Depuis plus d’un mois, la nation est en proie à une crise scolaire aiguë. Se fondant sur l’article 39 de la loi N° 2018-007 du 16 janvier 2018, portant statut du personnel enseignant du secondaire, du fondamental et de l’éducation préscolaire et spéciale, les syndicats signataires du 15 octobre 2016 demande au gouvernement son devoir de respect de la légalité républicaine en donnant suite à sa doléance.
Le gouvernement dans un fair-play légaliste, tout en reconnaissant le caractère légal et légitime de la revendication des enseignants met en avant l’insoutenabilité financière de la demande. Parmi les plus tranchants de cette quête légaliste l’opinion malienne, notamment les parents d’élève, qui, las de voir les enfants trainés hors des classes, et sans s’arrêter sur les nuances et les subtilités budgétaires et syndicales, exige la réouverture des écoles. Ce qui sous-entend la prise en charge par l’État la doléance des enseignants parce que conforme et prévu par la loi.
Beaucoup sont les Maliens qui, à la suite du gouvernement, estiment légale et légitimement fondée l’application de l’article 39, tout comme beaucoup le sont en affirmant illégitime voir illégal la candidature de Bakari Togola et Adama Sangaré, deux citoyens qui jouissent encore de leurs droits civiques constitutionnellement, parce que ne faisant l’objet d’aucune condamnation encore. Est-ce légalement fondé de permettre à un détenu (quelqu’un qui est en prison) de prendre part à une élection ? L’article 9 de la Constitution du 25 février 1992 tranche la question : « tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité́ soit établie par la juridiction compétente ».
Toutefois, la candidature validée de ces deux prévenus est-elle conforme à la légitime ? La légalité étant bien entendu ce qui est conforme à la législation en vigueur, à la lettre de la loi. Mais voilà tout ce qui est conforme à la loi est-il nécessairement légitime ?
La « Légitimité » est la conformité à un principe supérieur qui dans une société et à un moment donné est considéré comme juste. La notion de légitimité ne recouvre pas celle de légalité qui est plus restreinte et qui caractérise ce qui est seulement conforme à la Loi. La notion de légitimité est contingente de la culture ; la légalité s’apprécie en fonction du droit positif.
Stéphane Hessel, diplomate, résistant, écrivain et militant politique français d’origine allemande, soulignant l’écart entre légalité et légitimité dit : « Je considère la légitimité des valeurs plus importante que la légalité d’un État. Nous avons le devoir de mettre en cause, en tant que citoyens, la légalité d’un gouvernement. Nous devons être respectueux de la démocratie, mais quand quelque chose nous apparaît non légitime, même si c’est légal, il nous appartient de protester, de nous indigner et de désobéir. »
La contestation n’est pas antinomique de la démocratie, elle en est constitutive. Mais comment résoudre un problème, si les électeurs ne peuvent pas l’exprimer ? Pour qu’elle soit véritable, la démocratie doit, disent certains activistes politiques, la contestation comme partie intégrante du jeu politique. La contestation doit en quelque sorte devenir institutionnelle. Lorsque les citoyens ne sont pas contents, il faut que cela se sentent dans la rue, mais aussi dans les urnes.
Ce que prône Hassel, ce n’est pas une démocratie contestataire faite d’agitations aussi puériles qu’inutiles sur les réseaux sociaux ou de la part de loosers d’urnes. Mais une vraie démocratie qui reconnait garantit à ses citoyens la liberté de dire non telle que le préconise la Constitution du 25 février 1992 en ses articles 4 et 5
– « Toute personne a droit à la liberté́ de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion, d’expression et de création dans le respect de la loi.
– L’État reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté́ d’aller et venir, le libre choix de la résidence, la liberté́ d’association, de réunion, de cortège et de manifestation ».
Comment concilier le droit de contestation reconnu à chaque citoyen et le sacro-saint principe du respect des droits et libertés des autres ?
Les Maliens qui pensent le gouvernement doit respecter les lois de la République en donnant suite à la doléance des enseignants sont-ils les mêmes qui disent penseraient qu’aucune légitimité ne doit fonder BaKari Togola et Diarra Diarra à se présenter aux élections législatives ?
De même que l’application de la loi ne devrait pas être sélective, au détriment des enseignants, on ne peut prôner une République à deux vitesses qui priverait des citoyens jouissant de la présomption d’innocence, et donc toujours de leurs droits constitutionnels de prendre part à une élection. Le faire serait de prendre le risque d’imposer une démocratie inquisitoire au sein de laquelle la règle serait pour tout prévenu et mis sous examen une dangereuse présomption de culpabilité. Le risque serait de voir ceux qu’on a privés de leurs droits d’être électeur et éligible, d’être acquittés au terme de leurs procès. Ce qui arrive dans bien des cas.
Par Sikou BAH
INFO-MATIN