’agissant de l’ être [wajh] de l’Homme qui par définition est une entité indépendante formellement différente de l’entité divine.
Ajoutons à cela que selon la théologie musulmane, l’Être [wajh] de Dieu est ontologiquement inconnaissable et inaccessible, ce qui logiquement interdit en soi toute réalité à un rapport de dépendance ou de soumission de l’Homme à Dieu. Au final, si l’on comprend la démarche spirituelle que représente la pleine remise de soi à Dieu, il est plus juste encore de traduire la locution aslamtu wajhî li-llâhi par : « j’ai abandonné pleinement mon être à Dieu », S3.V20.
Dans ce cas, le terme islâm signifie abandon de soi, de son être, à Dieu. Nous constatons donc que la locution coranique aslamtu wajhî li-llâhi/j’ai abandonné pleinement mon être à Dieu qualifie parfaitement la démarche caractérisant al-islâm en tant que relation à Dieu : l’Islam-relation. Pour la deuxième fois, nous constatons donc que le verbe aslama selon le Coran est sans rapport avec l’Islam en tant que religion.
– La troisième série de sens est bien connue, le verbe aslama signifierait : être ou se faire musulman, d’où en français : se convertir à l’Islam, et ceci est vrai dans l’usage et dans les dictionnaires de la langue arabe. Or, du point de vue étymologique, nous avons vu que, d’une part, aslama signifiait la sujétion politico-militaire et, d’autre part, une démarche spirituelle, et ces deux champs lexicaux ne sont pas d’ordre religieux. De plus, valider un tel sens pour aslama impliquerait que le mot islâm désignât une religion et que ce fut ce nom qui aurait influencé le sens du verbe à partir duquel il est construit. Or ce cas de figure n’est pas admissible du point de vue linguistique.
En fait, l’étude exhaustive de l’emploi coranique du terme islâm confirmera logiquement qu’entendre aslama comme signifiant se faire musulman, c’est-à-dire être adepte de l’Islam, n’est qu’une construction post-coranique liée à l’élaboration de la religion dite Islam, c’est-à-dire l’Islam-religion. Ce concept particulier a donc été inscrit rétroactivement dans les lexiques de la langue arabe et le terme islâm est ainsi devenu le nom de ladite religion : l’Islam.
– Quelques précisions terminologiques s’imposent encore. En effet, nous aurons montré que tant l’approche étymologique de aslama que son emploi néologique par le Coran ne permettent de lui donner le sens de se soumettre et, conséquemment, islâm ne peut signifier soumission.
En effet, s’assujettir politiquement n’est pas se soumettre aux hommes, pas plus que la démarche d’abandon de soi à Dieu n’est s’y soumettre. En réalité, les significations se soumettre pour aslama et soumission pour islâm ont été développées par les théologiens dans le sens de « se soumettre à la religion ». L’idée voulue est que si l’Islam est la religion de Dieu, alors s’y soumettre revient à se soumettre à Dieu.
Encadré
C’est logiquement que les oulémas ont été amenés à définir l’islam comme la « soumission à la religion », c’est-à-dire à sa pratique cultuelle, l’obéissance aussi sincère qu’inconditionnelle à la législation religieuse ou sharia.
En effet, nous constatons que les dictionnaires arabes glosent le terme islâm par les mots khudhûᶜu/humilité, soumission ; inqiyâd/docilité, obéissance ; iqrâr/adhésion formelle. Ces significations ne découlent manifestement pas de l’étymologie radicale du mot islâm, mais bien des commentaires théologico-canoniques relatifs à la relation du musulman à l’Islam compris en tant que religion. Or, il est patent qu’en ce type d’approche, l’Islam est directement assimilé à la sharîᶜa, à l’aspect formel de la religion.
À contrario, l’on ne peut en déduire que l’islâm ne serait pas d’une quelconque manière une forme de soumission à Dieu, mais, stricto sensu, une soumission à la religion et que, paradoxalement, l’Islam serait alors une soumission à lui-même ! C’est pourtant à partir de ces redéfinitions post-coraniques du mot islâm que les traductions en langues indo-européennes ont validé les sens de « soumission, religion de la soumission, religion de la résignation », autant de formules qui expriment tout autant la prégnance orientaliste du fatum mahometanum que la simple duplication de l’approche musulmane puisque celle-ci ne comporte pas la notion de soumission à Dieu, mais d’acceptation inconditionnelle de l’Islam en tant que religion. Pour autant, au contact de la compréhension fournie par la pensée occidentale, les musulmans ont modifié eux-mêmes leur perception du terme Islam et comprennent à l’heure actuelle l’islam en tant que soumission à Dieu, glissement de sens théologique majeur dû en partie donc à des circonstances historico-culturelles.
