Tout semblait pourtant possible au lendemain de la première mission de bons offices conduite à Niamey par le général nigérian Abdousalami Aboubacar, le 19 août dernier. La délégation avait exigé de rencontrer Mohamed Bazoum. Elle avait demandé à la junte de fixer une limite à la durée de la transition. Chose faite, le jour même, par le général Abdourahamane Tiani lors d’une déclaration à la Nation évoquant un plafond de trois ans. Mais malgré ces préalables, rien ne s’est passé. De report en conflit d’agenda, le sommet décisionnel des chefs d’Etat n’a été convoqué que le 10 décembre à Abuja, la CEDEAO préférant mobiliser dans l’intervalle une force militaire pour une intervention à venir. Ni Alassane Ouattara ni Patrice Talon, respectivement Présidents de Côte d’Ivoire et du Bénin, ne font le déplacement, persuadés que les sanctions vont être levées ou allégées. Ce jour-là, la CEDEAO annonce sa volonté de résoudre la crise par la voie diplomatique mais elle maintient l’option militaire en dernier recours. Et ne fait aucun geste concernant les sanctions très dures qui frappent le Niger, jusqu’à le priver d’accès aux médicaments.
Selon une source autorisée de Mondafrique à Niamey, «le Niger veut son indépendance et sa souveraineté et la CEDEAO est contre.» «Depuis six mois, nous sommes sous sanctions. On a libéré le fils de Bazoum. On a précisé le cadre de la transition. Mais la CEDEAO n’a pas bougé et garde son option militaire. On a compris que c’était la seule.»
Pourquoi ?
Le revirement américain
La CEDEAO a très mal perçu la naissance en son sein, le 16 septembre dernier, de l’Alliance des Etats du Sahel. Cette entité formée par le Mali, le Niger et le Burkina Faso, qui représente la moitié de la superficie couverte par l’organisation, est devenue une menace géostratégique. Non seulement pour l’Afrique de l’Ouest mais surtout pour Washington et Paris. Car le durcissement actuel est surtout le fruit des pressions américaines sur Abuja et Abidjan notamment.
Après une indulgence apparente au lendemain du coup d’Etat du 26 juillet, que la France a d’ailleurs interprétée comme une forme de trahison, Washington a changé de position. Fin octobre, une rencontre à Niamey de représentants de la junte avec Molly Phee, la secrétaire d’Etat adjointe, se passe mal. La diplomate tente d’imposer ses conditions. Ses interlocuteurs se braquent. Ils viennent d’obtenir le départ de l’armée française, ce n’est pas pour passer sous domination américaine. «Elle a compris que la base de drones d’Agadez pouvait être menacée.» La junte annonce ensuite que tous les accords de coopération militaire vont être révisés à la lumière des intérêts du pays. Le vent tourne. D’autant plus que dans la nuit du 18 au 19 octobre, un hélicoptère américain stationné à Niamey est mobilisé en appui à une tentative d’évasion manquée de Mohamed Bazoum pour l’emmener au Nigéria. Le plan est déjoué. Et le nouveau jeu américain découvert.
Poussés dans les bras des Russes
«Ce sont eux qui poussent les gens vers les Russes. Nous n’avions aucun contact avec les Russes au début de la transition. Mais le choix est mince : ou tu suis ou tu crèves. On ne veut pas crever donc on va chercher secours ailleurs. Ca s’est passé de la même façon au Mali et au Burkina.» Sur le sol du Niger, il y avait un contingent français et une base américaine. Les Français sont partis. Pas les Américains qui disposent près d’Agadez de leur plus grande base de drones sur le continent.
Maintenant que le lien est coupé avec la CEDEAO, il est plus compliqué pour cette dernière d’intervenir militairement. D’autant plus qu’aux côtés du Niger, le Mali et le Burkina Faso font désormais partie du lot. Les trois pays ont leurs destins liés car ils savent que la chute de l’un d’entre eux entraînera celle des voisins.
En ce qui concerne l’autre organisation ouest-africaine, la francophone Union économique et monétaire arrimée au franc CFA, à l’origine des sanctions financières qui frappent le Niger depuis six mois, Niamey va jouer son va-tout. Si l’UEMOA reste solidaire de la CEDEAO et maintient les sanctions, elle risque à son tour la fracture et le départ des trois pays du Sahel central. Pas sûr qu’elle y survive. Un tel événement déstabiliserait très gravement le marché financier régional et, finalement, la Banque centrale d’Afrique de l’Ouest.
La négociation avec l’UEMOA, présidée par Alassane Ouattara depuis la chute de Mohamed Bazoum qui occupait la fonction au moment du coup d’Etat, sera la prochaine étape clé de la tectonique des plaques en cours au Sahel. Selon son issue, le mouvement du Mali, du Niger et du Burkina Faso vers le groupe des BRICS sera accéléré ou ralenti, bien que probablement inéluctable.