Le lieutenant-colonel Nema Sagara est née à Bamako, il y a une cinquantaine d’années. Ayant vu le jour et grandi dans un camp militaire, car fille d’un ancien militaire, notre amazone est originaire du pays dogon.
Seule femme militaire malienne sur le front, cette héroïne de l’armée malienne ne cache pas son amour pour son pays, la seule raison de sa motivation d’aller sur le champ de bataille et se battre au même titre que les hommes.A son domicile où elle nous a reçu, elle a bien voulu répondre à nos questions sans tabous ni ambages.
L‘indépendant Weekend: Pouvez-vous nous relater votre parcours en quelques mots ?
Après mon baccalauréat passé au lycée Askia Mohamed de Bamako, normalement je devrais faire l’Emia, mais ce n’était pas encore ouvert. Donc je suis partie de la base, c’est-à-dire un soldat. J’ai fait un certificat d’étude technique N°1 et 2 et ensuite j’ai passé le concours d’une école d’officier pour aller en France, mais on n’a pas pu faire cette formation, car cela a coïncidé avec la guerre du golf.
L’année d’après, je suis allée à Paris où j’ai pu suivre une formation de santé de l’armée de terre au Val-de-Grâce. Ensuite, je suis revenue pour intégrer l’école inter-armée de Koulikoro où je suis sortie en 1994, comme sous lieutenant, avant d’aller chercher un DUA en gestion au CESAC de Dakar en 1996. En 2001, j’ai suivi des cours au Nigeria, puis à l’état major Maxwell Air force BJ, en Alabama, aux Etats Unis.
En 2004, j’ai participé à la mission des Nations-Unies au Liberia comme staff d’état-major en charge des logistiques militaires. J’ai fait la guerre en Sierra Leone. Puis, je suis retournée aux Etats-Unis pour de nouvelles études militaires en Alabama et tout récemment j’ai été admise à la National Defence University, à Washington
Qu’est ce qui vous a motivée à porter l’uniforme, quand on sait qu’à cette époque la place de la femme était surtout au foyer ?
Moi, je suis née dans un camp militaire et j’y ai grandi. Très souvent les enfants des militaires n’ont que deux choix, soit ils intègrent l’armée soit ils la déteste. J’ai choisi d’intégrer l’armée, convaincue que c’était la seule organisation où je pouvais travailler et surtout mieux m’exprimer. D’autant plus que je me sens bien partout où il y a l’action.
Vos parents ne vous ont-ils pas influencée dans ce choix ?
Non. Nous sommes une famille de huit enfants, quatre garçons et quatre filles. Nos parents ne nous ont jamais influencés dans nos choix professionnels.
Vous êtes la seule à suivre les traces de votre père ?
Non, ma sœur jumelle (Mariam Sagara) est aussi militaire, mais elle est journaliste.
Vous êtes la 2ème personnalité de l’armée dans la région de Gao. On vous voit mener de bout en bout les opérations dans cette localité, aux côtés du Colonel Didier Dako. Quelle est votre source de motivation ?
Deuxième personnalité, c’est avec les journalistes que j’ai appris cela, sinon je suis au PC et mon chef en cette période n’était pas là mais en mission. Je suis restée sur le terrain pour assurer les arrières et c’est comme ça que le coup est parti. C’est vrai que dans l’armée, la hiérarchie va avec le grade et c’est vrai aussi qu’après lui c’est moi qui avais le grade le plus élevé.
Donc, les journalistes ont raison …
Oui, ils ont raison, mais seulement moi je ne voyais pas les choses de cette façon. Quand il y avait des missions, je les exécutais. S’il y avait également des initiatives je les prenais et je lui rendais compte, mais toujours est-il que c’est à lui que revient le dernier mot.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à aller à Gao ? Vous pouvez aussi rester dans les bureaux comme d’autres. Est ce que c’est la hiérarchie qui vous a envoyée au front ou est-ce une décision personnelle ?
Pour toute personne normale qui a pour mission de défendre les intérêts de son pays, le devoir lui commande de ne pas rester impuissante face à cette situation. Si le pays est menacé et que ma mission est de défendre ses intérêts je dois le faire avec la dernière énergie. C’est vrai que seule je ne peux rien, il faut l’implication de tout un chacun. C’est une étape cruciale pour notre pays et je devrais être là pour laisser ma marque. C’est ce qui explique ma présence au front.
C’est qu’après que vous avez commencé à faire des apparitions, où étiez-vous au début des opérations ?
Effectivement, le début des opérations ne m’a pas trouvé au Mali. J’étais aux Etats-Unis mais j’étais en contact permanent avec le colonel-major Didier Dako. Dès le début des opérations, j’ai exprimé mon vœu au Colonel-Major d’être sur le terrain.
A mon retour, j’avais normalement droit aux congés, mais en période de crise, ce n’est pas possible. On m’a accordé quelques jours pour faire mon rapport. Dans ma tête, je voulais partir au Nord et comme la signature de mon ordre de mission allait prendre du temps, j’ai demandé à ma hiérarchie de m’accorder une permission pour aller voir mes parents au pays dogon. En réalité, ce n’était pas la vraie raison d’autant plus que mes parents sont ici à Bamako.
En fait, c’était pour aller au front. Et c’est comme cela, que j’ai eu quelques jours de congé, je ne me suis même pas rendue au village, j’ai directement pris la route de Gao. C’est avec mes congés que je suis allée au front et sur place je les ai épuisés en restant là-bas. Mais les conditions n’étaient pas normales faute d’un ordre de mission. Alors, l’administration s’est plainte et j’ai été obligée de retourner pour formaliser ma mission. Dès que j’ai obtenu mes papiers, je suis retournée.
