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Les rapports de force dans les urnes et les rapports de feux sur le terrain sont fluctuants au Mali

Le Mali baigne dans les premières heures d’une campagne électorale. Elle culminera, le 29 juillet, avec le scrutin présidentiel qui maintiendra ou sortira le Président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) du Palais présidentiel de Koulouba, niché sur le pic d’une colline.

De juillet 2013 à nos jours, beaucoup d’eau – notamment boueuse – a coulé sous les ponts. Le destin ultime du Mali, en tant que pays entier ou Etat viable sur la carte, est continuellement hypothéqué ou mis en équation par une succession de secousses politiques et militaires de nature à ébranler globalement son équilibre. C’est dire combien la présente campagne électorale et l’imminent choix des électeurs conditionnent le futur national (celui du Mali) et, par ricochet, les lendemains dans la sous-région.

L’échéance électorale est au, demeurant, sans précédent. La physionomie de la campagne en cours est d’autant plus surréaliste que les programmes, les promesses et les engagements n’auront aucune prise ou incidence sur les enjeux vitaux que sont le statut définitif de l’enclave de Kidal confisquée par la France via les marionnettes touarègues du MNLA, la stabilité du centre (région de Mopti) violemment labouré par des irrédentismes communautaires, eux-mêmes allumés et exacerbés par des forces tapies dans l’ombre, la dépollution militaire du Sahel par le G 5 Sahel qui est en stagnation de puissance – tout le contraire d’une montée en puissance – etc. En termes clairs, les 24 candidats en lice (sans l’ombre d’un parrainage à la sénégalaise) n’auront aucune marge d’action ou d’influence sur l’essentiel. En revanche, le prochain Président aura le triste monopole de l’accessoire sur la marche du Mali, durant les cinq années à venir. C’est électoralement vaudevillesque et démocratiquement caricatural. C’est fâcheusement le lot de tout pays dépossédé de sa souveraineté par des   facteurs endogènes et exogènes.

Dans ce décor piteusement planté et dangereusement constellé d’indicateurs sécuritaires toujours au rouge, 24 aspirants au pouvoir sont activement en compétition. Une escouade de candidats sur lesquels les observateurs avertis ont posé des regards appuyés. De prime abord, toutes les composantes de la population du pays sont – d’un point de vue sociologique – portées par une ou deux candidatures. Tous les groupes socio-professionnels sont aussi impliqués dans la bataille électorale. Des candidats malheureux sont à nouveau sur la ligne de départ ou sont présents dans les directoires de campagne. Les soutiens locaux (chefs religieux et notabilités tribales) sont lisibles ; tandis que les interférences extérieures restent sans visages. Donc discrètes et masquées, comme à l’accoutumée. Toutefois, les rapports de force dans les urnes demeurent fluctuants. Même chose pour les réalités sur le terrain. Au Nord où les embuscades des commandos-suicides sont le cauchemar permanent du commandement de BARKHANE ; et au Centre où le brasier inter-ethnique est avivé concomitamment par les faucons dogons de la milice « Dana Amassagou » et les extrémistes du groupe d’autodéfense peulh dénommé Alliance pour le Salut du Sahel : ASS. Une élection visiblement programmée dans la banlieue de l’enfer.

De la noria de candidats en rodéo électoral sur le territoire malien, dégageons –  un peu arbitrairement – une brochette d’hommes assez représentatifs de la multitude d’ambitions impossibles et irréalistes dans le contexte du Mali. Protocole républicain oblige, le Président sortant IBK cristallise des soutiens (un large cartel de partis piloté par le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga) et étale d’impressionnants moyens de campagne. Manifestement, ce budget du second mandat est alimenté, dès les premiers jours du premier quinquennat. Les mauvaises langues racontent que l’orgie de scandales qui ont jalonné les cinq ans de présence à Koulouba (armes surfacturées, avion surfacturé etc.) sont autant de sources extraordinaires d’acquisition du nerf de la guerre : l’argent. Cet atout de taille n’est-il pas contrebalancé voire balayé par le statu quo ante du côté de Kidal (point de fixation et d’irritation anti-française de l’opinion publique malienne) où se joue la pérennité ou la fin de l’unité du Mali ? Or l’Accord d’Alger, non appliqué ou inapplicable, constitue une tache grise ou noire dans le bilan du Président IBK. Signalons que dans Kidal, IBK compte sur le soutien de l’Aménokal Mohamed Ag Intalla (le Moro Naba des Touaregs) que sa ministre du Tourisme, Nina Walett Intallou pourrait lui décrocher. Proche des Français, des Mauritaniens et des dirigeants du MNLA (elle entretient d’étroits rapports avec le Général Wazim, chef d’Etat-major de la rébellion), Madame Intallou est effectivement une des cartes maitresses d’IBK au Nord-Mali.