Enfin, signalons qu’il est aussi incorrect de traduire islâm par paix, puisque nous avons pu constater que le verbe aslama dont il est tiré ne connotait pas cette notion. Ceci n’est donc possible qu’au prix d’un glissement interprétatif qui supposerait que le fait de se livrer à Dieu apporte la paix trouvée en Dieu, la pacification de l’âme, hypothèse malgré tout linguistiquement irrecevable.
En synthèse : trois séries de sens pour le terme-clef islâm peuvent être distinguées :
– Conformément à l’usage courant et étymologique de aslama, le terme islâm signifie préservation de soi, sécurisation, sûreté, protection et aussi sujétion, capitulation, remise de soi, significations connues des Arabes avant l’Islam.
– En fonction de l’emploi néologique de aslama propre au Coran, le terme islâm a une connotation spirituelle et signifie abandon de soi, de son être, à Dieu.
– Selon l’usage post-coranique spécifique à l’élaboration de l’Islam-religion, le terme islâm devient de manière construite le nom de ladite religion : l’Islam.
Que retenir ?
Le Coran n’emploie logiquement le terme islâm que selon les deux premières significations ci-dessus mentionnées.
2– Le terme islâm dans le Coran
De manière remarquable, le terme islâm ne connaît que 8 occurrences coraniques : S6.V125 ; S39.V22 ; S3.V19 ; S3.V85 ; S5.V3 ; S61.V7 ; S49.V17 ; S9.V74. Cette faible représentation pose donc problème si l’on devait considérer que le Coran est le fondateur de la religion éponyme : l’Islam. Étant donné que l’Analyse littérale de ces huit versets serait bien trop longue pour le format d’un article de presse, faisons juste un résumé de l’état de la question.
– Sourate 49.Verset 17 : « ils revendiquent comme une faveur de s’être assujettis/aslamû à toi. Réponds, ne considérez point comme une faveur à mon égard votre sujétion/islâma-kum, mais en réalité c’est Dieu qui vous a fait la faveur de vous guider vers la foi/al–îmân, si vous êtes sincères. » (S49.V17) L’analyse littérale de ce verset laquelle démontre aisément qu’il s’agit là du ralliement de tribus bédouines à Muhammad et, qu’en ce cas, le terme islâm ne peut valoir que pour « sujétion » à son autorité. De même, nous avons montré que cette sujétion était purement politique et dépourvue d’intention religieuse, autrement dit qu’il ne s’agissait pas d’un ralliement à l’Islam.
– Sourate 9.Verset 74 : « ils jurent par Dieu n’avoir rien dit, mais ils ont bien proféré une parole d’ingratitude et ils ont renié le bienfait après leur sujétion/islâmi-him, et ils ont projeté ce qu’ils n’ont pu obtenir, et ils n’auraient rien d’autre à reprocher si ce n’est que Dieu et Son messager les ont pourvus de Ses largesses…» (S9.V74)
L’Analyse contextuelle montre que le contexte d’insertion de ce verset d’expression est à rapprocher de celui mis en évidence au verset précédent, et invoque la nécessaire fidélité à l’engagement contracté dans le cadre traditionnel des jeux d’alliance des tribus bédouines. Aussi, le syntagme islâmi-him doit-il être rendu de même par « leur sujétion ».
