Doumnokéné Niangaly connu sous le nom d’écrivain de Léon Niangaly est l’un des écrivains maliens les plus connus. Magistrat à la retraite, Léon est l’auteur de plusieurs ouvrages connus et lus dont “Chant pour chant” et “Les contes du Toguna”, livre validé en 2017 par l’Etat comme document pédagogique. Profitant d’une retraite bien méritée, ce grand amoureux de la littérature consacre son temps à la lecture et l’écriture. Nous lui avons rendu visite à son domicile pour échanger autour de sa carrière d’écrivain et de son recueil de poèmes “Chant pour chant” paru aux éditions Jamana en 1994 et réédité en 2019 par Innov Editions.
Aujourd’hui-Mali :Bonjour, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Léon Niangaly : Léon Niangaly est mon nom de plume. Mon vrai nom, c’est Doumnokéné Niangaly. Je suis un magistrat à la retraite. Natif de Koro au pays dogon, j’y ai fait toutes mes études primaires et fondamentales. Après le lycée de Badalabougou et de Markala, j’ai fait des études en sciences juridiques à l’Ecole nationale d’administration de Bamako. Etudiant, j’ai été membre du comité directeur de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (Unem). Je suis actuellement un membre actif du bureau de l’Union des écrivains maliens. Je suis auteur des livres ”Chant pour chant’‘ édité en 1994 et réédité en 2019, “Les contes du Togouna”recueil de contes validé comme document de pédagogie par le ministère de l’Education nationale du Mali en 2017, “Peu importe le chant Suivi de poèmes pour Ina”, “Les Divinations du renard” et “Les chroniques des années blanches”.
Pouvez-vous nous présenter votre ouvrage “Chant pour chant” ?
“Chant pour chant” est un recueil de poèmes dont les textes ont été écrits pendant ma période de jeunesse, notamment quand j’étais au lycée. C’est un ouvrage de jeunesse paru aux éditions Jamana en 1994 avant d’être réédité par Innov Editions en 2019.Ce livre parle essentiellement de louanges à la terre natale, mon royaume d’enfance.
Pourquoi cette réédition en 2019 ?
Vous savez, il y a un grand problème d’édition au Mali, surtout les poèmes. Les éditions Janama avaient promis lors de la parution du livre en 1994 qu’en cas d’épuisement de stock, ils allaient faire d’autres productions, mais ils n’ont pas tenu leur parole. Je les ai rappelés à plusieurs reprises et comme les lecteurs en demandaient toujours, j’ai finalement décidé d’aller voir Innov Editions pour la réédition.
Dans votre recueil, vous vous attachez beaucoup aux thèmes de l’amour, hivernage et les louanges à la terre… !
Dans ce recueil “Chant pour chant”, il faudrait distinguer deux thèmes majeurs. D’abord le royaume d’enfance et ensuite la rencontre du monde extérieur. Certes ces deux thèmes n’apparaissent pas séparément dans le livre. Dans l’évocation de mon royaume d’enfance, il y a tout ce qui a contribué à la formation de mon enfance dont la terre natale avec tout ce qu’elle comporte : le paysage, les champs, la femme, la faune et la flore. Tout cela apparait dans le livre à travers l’impression d’enfant. Nous avons aussi des extraits de contes du terroir, des chansons de geste et des épopées du pays natal. Il y a dans ce livre une anecdote qui n’est pas perceptible au lecteur non averti. Dans un poème, je relate un récit qui clame les hauts faits de mon père qui, après une semaine passée en brousse, apparait un matin portant à la tête un sanglier abattu. Tout le monde sait que la viande du sanglier est proche de celle de porc qui est prohibée en islam. Mais cela n’a pas empêché ma mère, une musulmane convaincue, de fêter le retour en héros de mon père en clamant un hymne à la terre.
Peut-on dire que vous suivez les pas des poètes de la négritude dans ce recueil ?
