L’article 95 de la Constitution du 25 février 1992 porte les germes de la corruption. C’est l’avis de Mamadou Bandiougou Diawara, Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de la Commune III de Bamako en charge du Pôle Economique et Financier.
Il a fait cette déclaration le 22 mai dernier au Mémorial Modibo Kéïta au cours d’une journée d’échanges du Pôle économique et financier avec la société civile sur l’avancement des dossiers de lutte contre la corruption. L’activité s’inscrivait dans le cadre de la mise en œuvre du ‘’Projet Redevabilité Publique et Participation des Femmes au Mali’’ avec l’appui financier des ‘’Affaires Mondiales Canada’’.
Selon le Président du Conseil national de la société civile, Boureïma Allaye Touré, c’est la première fois que la Société civile et le Pôle économique et financier se retrouvent ‘’pour briser la glace’’ dans le cadre de la lutte contre la corruption. Il s’agit pour la société civile de faire la veille, la dénonciation et d’accentuer la pression pour des sanctions. « Je voudrais féliciter le procureur qui a affiché une volonté d’ouverture », a-t-il souligné.
« Si quelqu’un se réjouit, c’est chacun de nous au sein de la famille judiciaire », a lancé Mamadou Bandiougou Diawara. Selon le magistrat, la justice doit rassurer au lieu de susciter la crainte. Il a reconnu que le Pôle économique et financier a travaillé en solo pendant longtemps et cela a souvent donné l’occasion à des relations conflictuelles avec d’autres structures en charge de la lutte contre la corruption. « Ce n’est pas une lutte faite pour la justice. C’est une lutte inclusive », a-t-il déclaré.
Le Pôle économique et financier, a expliqué le Procureur de la République, est une structure d’enquête qui comprend six cabinets d’instructions et une brigade dirigée par un colonel de gendarmerie.
Les assistants spécialisés ne constituent pas une réalité pour le moment, a-t-il reconnu en ajoutant qu’il y a toute une gamme d’infractions qui relève de la compétence du Pôle. A en croire le Procureur Diawara, la corruption est un crime d’intelligence. « Le délinquant financier est malin et se sert de la loi pour se couvrir….Notre vision, c’est la coopération….Nous avons compris qu’aucune structure seule ne peut réussir », a-t-il précisé.
Pour lui, « la corruption s’est installée aujourd’hui comme un système. On a semé au sein de la Constitution les germes de la corruption. L’article 95 de la constitution est scandaleux ». Selon cette disposition constitutionnelle, les ministres ne sont justiciables que devant la Haute Cour de Justice pour des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.
Toujours selon cet article, leur mise en accusation doit être votée par les députés de l’Assemblée Nationale. Le magistrat du parquet a illustré ses propos par le cas d’un ministre des Finances qui se sert du budget de l’Etat pour financer son parti afin d’obtenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale. « Pensez-vous que les députés vont mettre en accusation ce ministre qui a financé leur campagne », a-t-il posé à l’assistance. « Je ne mets pas en cause la démocratie », s’est-il défendu sans oublier d’ajouter : « on a installé un système démocratique corrompu ».
Nécessaire synergie d’actions au sein de la société civile Il a saisi cette occasion pour donner quelques chiffres. Le Pôle économique et financier a permis à la Banque de Développement du Mali de recouvrer environ 900 millions de FCFA. Pour la BIM, ce montant s’élève à 300 millions et 200 millions pour la Bank of Africa. De janvier à ce jour, le Pôle a permis au Trésor public de recouvrer plus d’un milliard de nos francs.
Le Procureur alerte : « ce sont des recettes extraordinaires qui ne sont pas budgétisées. Il faut veiller sur l’utilisation de ces fonds qui pourraient faire l’objet des malversations ».
Boureïma Allaye Touré appelle à une synergie d’actions des responsables de la société civile. Sinon, dit-il, notre pays est voué à l’échec.
Chiaka Doumbia
Le Challenger