L’élection du président IBK, il y a tout juste un an, devait encourager le retour de tous ceux qui avaient fui le septentrion à partir de janvier 2012. Beaucoup ne sont pas encore rentrés. Beaucoup sont encore dans les camps, à l’étranger. En juillet, malgré sa mobilité très réduite, le Professeur Assadek Ag Hamahady a décidé d’aller rendre visite à ses compatriotes maliens, réfugiés à Mentao, près de Djibo, au Burkina Faso. C’est un de leurs porte-paroles, Mohamed Ag Mohamed El Moctar, enseignant, qui lui a permis d’en savoir davantage.
Aujourd’hui, onze mille six cent onze Maliennes et Maliens vivent dans ce camp situé à 70 km de la frontière malienne, au sud du cercle de Koro. Des Arabes, des Bellas, des Peuls, des Sonraïs, des Touareg, hommes, femmes, vieux, jeunes, enfants. Six secteurs répartis sur une vaste plaine de terre rouge où quelques arbres épineux offrent leur ombre. Des tentes du UN-HCR (Haut commissariat aux réfugiés), des abris de toile tendue entre des piquets. C’est un des partenaires du HCR, la Conaref, Commission nationale pour les réfugiés du ministère des Affaire étrangères du Burkina, qui y régule les entrées, et fournit les autorisations pour toute mission humanitaire ou politique.
Rendre visite à des réfugiés, c’est constater dans quelles conditions ils vivent. Le Professeur Assadek ne peut que raconter la dure réalité de ceux qui attendent toujours que la sécurité soit revenue dans le septentrion. Le retour, 80% le souhaitent ! Quelques-uns ont déjà traversé la frontière pour rentrer chez eux, mais ils sont revenus. Certains disent simplement qu’ils partiront à la fin de l’hivernage. Tous s’interrogent sur ce qu’il adviendra de leurs régions à l’issue des négociations.
Selon le HCR, la situation au Mali reste fragile et ne permet pas le rapatriement à grande échelle des réfugiés. Aucun programme de ce type n’est donc prévu d’ici fin 2014. Angèle Djohossou, représentante adjointe du HCR au Burkina Faso, confirme qu’un accord tripartite doit d’abord être signé entre les gouvernements du Burkina Faso et du Mali et par le HCR. Cependant, le retour spontané est un droit élémentaire pour les réfugiés. Aucune institution ne s’y oppose, mais un suivi est nécessaire pour savoir comment ils s’en sortent. Nourrir, assurer les soins de santé et organiser la scolarisation des enfants, voilà les objectifs des partenaires qui œuvrent à Mentao, comme dans tous les autres camps. Selon l’IRIN (un des services du bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies), un programme y a été mis en place en janvier 2014. Chaque réfugié avait droit à une ration mensuelle de 6 kg de riz, 3 kg de bouillie et 1/4 de litre d’huile, fournis par le PAM (Programme alimentaire mondial), et à 3500 Fcfa pour compléter avec du sucre, des condiments, du lait pour les enfants, et parfois un peu de viande. Mais cette ration mensuelle ne permettait de s’alimenter que quinze jours.
Depuis le mois de juin, ces rations ont été diminuées de moitié, et maintenant, elles ne permettent de survivre qu’une semaine par mois. Le Professeur Assadek a entendu que c’était certainement pour les contraindre à retourner au Mali. Mohamed Ag Mohamed El Moctar a précisé que «lorsque l’on entend dire que des réfugiés repartent au Mali, ce n’est pas parce qu’ils se sentent suffisamment en sécurité pour rentrer, c’est parce qu’ils ont faim». En avril, le HCR avait aussi promis aux réfugiés une aide au retour de 35 000 Fcfa par personne. Mais, suite aux affrontements de Kidal en mai, ce programme a été abandonné. Le HCR et ses partenaires ont admis «avec tristesse que le niveau de services à Mentao, comme dans d’autres camps, est menacé en raison de coupes budgétaires».
Cependant, certains domaines tels que la protection des enfants et l’éducation sont prioritaires en matière d’allocation financière. Le Professeur Assadek a effectivement constaté qu’avec trois écoles, cinq jardins, trois medersas et des programmes d’alphabétisation pour adultes, l’éducation est saine à Mentao. Médecins du Monde assure la prise en charge sanitaire, mais les capacités de soins demeurent insuffisantes. Une unité de pédiatrie, intégrée au Centre de récupération nutritionnelle intensive de Djibo, devrait améliorer la situation des enfants malnutris.
Les femmes ont toujours été des butins de guerre. Dans le Nord, les Maliennes n’ont pas été épargnées. Cette violence basée sur le genre (VBG) engendre de nombreux traumatismes. Le Professeur Assadek a appris que de nombreux programmes étaient en cours au camp, mais que la mauvaise gestion en entravait l’efficacité. Beaucoup oublient que si les réfugiés ont des droits, ils ont aussi des devoirs. En août 2013, une délégation de la Conaref a formé des réfugiés de Mentao à ces principes de réciprocité, afin que la vie soit le moins difficile possible dans le camp. Dès août 2012, la réconciliation nationale était au cœur des préoccupations. À peine élu, le président IBK déclarait : «Je serai le président de tous les Maliens, je serai le président de la réconciliation nationale.» Des Maliens, il y en a dans les camps, et là aussi, le travail de réconciliation était nécessaire.
À Mentao, les communautés vivent dans des secteurs différents. Début 2014, la Caravane du Festival au Désert est venue y donner un grand concert. On dit que la musique adoucit les mœurs, et c’est vrai. Les artistes ont apporté soutien et réconfort à ceux qui avaient fui les attaques et la violence. La caravane a été celle de la paix au fond des cœurs et a lancé un message de réconciliation. À Mentao, il y a beaucoup de petits. Être enfant réfugié, c’est grandir ailleurs, c’est grandir avec les souvenirs des autres, c’est grandir au milieu des rancœurs des grands. À Mentao, c’est par la musique et le chant, et surtout grâce au savoir-faire de Mandé, l’animateur d’une ONG internationale, que les enfants réfugiés ont progressivement accepté de s’amuser tous ensemble et appris à se «réconcilier».
Les événements ont laissé des souffrances, des plaies, et beaucoup d’amertume. Le Professeur Assadek estime que 60% des réfugiés optent pour la réconciliation. Les autres se sentent probablement trop abandonnés pour l’appeler de leurs vœux. En effet, outre les quatre ministres qui sont venus jusqu’au camp pendant la transition, aucune autre autorité ne s’est déplacée pour les voir. Erreur politique car les règlements du camp n’empêchent pas les visites cachées des chefs de groupes armés. La nature a horreur du vide. Les conséquences tragiques de janvier 2012 sont connues de tous au Mali. Entendre parler d’événements n’a rien à voir avec les vivre dans sa chair. Savoir qu’il existe des camps, voir les images télévisées, c’est une chose, mais s’y rendre relève d’une autre démarche.
Merci Professeur Assadek de l’avoir entreprise, et de nous en avoir parlé.
Françoise WASSERVOGEL