– Sourate 6.Verset 125 : « or donc, qui Dieu veut guider, Il ouvre son cœur à l’abandon de soi à Dieu/li-l–islâm. Et, qui Il veut laisser s’égarer, Il rend sa poitrine étroite, opprimée, comme s’il gravissait le ciel. C’est ainsi que Dieu jette l’opprobre sur ceux qui ne croient pas. » (S6.V125 ) Ce verset mecquois s’inscrit au sein d’une critique serrée de l’entêtement des polythéistes mecquois vis-à-vis de la mission de Muhammad mettant en comparaison leur égarement et la guidée, c’est-à-dire la foi monothéiste : «certes, ton Seigneur sait parfaitement qui s’égare de Son chemin, et Il connaît parfaitement les biens-guidés. », v117. Par suite, le v122 rend compte de cette opposition de manière allégorique : « celui qui était mort et que Nous avons ramené à la vie et à qui Nous avons donné une lumière afin qu’il aille parmi les hommes serait-il à l’image de qui est dans les ténèbres sans pouvoir en sortir ? C’est ainsi qu’est embelli aux yeux des polythéistes ce qu’ils œuvrent. » (Contextuellement, il n’y a pas de doute à ce que le pluriel kâfirûn désigne ici les dénégateurs polythéistes, en l’occurrence mecquois).
Tout comme la lumière est opposée ici aux ténèbres, l’on note qu’il y est repris en notre verset la même alternance allégorique : le segment « qui Dieu veut guider, Il ouvre son cœur » évoque alors la foi mise en comparaison avec la situation contraire, le déni de foi : « Il rend sa poitrine étroite, opprimée ». Si l’on prend en compte ces parallèles allégoriques et conformément à la teneur strictement théologique du propos, le terme ṣadr désigne alors la partie décisionnaire de l’être.
Le terme ṣadr dérive de la racine verbale ṣadara qui signifie revenir du point d’eau, remonter la pente y menant, d’où s’avancer, marcher le poitrail en avant. Par extension, ṣadr désigne le poitrail, la proue, mais aussi la partie la plus avancée d’une chose et, par métonymie, la meilleure partie, le meilleur au sein d’un tout, le cœur dans la poitrine, le cœur étant pour les Arabes le siège de la raison.
Comme on le voit l’être peut dénier la Foi ontologique : « ceux qui ne croient pas » et, comme conséquence de son déni, Dieu lui « rend sa poitrine[14] étroite, opprimée ». Du point de vue traductionnel, il est juste de rendre le premier emploi de ṣadr par cœur, mais en cette seconde occurrence il est plus précis de le traduire par poitrine puisque l’image fournie fait référence aux difficultés respiratoires de celui qui est ainsi décrit.
Il est alors comparable à « celui qui était mort » et qui erre « dans les ténèbres sans pouvoir en sortir », v122, ce qui correspond par antinomie à un état de mort spirituelle. Cependant, l’Homme peut aussi accepter et valider la Foi que le Coran considère innée. Dans ce cas, le segment : « Il ouvre son cœur », représente l’ouverture à la « lumière » de la foi, phénomène assimilé « à un retour à la vie ». Plus exactement, et en conformité avec le sens de la racine sharaḥa (La racine sharaḥa signifie ouvrir en écartant, élargir, dilater, d’où rendre un lieu apte à contenir une chose, donner la capacité à et, par extension, traduisant la congruence entre contenant et contenu : expliquer, commenter.) Il s’agit, après l’acceptation de la Foi par l’homme, de la capacitation de son être par Dieu à pouvoir réaliser pleinement sa foi personnelle, en quelque sorte une facilitation spirituelle. Au regard de ces conditions théologiques et métaphoriques, islâm ne peut désigner une religion et doit être compris selon le sens néologique institué à cette fin par le Coran, d’où notre : « Il ouvre son cœur à l’abandon de soi à Dieu/li-islâm ».
– Sourate 39.Verset 22 : « Or donc, qui Dieu ouvre son cœur à l’abandon de soi à Dieu/li-l–islâm est alors en une lumière de son Seigneur. Et quel malheur pour ceux dont les cœurs sont insensibles à l’évocation de Dieu, ceux-là sont en un égarement manifeste. » (S39.V22) Ce verset, lui aussi mecquois, s’inscrit dans le même contexte que le précédent et pour traiter le même thème utilise une terminologie équivalente. Il n’y a donc aucune difficulté à ce que le terme islâm signifie ici pareillement « l’abandon de soi à Dieu». À titre complémentaire, rappelons que la mention de l’Islam en tant que religion constituée paraît de prime abord difficilement envisageable en nos deux versets. En effet, quelle que soit la véracité des informations dont nous disposons quant à cette période, le Coran témoigne qu’en ces premiers temps de l’apostolat de Muhammad peu d’Arabes l’avaient suivi. De plus, rien dans le discours coranique attribué à cette période n’indique la constitution d’une nouvelle religion, le coran mecquois n’est essentiellement, si ce n’est exclusivement, qu’un vaste mouvement de prêches, de plaidoiries et d’admonestations ayant pour unique but d’appeler à la foi monothéiste versus croyances polythéistes.