Peut-on savoir ce que vous faisiez aux Etats Unis ?
J’étais en formation dans une école de guerre pour me spécialiser dans la lutte contre le terrorisme. Sorti de cette école, on n’a rien à faire que de se battre contre les terroristes en cas de besoin. C’est ma mission et de nature j’aime mieux être sur le terrain que dans les bureaux.
Quel est votre rôle sur le terrain, faites-vous des combats au corps à corps avec les ennemis?
Mon rôle, c’est comme celui de tout militaire au front. Nous n’avons pas fait de corps à corps mais si c’était arrivé à ce niveau, j’étais prête et j’ai la ferme conviction que j’allais vaincre. Les terroristes sont ce qu’ils sont, nous des forces armées maliennes sommes aussi ce que nous sommes. Donc, en allant on était prêt. Je m’occupais aussi des actions civilo-militaires, c’est-à-dire sensibiliser, faciliter le travail des humanitaires, sensibiliser les populations pour aider nos officiers de renseignements à bien faire leur travail, entre autres.
Vous êtes la seule femme militaire malienne à vous retrouver au front, qu’est ce qui est la source de votre motivation ?
Vous savez, j’aime mon pays, je n’ai pas deux pays, je n’ai que le Mali. Je dois tout à ce pays. Et le Mali ce n’est pas n’importe quel pays dans le monde. Tant que je peux faire quelque chose pour servir ce pays, rien ne pourra me retenir.
Maintenant qu’une partie de la mission est accomplie, c’est-à-dire que vous avez pu bouter l’ennemi hors des frontières maliennes, quelle est la suite de la mission ?
L’Etat m’a confié une autre mission, toujours dans ce combat contre l’ennemi et je suis présentement à Bamako pour la remplir.
L’on se pose toujours la question de savoir à quand l’arrivée de l’armée malienne à Kidal ?
L’armée malienne a sa stratégie et tout ce que nous demandons aux Maliens, c’est de prendre leur mal en patience et de faire confiance à leur armée.
Vous êtes au cœur d’une polémique. Dorothée Thienot, journaliste française aurait été expulsée de Gao sous vos ordres. Est-ce vrai ?
Oui c’est vrai. Dorothée, depuis le début des évènements a toujours opéré sans problème à Gao. Mais depuis un certain temps, elle a commencé à afficher des comportements peu honorables vis-à-vis de notre armée. Notamment, elle s’habillait à moitié nue quand elle venait faire des reportages, elle payait de l’alcool chaque fois que l’occasion se présentait pour saouler nos soldats afin d’avoir des informations illégales et maintes fois j’ai essayé de la ramener à la raison, elle n’a pas obtempéré. C’est pourquoi, j’ai jugé qu’elle jouait d’autres rôles que ceux d’un journaliste et en cette période, nous n’avons pas besoin de ça. Et je pense qu’elle a compris.
Comment est-ce-que les femmes de Gao ont accueilli votre présence au sein de l’armée malienne ?
Je pense que les femmes de Gao ne se rendent pas compte du combat qu’elles ont mené. Elles ont beaucoup de respect et d’admiration à mon égard. Et pour moi tout ce qu’elles me décernent en réalité ne m’appartient pas, mais ce sont elles qui méritent tous les éloges, car les grandes combattantes viennent de leur rang. Moi je suis partie à Gao avec l’arme, par contre elles, elles n’avaient rien pour se défendre, sauf leur courage.
Malgré tout, elles sont restées et pour la plupart, les hommes ont fui pour les laisser. C’est pourquoi, je dis toujours que Gao appartient aux femmes.
Elles font tout ce qui est de leur possible pour mettre l’armée à l’aise. Elles nous apportent des vivres, de l’argent etc… Je suis gênée de prendre cela avec elles car pour moi c’est nous qui devrions les soutenir. Mais quand je refuse, elles se sentent frustrées.
Je n’ai pas travaillé qu’avec les femmes. J’ai travaillé avec les jeunes, les sages, les élus locaux etc… j’ai beaucoup travaillé dans le sens de la sensibilisation de toutes les couches sociales, car la population civile, on ne le dira jamais assez a aussi un grand rôle à jouer dans cette guerre. Et c’est ce qui a abouti à toutes les perquisitions et découvertes des caches d’armes etc…
Vous avez une sœur jumelle, on se rend compte qu’il y a beaucoup d’affinités entre vous ? Est-ce une éducation familiale ou juste la nature ?
C’est une éducation familiale. Nous sommes une famille très soudée et cela grâce à mes parents qui ne se séparent jamais l’un de l’autre. Très souvent, on les appele les tourterelles, car ils sont très liées. Ils font tout ensemble et s’habillent toujours avec les mêmes tissus etc…
Comment alliez vous votre vie de militaire à votre vie de famille?
Je le fais comme toutes les autres femmes. Je n’ai aucun souci à ce niveau.
Quels sont vos loisirs ?
Je fais beaucoup de sports surtout le lawn tennis. Mais mon sport préféré c’est la marche. Je trouve de l’inspiration en marchant. Je peux faire des dizaines de kilomètres en marchant.
Un message au peuple malien?
Nous n’avons que ce Mali, que tout le monde ait confiance en soi-même, en son armée et à la nation malienne. Si on ne se donne pas la main pour bouter l’ennemi hors de nos frontières, personne ne le fera à notre place. Nous devons combattre l’ennemi d’où qu’il vienne. Le Mali n’est pas n’importe quel pays et ça nous devons le savoir.
Clarisse NJKAM
cnjikam2007@yahoo.fr
Source: L’Indépendant