Dans les rues de Pretoria, la capitale administrative, il n’est pas très difficile de se procurer de l’héroïne. Une jeune consommatrice émerge d’un campement de fortune construit à partir de bâches, en bordure d’un square. En quelques minutes, elle peut se procurer ses doses quotidiennes pour faire cesser les effets de manque qui la font souffrir : « Si je voulais en acheter tout de suite, j’irais rapidement là-bas, au coin de cette deuxième rue. En fait, on en trouve partout. » Et difficile de résister à l’appel de la drogue alors que les dealers offrent la première dose du matin : « Dès que l’on arrête, on est très malade, on a des diarrhées, on sue, on a chaud et froid en même temps, et les reins ne fonctionnent plus normalement », détaille-t-elle. « Puis, quand on en reprend, le corps redevient normal. Il y a bien sûr des médicaments pour aider à dépasser cela, mais nous, on n’a pas les moyens. »
L’engouement pour le « nyaope »
Pour cette femme prise au piège de l’héroïne et pour de nombreux consommateurs, le basculement vers cette drogue très addictive s’est fait à leur insu. Ils ont été attirés par un nouveau produit, le « nyaope », apparu il y a moins d’une dizaine d’années : un mélange qui se fume comme le cannabis, mais où l’herbe a été coupée avec de l’héroïne.
Le nyaope, cette drogue qui fait des ravages en Afrique du Sud
« Jusque-là, je ne fumais que des cigarettes et du chanvre, mais un jour mon cousin m’a appelé pour me dire qu’il avait cette drogue, le ‘nyaope’, et que je devais vraiment essayer », se souvient ce jeune homme d’une vingtaine d’années, qui vit désormais de petits boulots dans Pretoria. Il ne savait pas qu’il serait ensuite très difficile d’arrêter : « Ca m’a donné des vertiges, mais ça m’a fait du bien, ça m’a détendu. J’ai continué à en fumer, mais je ne savais pas que je serais ensuite en manque. Un jour, j’ai découvert que j’étais déjà accro. »
Un marché florissant
Il existe peu de données sur le nombre exact de consommateurs dans le pays, mais, selon le rapport d’ENACT, programme financé par l’Union européenne, le chiffre officiel de 110.000 est largement sous-estimé. « Le marché domestique existe depuis longtemps, mais il a fortement augmenté depuis 5 à 8 ans », détaille Simone Haysom, l’auteure du rapport. « C’est un marché qui touche tout le pays, et il a été installé par différents réseaux qui ont aussi grossi, en partie à cause de l’affaiblissement des capacités de la police sous le précédent gouvernement. »
Le crime coûte 50 milliards de dollars annuels à l’Afrique de l’Ouest
L’héroïne, autrefois chère, est désormais plus accessible et plus présente, en particulier dans les grandes métropoles du pays. Pour Ebrahim Kadwa, représentant de l’unité de lutte contre le crime organisé, cela s’explique par le renforcement de la route qui dessert la côte Est de l’Afrique depuis l’Afghanistan : « Ce n’est plus une route linéaire, cette route du sud est complexe, avec des ramifications. Elle vise l’Afrique de l’Est, à commencer par le Kenya, la Tanzanie, puis se dirige vers le sud, vers le Mozambique. L’océan Indien est désormais utilisé comme théâtre d’opérations. » Le rapport préconise la mise en place de politiques régionales et l’étude de l’économie de cette drogue qui a progressivement fleuri dans la zone, ainsi que le développement de programmes sociaux et de santé publique.
Claire Bargeles (Correspondante en Afrique du Sud)