– Sourate 61.Verset 7 : « Qui est plus injuste que celui qui a forgé contre Dieu le mensonge alors qu’il est invité à l’abandon de soi à Dieu/al–islâm ; mais Dieu ne guide pas le peuple des injustes ! » (S61.V7) Le contexte d’insertion de ce verset met en avant la fidélité due aux messages des envoyés de Dieu et le propos en est logiquement théologique. De plus, ce verset est chronologiquement le premier verset médinois mentionnant le terme islâm, terme-clef qui y est encore employé en une perspective théologique et sans aucun rapport avec la désignation d’une quelconque religion. Comme l’indique le postulat de convergence, à contexte égal signification égale, d’où notre : « alors qu’il est invité à l’abandon de soi à Dieu/al–islâm ».
– Sourate 5.Verset 3 : « vous a été tabouisé la bête trouvée morte, le sang, la viande de porc, ce qui a été sacrifié à un autre que Dieu et la bête tuée par étouffement ou à coups de bâton. Et aussi celle qui a chuté ou a été encornée ou que les fauves ont attaqué, sauf ce que vous aurez pu abattre. De même, ce qui a été immolé sur les bétyles et à ce que vous procédiez à la répartition des parts au moyen des flèches sacrées, ceci est infamie. Ce jour, ceux qui ont dénié perdent tout espoir quant à votre rituel/dîni-kum, ne les craignez pas, mais craignez-Moi. Ce jour, J’ai parfait votre rituel/dîna-kum et vous ai comblés de Ma grâce, et il M’a agréé de votre part l’abandon de soi à Dieu/al–islâm comme Voie/dînan. Puis quiconque serait contraint par la faim, et non par déviance coupable, alors Dieu est Tout pardon et miséricorde. » (S5.V3)
Le segment-clef « ce jour, ceux qui ont dénié perdent tout espoir quant à votre rituel/dîni-kum, ne les craignez pas, mais craignez Moi. Ce jour, J’ai parfait votre rituel/dîna-kum et vous ai comblés de Ma grâce, et il M’a agréé de votre part l’abandon de soi à Dieu/al–islâm comme Voie/dînan.» a été interprété par l’Exégèse afin d’en faire l’argument ultime de la supériorité de l’Islam sur toute autre religion, la traduction standard en témoigne : « aujourd’hui, les mécréants désespèrent (de vous détourner) de votre religion/dîni-kum : ne les craignez donc pas et craignez-Moi. Aujourd’hui, J’ai parachevé pour vous votre religion/dîna-kum, et accompli sur vous Mon bienfait. Et J’agrée l’Islam/al–islâm comme religion/dînan pour vous ».
L’on observe qu’il a été obligé d’ajouter entre parenthèses le commentaire « (de vous détourner) » puisque ce que le texte dit si l’on comprend dîna-kum comme signifiant votre religion ne fait pas sens, car il n’y a aucune raison à ce que des mécréants soient désespérés de ladite religion. Toujours selon la logique propre à cette interprétation, l’on note que malgré tout ce segment n’affirme pas la supériorité de l’Islam ni le fait que cette religion serait la seule que Dieu agrée. En effet, il est indiqué à deux reprises que cela n’est que « pour vous », c’est-à-dire uniquement pour les musulmans, ce qui au fond s’oppose à l’interprétation que l’Exégèse en fait !
Ceci étant précisé, le v3 s’inscrit contextuellement en un passage entièrement dédié aux ajustements des quelques rituels que le Coran indique : vs1-6, propos qui n’ont rien de théologique. À le lire dans son entièreté, notre v3 est lui-même entièrement centré sur ce type de précisions et nous ajouterons qu’à la lecture des vs1-2 ces rappels sont en lien avec le rituel du Pèlerinage. Ceci explique alors que les polythéistes puissent être effectivement désespérés de voir les musulmans ne pas pratiquer les mêmes rituels qu’eux et il est donc parfaitement cohérent de comprendre ici le terme dîn par rituel, tout comme ceci explique qu’il soit à chaque fois précisé votre rituel : « votre rituel/dîni-kum ».
