Une plainte de l’Etat malien contre l’ancien président Amadou Toumani Touré (ATT) pour « haute trahison », divise les Maliens, constatent des observateurs.
Dans sa plainte transmise à la Haute Cour de Justice, le gouvernement reproche à l’ancien président renversé par un coup d’Etat le 22 mars 2012 et qui vit en exil à Dakar (Sénégal), d’avoir facilité « la pénétration et l’installation des forces étrangères sur le territoire national », et d’avoir « détruit ou détérioré volontairement un outil de défense nationale ».
Il lui est également reproché d’avoir participé à « une entreprise de démoralisation de l’armée caractérisée par les nominations de complaisance d’officiers et de soldats incompétents et au patriotisme douteux à des postes de responsabilité au détriment des plus méritants, entraînant une frustration qui nuit à la défense nationale ».
Cette plainte contre ATT a suscité un vif débat dans les Grins (lieu de retrouvailles entre camarades d’âge ou collègues de travail) et sur les réseaux sociaux. Contrairement à ce qu’on peut imaginer, ce débat penche en faveur du président déchu.
« Porter plainte contre ATT, c’est prendre le risque de faire le procès des dix ans qu’il a passés au pouvoir. C’est donc vouloir faire le procès de la classe politique qui a partagé le pouvoir avec lui, à commencer par l’actuel président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), ainsi que de nombreux intellectuels qui ont composé avec le régime ATT », pense Alphaly, un chroniqueur politique.
Pour lui, « ATT n’est pas le seul comptable de ce qui est arrivé au Mali. Nous avons tous notre part de responsabilité, parce que personne n’a levé le petit doigt pour s’opposer à sa politique ».
« Je ne pense pas que le moment soit bien choisi pour encore diviser les Maliens », estime-t-il.
Dr Fatoumata Sow, spécialiste en sciences de l’Education, renchérit sur un réseau social, en demandant à l’Etat malien de ne surtout pas oublier dans sa plainte « tous ceux qui étaient aux affaires et qui ont préféré regarder ailleurs ». « Pas de paix sans la justice », ajoute-t-elle, soulignant que « la priorité, n’est pas de juger ATT, mais de libérer Kidal (région nord-est du Mali) de l’occupation de dangereux trafiquants qui se font passer pour des rebelles ». « Et si ATT doit être jugé, quel sort réserve-t-on à ceux qui étaient avec lui pendant les dix ans »? affirme-t-elle.
« Au Mali, l’impunité n’a plus sa place. Il est du devoir de nous tous de donner une crédibilité à la nouvelle justice malienne », contre-attaque un militant de l’Alliance IBK 2012, sur Facebook.
Ce qui fait dire à F. Thiero, une juriste qui se dit proche du Mouvement Populaire du 22 mars (MP22, partisan du coup d’Etat du 22 mars), que l’ancien président « est un justiciable comme tous les Maliens ».
Toutefois, « il ne faut pas nous construire une montagne de mensonges pour salir l’honneur de l’homme, à cause des intérêts que Dieu seul sait », prévient-elle.
« Dire qu’ATT n’est pas le seul coupable du problème du nord est un pléonasme. Tous les Maliens savent que la situation du nord est antérieure à l’indépendance même du Mali », pense Amadou Salif Guindo, un journaliste de la place.
« Avec de tels procès, on n’encourage pas les hommes politiques à quitter le pouvoir et à se dire qu’il existe bel et bien une vie après le pouvoir », estime-t-il.