Curiosité oblige, le candidat Aliou Boubacar Diallo accomplit le premier tour de piste électoral de sa vie. Et pourtant celui qui porte les couleurs de l’Alliance Démocratique pour la Paix (ADP-Maliba) est un capitaine d’industrie très célèbre au Mali et ailleurs. Le PDG Aliou B Diallo est le fondateur de la société minière « Wassoul d’Or », la boite à capitaux majoritairement maliens (75%) qui assure la plus grande production industrielle d’or. Politiquement bleu mais organisé et outillé, ses compatriotes le surnomment le « Macron malien ». Possède-t-il un ancrage national ou une audience électorale ? Peut-être dans sa ville natale de Kayes et à Nioro du Sahel où il a décroché le soutien publiquement accordé par le très vénéré Chérif Bouyé, un descendant du mystique et résistant Cheikh Hamallah. Hors du Mali, le candidat Aliou Diallo dispose de solides amitiés allemandes. Le 18 mai dernier, il a visité le Bundestag (le Parlement allemand) à l’invitation des députés de la CDU-CSU. A Berlin, il bénéficie des activités d’un lobby coiffé par les députés Joaquim Pfeiffer et Jürgen Hardt. Du reste, l’Allemagne est militairement présente au Mali, en marge de la MINUSMA et de BARKHANE.

Il va sans dire que la présidentielle du 29 juillet sera la mère des occasions et des batailles pour le candidat de l’URD et de la Coalition pour l’Alternance et le Changement (CAC) sous la bannière de laquelle se regroupent et s’activent des dizaines et des dizaines de Partis politiques et d’Organisations sociales fortement mobilisées pour l’élection de Soumaïla Cissé à la magistrature suprême. Le chef de file de l’opposition et le poids lourd de la scène politique, « Soum » (pour emprunter le diminutif affectueux des Maliens) bénéficie du soutien important de l’ancien ministre Tiébilé Dramé du PARENA et du soutien retentissant du rappeur Ras Bath, fils de l’ancien ambassadeur du Mali à Dakar, mon ami Mohamed Ali Bathily, lui-même candidat à l’élection présidentielle.

Les chances de l’ex-Président de la Commission de l’UEMOA sont réelles voire hautement appréciables, mais la route de Koulouba est-elle pour autant très passante pour lui ? Son coffre et son background ne sont nullement en cause. L’obstacle prend ses racines ailleurs. Originaire du cercle Niafunké, trait d’union entre le Nord-Mali en rébellion et la région de Mopti en implosion, Soumeyla Cissé est – du point de vue l’anthropologie sociale – très étiqueté par ses adversaires dans un pays où les forces conservatrices (culture bambara dominante dans l’Ouest et le Sud très peuplés du Mali) sont silencieusement hostiles aux passerelles entre les distinctes strates de la société. Le noyau dur bambara le classe parmi les « bellas » ou assimilés, c’est-à-dire les serviteurs voire les captifs des Touaregs. A ce titre, il serait « peu pur et peu sûr » pour prendre en charge les destinées du Mali présentement placé à la dangereuse croisée des chemins. Bien entendu, ces considérations rétrogrades sont aux antipodes des valeurs et des vertus démocratiques. Mais, « la politique n’est-elle pas le réel avant d’être l’idéal » comme disait Houphouët Boigny ? Rappelons que, dans l’Histoire du Mali indépendant, seul le Président Amadou Toumani Touré est issu de ce Centre qui colle au Nord-Mali. ATT qui est arrivé au pouvoir par la combinaison des baïonnettes (1991) et des bulletins de vote (2002). En tout cas, si Soumaïla Cissé ne passe pas le 29 juillet, cela voudra dire que son offre politique est avariée. Tout comme sa carrière.

La liste des candidats capables de coincer IBK et de le remorquer vers le deuxième tour n’est pas, ici, exhaustive. Le Général de Brigade Moussa Sinko Coulibaly pourrait faire un score tellement honorable à Ségou que la donne nationale en serait modifiée. Par ailleurs, le corps électoral désireux de tester des personnalités compétentes, expérimentées et, jusque-là non éclaboussées, pourrait se tourner le technocrate-policier Modibo Sidibé, ancien Premier ministre et frère de l’ancien Premier ministre Mandé Sidibé. Sur le terrain du patriotisme ardent et de l’engagement teinté d’abnégation, le candidat Oumar Mariko présente un séduisant profil. La candidature de l’astrophysicien Cheick Mohamed Abdoulaye Souad dit Cheik Modibo Diarra est digne d’intérêt. En 2013, il n’avait pas pu atteindre la barre des 3%. Naviguer dans l’espace interplanétaire, ce n’est pas évoluer parmi les gladiateurs de l’arène politique. Cette fois-ci, le patron de Microsoft-Afrique et beau-fils de l’ex-Président Moussa Traoré est appuyé par l’homme politique Moussa Mara qui est le fils de l’ex-ministre et maire de Kati, le Colonel Joseph Mara. Preuve que les urnes maliennes sont fluctuantes dans ce qu’elles ont de lisible et lisibles dans ce qu’elles ont de fluctuant. Le Mali est, à la fois, proche et complique

Lejecom

 

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