Dans ces conditions, le terme islâm ne peut qualifier une religion et, encore une fois, se comprend en sa portée spirituelle, d’où : « et il M’a agréé de votre part l’abandon de soi à Dieu/al–islâm comme Voie/dînan.»
– Sourate 3.Verset 19 : « en vérité, la Voie/ad–dîn en Dieu est l’abandon de soi à Dieu/al–islâm. Ne divergent ceux à qui le Livre fut donné qu’après que la connaissance leur soit parvenue, se causant tort entre eux. Et quiconque dénie les versets de Dieu, qu’il sache que Dieu est prompt au Compte. » (S3.V19)
Le segment « la Voie/ad–dîn en Dieu est l’abandon de soi à Dieu/al–islâm » a été isolé par l’Exégèse du verset où il s’inscrit afin de lui faire affirmer que la seule religion agréée par Dieu serait l’Islam. La traduction standard le rend ainsi : « la religion/ad–dîn acceptée d’Allah, c’est l’Islam/al–islâm ».
Toute à son apologétique exclusiviste, cette interprétation affirme pourtant une chose fort curieuse. En effet, si al–islâm désignait dans ce verset l’Islam, alors le segment « ne divergent ceux à qui le Livre fut donné qu’après que la connaissance leur fut parvenue » impliquerait que juifs et chrétiens auraient d’abord pratiqué l’Islam avant de diverger de cette religion !
Ceci étant, lors de l’étude étymologique du terme islâm, nous avons envisagé le sens de la locution aslamtu wajhî li-l–llâh en S3.V20 dont nous avons montré qu’elle ne pouvait que signifier abandonner entièrement son être à Dieu. Voici à présent le sens littéral de ce verset : « S’ils [les Gens du Livre] controversent avec toi [Muhammad], réponds-leur : J’ai entièrement abandonné mon être à Dieu/aslamtu wajhî li-l–llâh ainsi que ceux qui me suivent. Et réponds à ceux qui reçurent le Livre ainsi qu’aux illettrés [d’entre eux] : Avez-vous abandonné votre être à Dieu/aslamtum ? Et si eux aussi ont entièrement abandonné leur être à Dieu/aslamû, alors ils se sont bien guidés. Et s’ils se détournent, tu n’es jamais chargé que de transmettre ; Dieu est Clairvoyant quant à Ses serviteurs. » (S3.V20)
Or, ce verset est une application directe de notre v19 et le simple segment « Et si eux aussi [les Gens du Livre] ont entièrement abandonné leur être à Dieu/aslamû, alors ils se sont bien guidés » suffit clairement à indiquer que ce verset n’a pas pour signification d’amener les Gens du Livre à suivre une autre religion que la leur, mais de rappeler l’essence spirituelle de leur foi. Il ne s’agit donc pas de prôner la supériorité de l’Islam sur toute autre religion monothéiste, mais de mettre en avant que le seul point d’importance, point commun, est de nature spirituelle : l’islâm compris comme réalisation spirituelle : « l’abandon de soi à Dieu », ce qui ici justifie en soi que le terme dîn ne désigne pas une religion, mais bien « la Voie/ad–dîn en Dieu ». Le segment « la Voie/ad–dîn en Dieu est l’abandon de soi à Dieu/al–islâm » caractérise donc par excellence l’Islam-relation.
– Sourate 3.Verset 85 : « donc, qui désire autre que l’abandon de soi à Dieu/al–islâm comme Voie/dîn, alors cela lui sera refusé, et il sera au nombre des perdants. » (S3.V85)
Rappelons que l’Exégèse donne à ce verset le sens suivant : «et quiconque désire une religion/dîn autre que l’Islam/al–islâm ne sera point agréé et il sera dans l’au-delà parmi les perdants. » Or, contextuellement, ce verset se comprend en fonction du v83 : « autre que la Voie de Dieu/dîni–llâhi chercheraient-ils, alors qu’à Lui se livre/aslama ce qui est dans les cieux et la terre, de gré ou de force, et que tous vers Lui retournent. » (S3.V83)
À l’évidence, le terme dîn ne peut ici désigner une religion, mais bien « la Voie de Dieu/dîni–llâhi », concept qui comme précédemment s’adresse tant aux Gens du Livre qu’aux musulmans. C’est donc de manière fort cohérente que notre verset postule de l’existence d’une «Voie/dîn » spirituelle transcendant les clivages religieux et partisans et par laquelle les religions devraient se rapprocher plutôt que s’opposer : « Dis : Nous croyons en Dieu et en ce qui nous a été révélé et en ce qui a été révélé à Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et les Tribus. Et aussi en ce qui a été donné à Moïse, Jésus, et aux prophètes, de la part de leur Seigneur. Nous ne faisons aucune distinction entre aucun d’entre eux, et à Lui nous nous abandonnons entièrement notre être/naḥnu la-hu muslimûn. », v84.