J’avoue qu’il n’en est rien. Certes, j’ai lu étant enfant et que je lis beaucoup les poètes de la négritude. Des poètes comme Senghor, Césaire, Léon Gontran Damas sont vraiment des maitres à penser, mais pour moi, je ne suis pas de la Négritude. Je crois que le temps de la Négritude est révolu. En ces temps-là, il y avait la colonisation et les écrivains se battaient pour la liberté de leur peuple. Avec l’acquisition de l’Independence, je pense qu’il n’est plus nécessaire de parler de la Négritude. Nous devons plutôt penser à une littérature nationale.
Etes-vous un poète engagé ?
Pas du tout ! Pour moi, le problème de l’engagement est un faux problème. Ce qui m’importe, c’est la poésie telle qu’elle vient et je ne réclame pas à tout prix l’engagement. Pour moi, l’engagement doit servir la poésie et pas l’inverse. J’ai par exemple lu des poètes comme Senghor et Césaire, mais j’ai aimé plus la poésie de Mamadou Lamine Sall et Noel Boni. Je pense que l’engagement est possible, mais il ne faut pas à tout prix dire que je suis engagé. Pour moi, c’est la poésie qui doit être privilégiée avant toute chose.
Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir écrivain ?
C’est d’abord par la lecture car je lisais tout ce qui tombait entre mes mains et arrivé à un certain temps, je me suis dit, au lieu de passer mon temps à lire les autres, pourquoi je ne m’essayerais-je pas à l’écriture, moi aussi, et c’est ainsi que je m’y suis mis.
Pourquoi le pseudonyme Léon comme nom d’écrivain ?
Ce pseudonyme a une histoire. Quand j’étais à l’école fondamentale de Koro, j’écrivais des poèmes et mes camarades de classe à l’époque, ayant constaté que j’écrivais, ont montré mes poèmes à un de nos professeurs qui les a lus. Ce dernier, après lecture, a dit que j’avais le style de Léon Gontran Damas et depuis les élèves m’appelaient Léon et curieusement même en famille on m’appelle Léon.
Naturellement, quand j’ai eu l’idée d’écrire officiellement, j’ai donc décidé de prendre le pseudonyme Léon.
Des difficultés rencontrées dans votre carrière d’écrivain ?
Les problèmes des écrivains maliens, c’est surtout le problème de l’édition. J’avoue qu’au départ j’ai eu beaucoup de problèmes, mais ça s’est estompé puisque l’édition de mon premier ouvrage a été appuyée par l’Ambassade de France. Force est de reconnaitre que tous les jeunes n’ont pas cette chance. S’il faut financer l’édition de son livre, alors que vous avez une famille à prendre en charge, ce n’est pas facile. Je pense que l’édition des ouvrages doit être prise en charge par l’Etat qui doit appuyer les écrivains, surtout les jeunes. Aujourd’hui, l’Etat apporte son appui aux partis politiques, à la presse entre autres, mais malheureusement les écrivains sont oubliés.
Avez-vous des projets d’écriture ?
Je suis sur une grande enquête sur les coutumes et traditions au pays dogon. Certains m’ont même déjà promis de la publier, mais le livre n’est pas encore terminé, surtout que le monde dogon connait ce temps-ci des soubresauts. J’ai aussi décidé récemment de prendre en compte le côté religion (islam) au pays dogon qui n’était pas prévu au départ.
Quels conseils pour les jeunes écrivains ?
Je leur conseille vivement la lecture. Il faudrait lire beaucoup. Il faudrait aussi confronter à l’expertise des autres ce qu’on a écrit. Des gens qui vous ont précédé, vos professeurs, les écrivains. Qu’ils vous livrent d’abord leurs impressions avant de vous faire éditer. Cela est très important parce qu’une fois que vous publiez, vous ne pouvez plus revenir en arrière. Je voudrais aussi faire savoir à la jeunesse que la plupart des poètes célèbres ont écrit au moment de leur jeunesse. Je peux citer par exemple Arthur Rimbaud qui a arrêté d’écrire à 25 ans. Alors, écrivez si vous le pouvez en tant que jeune. C’est le meilleur moment.
Réalisé par Youssouf KONE
Source: Aujourd’hui-Mali