L’on remarquera en ce verset le sens que prend logiquement le substantif muslimûn. Dans le Coran, les termes muslim, au pluriel muslimûn/muslimât, ne désignent jamais l’adepte de l’Islam-religion, mais toujours l’état spirituel d’un croyant : l’Islam-relation, quelle que soit sa religion.
En tant que participes passés de aslama, les termes muslim/muslimûn/muslimât signifient donc : celui, ceux, celles, qui ont abandonné entièrement leur être à Dieu, encore une fois, rien qui relève là de la religion. Cette définition coranique du muslim/musulman est explicité au verset suivant : « [et nous pensons] qu’il en est parmi nous qui sont les muslimûn et d’autres qui sont les déviants/al–qâsiṭûn. Mais qui abandonne son être à Dieu/aslama ; ceux-là suivent librement une bonne direction. » (S72.V14)
Dans ce verset, les termes muslimûn et qâsiṭûn sont manifestement antonymes et qâsiṭûn en tant que participe présent de qasaṭa : s’écarter de la ligne droite, dévier, signifie « déviants ». De plus, ce terme est commenté au v16 par l’emploi de l’expression « se détourner du souvenir de son Seigneur » et, en antithèse, au v15 par « se maintenir dans la bonne voie ». Il en ressort que muslimûn a effectivement le sens de ceux qui abandonnent entièrement leur être à Dieu.
Ajoutons à titre de démonstration complémentaire à contrario que si l’Islam était dans le Coran une religion, alors le qualificatif muslim en désignerait les adeptes. Or, l’on ne retrouve aucun emploi de ce terme relevant du discours direct, et jamais dans le texte coranique il n’est utilisé d’apostrophe type : « Ô, vous les musulmans !/yâayyuhâ al–muslimûn ». Au contraire, lorsque le Coran s’adresse directement à ses allocutaires, pourtant censés selon la lecture de l’Islam être des musulmans, il ne recourt qu’à la célèbre formulation : « Ô, vous les croyants/yâayyuhâ al–mu’minûm » qui, pour le moins, relève du registre théologique, de la foi, et non pas du religieux, ce qui traduit dialogiquement l’absence pour et dans le Coran de la supposée catégorie de musulmans en tant qu’adeptes de la religion Islam.
Conclusion
L’Analyse littérale du terme islâm selon le Coran montre pour l’essentiel qu’il s’agit d’un néologisme coranique destiné à qualifier une Voie/dîn spirituelle caractérisée par l’entier abandon de son être à Dieu/al–islâm. Pour des raisons historiques, ce même terme a été sécularisé lors de la construction post-coranique de la religion Islam avec le sens de soumission aux règles de la religion. Autrement dit, a été ainsi opéré un glissement du champ spirituel vers le champ ortho-praxique.
Nous ne pouvons présentement que souligner le différentiel majeur entre le concept coranique d’islâm compris en tant que voie spirituelle de réalisation et les notions de soumission à la religion ou à Dieu telles que l’Islam contemporain les amalgame.
Du point de vue conceptuel, le Coran propose donc une voie spirituelle dite Islam-relation, c’est-à-dire à Dieu, alors que l’Islam en tant que religion se définit lui-même comme la loi de l’Islam-religion. Selon le Coran, est ainsi qualifié de musulman/muslim celui qui s’engage au nom de sa foi en une démarche spirituelle dite de l’abandon de son être à Dieu/al–islâm. Il nous semble que ce distinguo est essentiel à l’heure où une ré-articulation du rapport entre le Coran et l’Islam paraît être une clef fondamentale de la compréhension réactualisée de la Révélation et de la Religion par et pour les musulmans.
INFO-MATIN